La justice requalifie un chauffeur Uber en salarié

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(Crédits : Ginnette Riquelme)

PARIS (Reuters) - La Cour d'appel de Paris a requalifié le contrat de partenariat d'un chauffeur Uber en contrat de travail, première décision aux conséquences potentiellement explosives pour les plates-formes numériques, a-t-on appris vendredi.

Dans son arrêt rendu le 10 janvier, la Cour d'appel de Paris a jugé que le conducteur était bien un salarié de la célèbre plate-forme et non un auto-entrepreneur au regard du lien de subordination qui le liait à l'entreprise.

Parmi le "faisceau suffisant d'indices" qui démontrent l'existence de cette relation, la cour note le fait que le chauffeur ne peut ni constituer sa clientèle propre, ni fixer ses propres tarifs.

Il reçoit bien des directives de la part d'Uber, comme le fait de devoir "les instructions du GPS de l'application" ou attendre dix minutes que l'utilisateur se présente au point convenu. Il peut être contrôlé via le système de géolocalisation.

Uber peut par ailleurs sanctionner le chauffeur en interrompant son accès au compte si ce dernier annule trop de courses. L'entreprise peut également supprimer son profil en cas de signalement de "comportements problématiques" par les utilisateurs, ce qui était arrivé au plaignant.

La Cour d'appel a renvoyé le dossier au conseil des prud'hommes pour qu'il puisse estimer le montant de la réparation auquel aurait droit ce dernier selon un contrat de travail classique.

"Je suis très content parce que c'était une réponse de droit", a dit à Reuters l'avocat du chauffeur, Me Fabien Masson. "Ça permet de rééquilibrer le rapport de force entre les plates-formes et les travailleurs indépendants".

CONSÉQUENCES IMPORTANTES

Il précise que tous les chauffeurs pourraient prétendre avec cet arrêt à une requalification de leur relation de travail, ce qui pourrait avoir des conséquences désastreuses pour Uber et les autres plate-formes de mise en relation pour des transports.

Il estime toutefois qu'il ne faut pas considérer cet arrêt comme une attaque contre les plates-formes mais bien une opportunité pour qu'elles améliorent leur modèle d'affaire. "Tout le monde souhaite le maintien des plates-formes. Mais pour respecter le droit, il faut qu'elles fassent autrement".

Uber a déjà annoncé qu'il déposerait un pourvoi en cassation, décision de justice rendue en dernier ressort.

"Les chauffeurs choisissent d'utiliser l'application Uber pour l'indépendance et la liberté de s'y connecter si, quand et où ils le souhaitent", a déclaré une porte-parole d'Uber par communiqué. "Cette flexibilité doit être préservée et c'est pour cela que nous allons former un pourvoi contre cet arrêt".

La Cour de Cassation a cependant déjà requalifié en novembre la relation contractuelle d'un livreur à vélo travaillant pour la plate-forme "Take Eat Easy", maintenant liquidée, en contrat de travail.

Le gouvernement a projeté dans son projet de loi des mobilités (LOM) de "sécuriser" la relation entre plates-formes et travailleurs, c'est-à-dire éviter les requalifications pour toute entreprise qui signerait une charte apportant des droits sociaux supplémentaires aux travailleurs indépendants.

La décision de la Cour de Cassation de novembre ne change en rien ce projet, précise-t-on dans l'entourage de la ministre du Travail, Muriel Pénicaud.

LE PROJET DU GOUVERNEMENT EN DANGER

"La décision de la Cour de Cassation montre qu'il y a une incertitude juridique et elle vient la préciser", explique-t-on.

"Ça montre vraiment le besoin que la représentation nationale se prononce sur ce sujet-là et définisse un régime juridique des travailleurs indépendants et de leur lien avec les plates-formes".

On précise qu'il serait "innovant" pour la Cour de Cassation d'aller à l'encontre des dispositions votées dans la loi, si jamais le projet de loi était adopté par les Parlementaires.

Un avis que ne partage pas Me Jean-Paul Teissonniere, associé du cabinet Teissonniere Topaloff Lafforgue Andreu et Associés, qui défend notamment des chauffeurs Uber au conseil des prud'hommes de Paris.

Pour la justice, "la définition du contrat de travail ne se trouve pas dans le Code du travail, elle ne se trouve pas dans les textes, elle trouve dans la jurisprudence de la Cour de Cassation, dans l'interprétation des juges", dit-il.

"Je pense que cette liberté-là d'interprétation des juges, il va être très difficile de la corseter au travers de mesures réglementaires."

"Le législateur devrait prendre garde à ce qu'il fait parce que dans ce domaine-là, il n'a pas forcément tous les pouvoirs", a-t-il ajouté.

(Caroline Pailliez, avec Gwénaëlle Barzic, édité par Yves Clarisse)