Les groupes d'énergie lorgnent sur les batteries des voitures électriques

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Les groupes d'energie lorgnent sur les batteries des voitures electriques[reuters.com]
(Crédits : Kai Pfaffenbach)

par Christoph Steitz, Susanna Twidale et Geert De Clercq

FRANCFORT/LONDRES/PARIS (Reuters) - Plusieurs fournisseurs d'électricité en Europe, dont EDF et E.ON, travaillent avec des constructeurs automobiles comme Nissan sur le développement de services permettant de revendre l'énergie stockée dans les batteries de véhicules électriques, ce qui permettrait aux automobilistes de rouler gratuitement ou presque.

Des millions de voitures électriques étant attendues sur les routes européennes au cours de la prochaine décennie, les entreprises de services aux collectivités voient dans ce nouveau marché à la fois une opportunité pour vendre plus d'électricité mais aussi un risque de tension sur le réseau dans les périodes de forte demande de courant.

Pour suppléer le réseau électrique, la technologie dite "Vehicle-to-grid" (V2G) permet d'utiliser la batterie électrique du véhicule pour alimenter une borne de recharge, elle-même connectée au réseau électrique.

E.ON travaille notamment avec Nissan sur des services V2G intégrant un logiciel qui permet de collecter et de commercialiser des données de tarification afin que la compagnie allemande d'électricité puisse anticiper les pics de consommation et les périodes creuses.

Selon Nissan, en rechargeant son véhicule en période creuse, un automobiliste pourrait réaliser des économies en revendant cette électricité en heures de pointe lorsque le réseau est soumis à des tensions.

EDF pour sa part s'est associé à Nuvve, un spécialiste de la technologie V2G basé à San Diego, pour construire le premier réseau commercial de recharge V2G en Europe pour les véhicules produits par Nissan et Mitsubishi.

Le groupe italien Enel, premier fournisseur d'énergie en Europe par la capitalisation boursière, travaille de son côté avec Nissan et Nuvve sur des projets tests de V2G au Danemark et aux Pays-Bas, ainsi qu'à Rome et à Gênes.

Mais la plupart des constructeurs automobiles français et allemands ne sont pas disposés pour le moment à suivre Nissan dans cette voie.

CENTRALE VIRTUELLE

E.ON et EDF s'efforcent néanmoins de convaincre les constructeurs européens de prendre au sérieux le V2G, selon deux sources du secteur.

IONITY, une coentreprise entre Volkswagen, Daimler, BMW et Ford, dit ne pas voir pour le moment l'intérêt du V2G dans son projet d'implantation de bornes de recharge rapides à travers l'Europe destinées à faciliter des trajets sur de longue distance.

"Nos clients veulent recharger rapidement et non restituer de l'énergie", a déclaré un porte-parole d'IONITY.

Le constructeur automobile américain Tesla, qui commercialise de grosses batteries de stockage d'énergie à usage domestique, figure aussi parmi les grands promoteurs du V2G. Il n'a pas souhaité s'exprimer sur le sujet.

Pour les fournisseurs d'électricité, avec un véhicule utilisé moins de 10% de la journée, le reste du temps, les batteries pourraient servir à équilibrer les fluctuations entre l'offre et la demande sur des réseaux qui doivent composer de plus en plus avec l'énergie solaire et l'éolienne.

Jonathan Tudor, directeur de la stratégie technologique dans la division innovation du premier électricien britannique, Centrica, a déclaré que le V2G ferait partie des technologies destinées à stabiliser les réseaux dès qu'il y aura plus de véhicules électriques sur les routes.

"Dans 10 à 12 ans, si les consommateurs ne changent pas d'habitude, de milliers de personnes arriveront chez elles et voudront recharger leur voiture au moment où la demande est déjà à son pic dans la plupart des pays", a-t-il prédit.

Alberto Piglia, responsable mondial de la mobilité chez Enel, estime que le marché des véhicules électriques croît de manière exponentielle, ce qui provoquera une explosion des services énergétiques. "Nous préparons le monde à cela."

GUERRE DES NORMES

L'un des freins au déploiement du V2G en Europe est lié au fait que cette technologie ne fonctionne pour le moment qu'avec la norme de recharge CHAdeMO, concurrente du Supercharger de Tesla et du Système de charge combiné (Combined Charging System ou CCS) soutenu par l'Europe et en particulier par IONITY.

Selon des experts la norme CCS ne permet pas actuellement un flux de charge et de décharge rapide.

Nuvve, qui a bâti avec EDF un réseau de 4.000 stations de recharge à la norme CHAdeMO en Grande-Bretagne et en France, discute avec des constructeurs automobiles pour rendre le CCS compatible avec le V2G.

La Chine, premier marché au monde pour les véhicules électriques, utilise une norme différente elle aussi, le GB/T. L'organisme China Electricity Council a cependant conclu un accord avec l'association japonaise promouvant le CHAdeMo pour développer une norme commune de recharge rapide qui devrait gérer des flux bidirectionnels.

Ovo Energy, un opérateur alternatif d'électricité sur le marché britannique dominé par le "Big Six" mise aussi sur le CCS et a noué un accord avec Nissan l'an dernier.

Centrica a investi l'an dernier dans le spécialiste israélien de logiciels de recharge pour véhicules électriques Driivz, précisant alors que cette transaction permettrait le développement de la technologie V2G.

Le constructeur japonais Honda prévoit d'intégrer la V2G dans ses véhicules électriques sui sortiront en Europe cette année.

Gregory Poilasne, le directeur général de Nuvve, estime que la V2G pourrait réduire le coût total de possession d'un véhicule électrique d'environ 25%.

(Claude Chendjou pour le service français, édité par Benoît Van Overstraeten)