L'exécutif étrille la commission Benalla, élude le fond

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(Crédits : Charles Platiau)

PARIS (Reuters) - Le gouvernement et la majorité ont attaqué jeudi le rapport sénatorial sur l'affaire Benalla, accablant pour l'Elysée, reprenant une tactique mise en oeuvre depuis les premières secousses consistant à refuser de répondre sur le fond.

Lors de sa première déclaration sur l'affaire touchant son ancien collaborateur, Emmanuel Macron avait fustigé en juillet "une presse qui ne cherche plus la vérité" et lancé une invitation en forme de provocation : "s'ils veulent un responsable, il est devant vous, qu'ils viennent le chercher".

Mercredi, la présidence a fait savoir qu'elle ne répondrait pas au contenu du rapport de la commission d'enquête du Sénat, pour respecter le principe de séparation des pouvoirs.

C'est ce même principe qu'a invoqué jeudi le Premier ministre pour tancer les sénateurs, qu'il a également accusés de biais politique.

"Personne ne peut être surpris que le Sénat fasse de la politique", a dit Edouard Philippe, allusion à la prépondérance de la droite au sein de la chambre. "Peut-être peut-on exprimer une déception lorsque les sénateurs (...) méconnaissent le principe de séparation des pouvoirs de cette façon."

La ministre de la Justice, Nicole Belloubet, était montée au créneau mercredi, en choisissant elle aussi l'angle de la séparation des pouvoirs, bafouée selon elle par les sénateurs, en visant comme le chef du gouvernement une partie secondaire du rapport qui formule des propositions pour améliorer la gestion et la sécurité de la présidence.

Il est ainsi proposé de "mettre fin à l'expérience des collaborateurs 'officieux' du Président" tels qu'Alexandre Benalla et de "conditionner le recrutement" des collaborateurs "à la réalisation d'une enquête administrative".

Plus globalement, la commission des lois veut "conforter le pouvoir de contrôle du Parlement sur les services" de l'Elysée.

"INCOMPRÉHENSIBLES"

Tout en expliquant qu'elle ne répondrait pas sur le contenu du rapport, la présidence avait savoir mercredi qu'elle s'exprimerait prochainement sur cette série de recommandations.

Jusqu'à présent, aucun membre de l'exécutif n'a répondu sur le fond aux critiques des sénateurs, alors que le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, premier à s'exprimer sur le sujet, avait annoncé mercredi que "l'Elysée aura(it) l'occasion d'apporter des réponses factuelles sur manifestement beaucoup de contre-vérités qui se trouvent présentes dans le rapport".

Edouard Philippe a toutefois abordé jeudi un des points du rapport les plus problématiques pour l'Elysée, les interrogations sur les témoignages sous serment de trois éminents collaborateurs du chef de l'Etat devant la commission.

Cette dernière met nommément en cause, pour avoir masqué une partie de la vérité, le secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler, le directeur de cabinet, Patrick Strzoda, et le chef du groupe de sécurité, Lionel Lavergne.

Le chef du gouvernement a dénoncé des affirmations "incompréhensibles et souvent injustes" visant des collaborateurs d'Emmanuel Macron et qualifié le secrétaire général de "grand serviteur de l'Etat".

Dans leur document, fruit de six mois de travaux, les sénateurs dressent une liste de "défaillances", qui auraient permis à Alexandre Benalla, simple adjoint au chef de cabinet, de s'arroger des pouvoirs exorbitants, au point de mettre en péril la sécurité du chef de l'Etat et de piétiner les règles permettant de prévenir les conflits d'intérêt.

"TORPILLE"

Edouard Philippe a souligné que la justice était saisie des différents aspects de l'affaire Benalla et qu'il fallait que chacun respecte son indépendance.

Les déclarations du chef du gouvernement sonnent comme un écho à celles du délégué général de La République en marche (LaRem), Stanislas Guerini, qui a dénoncé sur Radio Classique "une sorte de torpille politique (...) fomentée par des sénateurs LR et socialistes".

Le rapport, "orienté politiquement" et irresponsable, a pour effet, selon le député, de "remettre une pièce dans la machine politique". "Et je crois que c'est un jeu dangereux dans le moment que nous vivons", a-t-il encore déclaré.

Les critiques de l'exécutif et de la majorité ont donné lieu à un débat de droit constitutionnel avec les membres de la commission qui, pour leur part, s'estiment en droit de s'intéresser au fonctionnement de la présidence au nom de l'article 24 de la loi fondamentale.

Le président de la commission d'enquête du Sénat, Philippe Bas, et ses deux co-rapporteurs ont réagi jeudi aux critiques formulées par Edouard Philippe.

"Ils rappellent leur profond attachement au principe de séparation des pouvoirs qu'ils ont scrupuleusement respecté", déclarent-ils dans un communiqué. "Il importe aussi, pour la maturité de la démocratie, que la mission fondamentale du Parlement dans ses pouvoirs de contrôle soit pleinement respectée."

Le président du groupe socialiste, Patrick Kanner, a quant à lui exhorté Edouard Philippe à "respecter" le Sénat. "Nous accuser de faire de la politique politicienne n'est pas digne de la responsabilité qui est la sienne", a jugé l'ex-ministre, sur Public Sénat.

(Jean-Baptiste Vey et Simon Carraud, édité par Yves Clarisse)