La mobilisation des "Gilets jaunes" réussie mais endeuillée

reuters.com  |   |  1086  mots
La mobilisation des gilets jaunes reussie mais endeuillee[reuters.com]
(Crédits : Eric Gaillard)

PARIS (Reuters) - La mobilisation réussie des "Gilets jaunes" contre la hausse des prix des carburants, qui a fait d'Emmanuel Macron sa principale cible, a été endeuillée par la mort d'une manifestante tuée par une automobiliste coincée samedi dans une opération de blocage.

Le ministère de l'Intérieur a recensé plus de 2.000 manifestations avec la participation de 282.710 personnes qui ont partiellement bloqué 450 routes, la plupart du temps dans une ambiance bon enfant, mais avec parfois des incidents graves et des affrontements avec la police, comme à Paris.

L'incident le plus tragique a été recensé à Pont-de-Beauvoisin, en Savoie, où une manifestante a été renversée par une automobiliste qui semble avoir paniqué. La conductrice a été placée en garde à vue, selon la préfecture.

Les autorités ont dénombré 229 blessés, dont sept gravement, procédé à 117 interpellations et mis 73 personnes en garde à vue, essentiellement des manifestants pour refus d'obtempérer ou violences vis-à-vis des policiers, mais aussi des automobilistes ulcérés qui ont tenté de forcer les barrages.

En outre, on compte 10 blessés légers chez les forces de l'ordre et un blessé grave, ainsi qu'un blessé grave chez les pompiers.

Les blocages ont progressivement été levés dans la journée et les rassemblements les plus importants ont été constatés en fin d'après-midi à Paris, où les "Gilets jaunes" se sont concentrés près de l'Elysée avant d'être dispersés par des tirs de gaz lacrymogène, et dans des lieux symboliques, comme la place de la Concorde ou les Champs-Elysées.

Véronique Lestrade, qui a participé au blocage de la porte Maillot à Paris, a résumé l'état d'esprit général des "Gilets jaunes", un mouvement spontané qui a pris de court les politiques, les syndicats et le gouvernement.

"Je suis là aujourd'hui parce que je ne vis pas, je survis. Je suis salariée, mon mari de même", a-t-elle déclaré à Reuters. "Les taxes en France il y en a beaucoup, beaucoup trop. M. Macron, il faudrait peut-être qu'il revoie sa politique et sa façon de gérer le pays, l'économie est au bord gouffre."

"MACRON DÉMISSION"

Le chef de l'Etat était la cible principale des "Gilets jaunes", "Macron démission", "Dehors Macron" étant les slogans les plus fréquemment entendus dans les mobilisations.

"J'ai voté Macron avec plaisir en 2017, mais là, il se moque de nous", a déclaré place Bellecour à Lyon Dominique Jouvert, 63 ans, retraité de la fonction publique. "Avec lui, il n'y a aucune discussion, aucun dialogue, il est arrogant. C'est sûr, je ne revoterai pas pour lui."

Mais la plupart des manifestants n'exprimaient pas de préférence pour un autre dirigeant politique ou un parti.

Pour Gérard Massonet, 66 ans, lui aussi retraité de la fonction publique et qui a voté Macron "pour provoquer un grand changement", "c'est simple, je vais arrêter de voter".

"Je vais renvoyer ma carte d'électeur", explique-t-il, aussitôt applaudi par les manifestants qui l'entourent. "Nous aussi, on va tous renvoyer nos cartes."

Le gouvernement, qui n'entend pas renoncer à la fiscalité écologique pour induire une transformation des comportements mais a prévu une enveloppe de 500 millions d'euros pour accompagner la transition, n'a pas porté de jugement politique sur la mobilisation, se contentant d'appeler au calme.

"Le gouvernement est attentif à toutes les mobilisations et bien évidemment, nous devons continuer à répondre aux attentes des Français y compris en matière de pouvoir d'achat", a dit le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner.

Il a cependant précisé être très "attaché" à la protection des "biens, des personnes, des forces de sécurité et des sites qui représentent la République", alors que des heurts éclataient dans plusieurs villes de France.

L'opposition, de l'extrême droite à l'extrême gauche, s'est pour sa part engouffrée dans la brèche en tentant de capitaliser sur un mouvement soutenu par 74% des Français, selon un sondage Odoxa-Dentsu Consulting pour franceinfo et Le Figaro diffusé vendredi.

"Un immense moment d'auto-organisation populaire est en cours. Le peuple a déjà surmonté les obstacles de la diversion et de la dissuasion", a dit sur Twitter le chef de file de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon.

LES RICHES EXONÉRÉS

Pour Olivier Faure, Premier secrétaire du Parti socialiste, la grogne va en effet bien au-delà du prix des carburants et est le signe de la détresse des Français face à la baisse présumée de leur pouvoir d'achat alors que "les puissants, les riches" sont selon lui exonérés des efforts demandés.

"Ils sont dans une situation où ils ne comprennent plus ce gouvernement", a-t-il dit sur BFM TV. "Ils se disent : il y a un an, on avait quelqu'un qui se faisait passer pour un progressiste et ils voient un néo-libéral."

Nicolas Dupont-Aignan, président du mouvement souverainiste Debout la France, l'un des rares avec le Rassemblement national de Marine Le Pen à avoir appelé à participer au mouvement, a estimé dans un communiqué que le gouvernement devait "stopper d'urgence la hausse des taxes sur les carburants".

"Combien de morts faudra-t-il avant qu'Emmanuel Macron n'entende la détresse des Français ?", a-t-il demandé.

Le président des Républicains, Laurent Wauquiez, a lui aussi exhorté le chef de l'Etat à "comprendre ses erreurs et surtout qu'il les (corrige) en annulant ses hausses de taxes".

"C'est un mouvement des Français, directement, qui ne doit pas être récupéré mais qui a le droit d'avoir le soutien de tous les élus", a-t-il dit sur BFM TV sur le lieu d'une mobilisation.

Il a toutefois été pris à parti par des manifestants lorsqu'il s'est joint à la manifestation du Puy-en-Velay (Haute-Loire) dans l'après-midi. "Ce n'est pas votre place ici. Vous êtes une homme politique, vous ne pouvez pas être avec nous", lui a lancé un retraité devant les caméras.

Dans une vidéo postée sur Twitter, Sébastien Chenu, député Rassemblement national du Nord, a estimé que les Français ont voulu samedi dire leur fait au président.

"Ces Français qu'Emmanuel Macron prend depuis un an et demi pour des cons, ils sont ce samedi dans la rue, sur les péages (...) pour dire de façon sympathique, de façon positive, que, non, ils ne peuvent plus accepter d'être pris pour des moutons."

(Yves Clarisse, Caroline Pailliez et Catherine Lagrange, édité par Tangi Salaün)