Brexit : Le "speaker" de la Chambre des communes bouleverse les plans de May

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Debut d'une semaine cruciale pour theresa may[reuters.com]
(Crédits : Henry Nicholls)

par Kylie MacLellan, Guy Faulconbridge et Elizabeth Piper

LONDRES (Reuters) - Bouleversant les plans de Theresa May, le président de la Chambre des communes, le conservateur John Bercow, a déclaré lundi que le gouvernement ne pouvait pas faire revoter dans les mêmes termes les parlementaires sur l'accord de retrait de l'Union européenne qu'ils ont rejeté la semaine dernière.

En revanche, a-t-il argumenté, le gouvernement pourrait soumettre à un nouveau vote un texte différent. C'est, selon lui, la condition que le gouvernement de Theresa May doit remplir pour pouvoir organiser un troisième vote sur un accord de Brexit.

"Telle est ma conclusion: si le gouvernement souhaite présenter une nouvelle proposition qui ne soit ni la même, ni sensiblement la même que celle qui a été rejetée le 12 mars par cette assemblée, cela sera entièrement en ordre", a-t-il dit.

"Ce que le gouvernement ne peut légitimement pas faire, c'est de soumettre à nouveau à cette Chambre la même proposition ou sensiblement la même proposition que celle qui a été rejetée la semaine dernière par 149 voix d'écart", a poursuivi John Bercow, arbitre ultime en la matière.

A Downing Street, un porte-parole de Theresa May a précisé que le "speaker" n'avait pas informé à l'avance la Première ministre de son intervention ni, a fortiori, de son contenu.

Un des conseillers juridiques du gouvernement, le "Solicitor General" du Royaume-Uni Robert Buckland, a assuré qu'il existait des moyens de contourner la décision de Bercow. "Nous sommes dans une crise constitutionnelle majeure", a-t-il cependant dit.

Il a déclaré à la BBC qu'un des moyens de soumettre à nouveau le texte aux Communes serait de mettre un terme prématurément à l'actuelle session parlementaire et d'en inaugurer une nouvelle.

Le ministre des Prisons, Rory Stewart, a avancé pour sa part le caractère extraordinaire du processus en cours.

"Dans le cours normal des événements, ainsi que le dit le 'speaker', le parlement dit non, et la question est réglée. Mais dans ce cas, ce n'est pas une option parce que ces votes sont une réponse à une instruction issue d'un référendum (ndlr, celui de juin 2016) qui exclut de revenir au statu quo", a-t-il développé.

COUP DE THÉÂTRE

Remontant le fil de l'histoire du parlementarisme britannique jusqu'en 1604, Bercow s'est appuyé sur des précédents pour démontrer qu'un gouvernement ne pouvait soumettre deux fois un même texte à un vote des Communes lors d'une session parlementaire.

Certes, a-t-il admis, la Chambre des communes a voté jusqu'à présent à deux reprises sur un accord de retrait de l'Union européenne, les 15 janvier et 12 mars derniers.

Mais le "speaker" a précisé que les textes qui leur avaient été soumis à ces deux occasions étaient différents (le vote de mardi dernier survenait au lendemain d'une énième "rencontre de la dernière chance" à Strasbourg entre Theresa May et le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, où des précisions avaient été apportés au "backstop" nord-irlandais).

Par deux fois, les parlementaires avaient mis en échec le texte négocié par May avec les Européens: par 432 voix contre 202 en janvier, par 391 voix contre 242 la semaine dernière.

Jusqu'à l'intervention de Bercow, Theresa May espérait pouvoir rallier les 75 parlementaires lui faisant encore défaut pour faire ratifier l'accord de retrait. Et des fissures étaient apparues lundi dans le camp des plus ardents "Brexiters" de son Parti conservateur.

Invité lundi matin sur l'antenne de la BBC, Jacob Rees-Mogg, président de l'European Research Group (ERG) rassemblant les élus tories les plus eurosceptiques, avait ainsi considéré qu'un mauvais accord serait préférable à un maintien au sein de l'Union européenne.

Jacob Rees-Mogg s'est par la suite réjoui de la décision de John Bercow, qui selon lui accroît la possibilité d'un "no deal", une sortie sans accord de l'UE.

"CE N'EST PAS MON DERNIER MOT"

Dans le plan esquissé par Theresa May, la dirigeante britannique obtenait mercredi au plus tard la précieuse ratification du Parlement de Westminster, soit avant le Conseil européen programmé en fin de semaine, jeudi 21 et vendredi 22 mars, à Bruxelles où elle aurait alors demandé à ses partenaires européens de repousser à fin juin la date du divorce.

Dans l'hypothèse inverse, elle aurait sollicité une prolongation longue et le Royaume-Uni participerait aux élections européennes de la fin mai.

Mais la décision annoncée dans l'après-midi par le "speaker" des Communes a chamboulé le scénario, tandis que la livre sterling accusait le coup sur les marchés des changes.

Le secrétaire d'Etat au Brexit Kwasi Kwarteng a cependant déclaré devant le Parlement qu'il existait encore une possibilité que l'Accord de retrait soit présenté aux Communes et ajouté que le gouvernement comptait toujours demander un report de la date du Brexit aux dirigeants européens réunis en conseil jeudi et vendredi à Bruxelles.

Matthew Elliott, chef de file des Brexiters lors de la campagne référendaire de 2016, a de son côté parié que l'Accord de retrait serait adopté.

"Maintenant, le gouvernement va devoir revenir avec des changements substantiels (ce qui est littéralement impossible), sinon cela signifie un report prolongé du Brexit", a commenté Naeem Aslam, analyste chez Think Forex. Les dirigeants européens ont exclu en effet de renégocier l'accord de retrait.

"Les probabilités de voir le Royaume-Uni sortir accidentellement de l'UE ont de nouveau augmenté, parce que l'UE dit avoir besoin d'un plan et d'une stratégie claire avant d'accorder un report (de la date du divorce), a ajouté Aslam.

Et dans ce feuilleton qui n'en finit pas d'aller de rebondissement en rebondissement, John Bercow, qui arborait lundi une éclatante cravate à motifs géométriques multicolores, a prévenu: "Cette ordonnance ne doit pas être considérée comme mon dernier mot sur le sujet."

(Henri-Pierre André et Jean-Stéphane Brosse pour le service français)