PORTRAIT : Loiseau, la "techno" qui monte au créneau

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Portrait: loiseau, la techno qui monte au creneau[reuters.com]
(Crédits : Charles Platiau)

par Simon Carraud et Elizabeth Pineau

PARIS (Reuters) - Arrivée quasi incognito au gouvernement, Nathalie Loiseau s'est progressivement affranchie de son image originelle de pâle technocrate, au point d'apparaître aujourd'hui comme l'une des ministres les plus mordantes face aux adversaires désignés de la Macronie, Rassemblement national au premier chef.

Ce goût pour la joute politique, révélé au cours de ses récentes apparitions médiatiques, est venu compléter un CV de diplomate aguerrie et de bonne connaisseuse de la chose européenne, autant d'attributs qui font d'elle une candidate crédible aux européennes du 26 mai.

Après avoir démenti les rumeurs insistantes, l'ex-directrice de l'ENA a fini par dévoiler son jeu, jeudi, en se déclarant "prête", en direct à la télévision, à conduire la liste de La République en marche (LaRem) et du MoDem.

Elle en a fait l'annonce lors de L'Émission politique de France 2, au terme d'un débat avec Marine Le Pen qui avait des airs d'examen de passage pour cette ministre encore peu connue du grand public et ancienne première de la classe.

"Vous avez réussi à me faire changer d'avis", a-t-elle dit à la présidente du Rassemblement national. "J'ai envie d'une Europe du partage et pas d'une Europe de la division donc ce soir, c'est vrai, je suis prête à être candidate."

Une annonce accueillie par un rire moqueur de Marine Le Pen, qui a ironisé sur la sortie visiblement préparée de son adversaire - "C'est trop mignon !"

Avec cette entrée en lice, Nathalie Loiseau change de costume, près de deux ans après avoir endossé celui de ministre des Affaires européennes, sous la tutelle de Jean-Yves Le Drian.

A ce poste, elle s'est intéressée à des sujets parmi les plus brûlants de la diplomatie française - Brexit et relations houleuses avec l'Italie, notamment - qui ne manqueront pas de revenir durant la campagne, au moins en filigrane.

"PAS ÉLEVÉE DANS UN MANOIR"

Elle s'est aussi placée, de facto, aux avant-postes du grand combat idéologique qu'Emmanuel Macron prétend mener contre les "nationalistes" européens, Marine Le Pen en France, Matteo Salvini et Luigi Di Maio en Italie ou Viktor Orban en Hongrie.

Cette lutte d'influence l'a peu à peu conduite à sortir de sa réserve, révélant par la même occasion un appétit pour la politique pure et une ironie parfois grinçante.

La ministre a profité de L'Émission politique pour mettre en scène cet antagonisme et jouer les anti-Marine Le Pen, à la fois sur le plan des idées et dans son parcours personnel.

"Ce n'est pas mon père qui m'a élevée dans un manoir", a-t-elle lancé à son interlocutrice du soir, qu'elle a dépeinte en héritière, dépositaire du legs politique de Jean-Marie Le Pen.

Dans son autobiographie féministe intitulée "Choisissez tout !", Nathalie Loiseau décrit son propre parcours comme celui d'une jeune fille portée vers les sommets - malgré sa tendance à l'autocensure - par ses prédispositions à l'excellence scolaire et par la volonté de ses quelques mentors.

Née en 1964 à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), Nathalie Loiseau sait lire à quatre ans, saute deux classes, obtient son bac avec mention très bien, le tout apparemment sans effort.

Adolescente puis jeune adulte, elle n'a aucune ambition particulière, ni même aucune idée quant à son avenir et c'est son frère, malgré elle, qui l'inscrit à Sciences Po.

"ENTRE LA LESSIVE ET LES PACKS DE YAOURTS"

"Je voulais être Barbara Cartland. Ecrire des tonnes de livres très commerciaux, très populaires, qui plaisent à des millions de gens, qu'on achète dans les supermarchés entre la lessive et les packs de yaourts", dit-elle à un oral d'entrée à l'Essec - où elle ne mettra finalement pas les pieds.

Elle opte en fin de compte pour le Quai d'Orsay en 1986, l'année où, pour la première fois, autant de femmes que d'hommes sont reçus au concours - "C'est l'invasion", dit le secrétaire général de l'époque, selon le récit qu'elle fait dans "Choisissez tout!".

L'une des nombreuses remarques sexistes que la diplomate, mère de quatre enfants, dont des jumeaux, aura à essuyer tout au long de carrière, au point de faire de la cause des femmes une bataille personnelle.

"J'ai appris très jeune qu'une femme qui réussit est d'abord suspecte, voire coupable a priori aux yeux de certains, aux dires de certaines", dit-elle.

C'est à Djakarta, son premier poste à l'étranger, qu'elle rencontre sur futur mari. Viendront ensuite le cabinet d'Alain Juppé au ministère des Affaires étrangères, le Sénégal, le Maroc, puis Washington, où elle affronte en 2003 l'ire des Américains face au choix de la France de Jacques Chirac de ne pas s'engager dans la seconde guerre du Golfe.

Avec l'ambassadeur Jean-David Levitte, elle signe alors une lettre ouverte dans le Washington Post dénonçant une "campagne de désinformation" orchestrée par l'administration du président américain George Bush.

Alain Juppé, l'un de ses "mentors", la nomme en 2011 directrice générale de l'administration au ministère des Affaires étrangères qu'il dirige de nouveau près de vingt ans après son premier passage. Elle fait ensuite un quinquennat à la direction de l'ENA, de 2012 à 2017, avant de devenir la porte-parole d'Emmanuel Macron en Europe.

C'est au chef de l'Etat qu'il revient désormais, en dernier ressort, de valider ou non la candidature de sa ministre aux européennes.

(Edité par Yves Clarisse)