Algérie : Le FLN et l'armée courtisent les manifestants

reuters.com  |   |  901  mots
Algerie: le chef de l'armee salue les objectifs nobles du peuple[reuters.com]
(Crédits : Ramzi Boudina)

par Lamine Chikhi et Hamid Ould Ahmed

ALGER (Reuters) - Un dirigeant du Front de libération nationale (FLN), au pouvoir en Algérie depuis l'indépendance, et le chef d'état-major de l'Armée nationale populaire (ANP) ont salué les manifestants qui défilent depuis près d'un mois dans les villes du pays pour exiger le changement.

"Aujourd'hui, le peuple défend l'Algérie dans des manifestations pacifiques. Le peuple a réclamé le changement et le président (Abdelaziz Bouteflika) y a répondu avec sincérité en prônant un changement de système et une Algérie nouvelle", a déclaré Mouad Bouchareb, coordinateur de l'instance dirigeante du FLN à l'issue d'une réunion à huis clos de la direction du parti.

Pour sa part, le général Ahmed Gaïd Salah, chef de l'armée, a salué "les hauts faits aux objectifs nobles et aux intentions pures" du peuple algérien.

Le général, qui est également vice-ministre de la Défense, semble prendre clairement ses distances avec le chef de l'Etat, qui a décidé de rester à son poste au-delà de l'expiration de son quatrième mandat le 28 avril prochain, dans l'attente de l'élaboration d'une nouvelle Constitution et de l'élection de son successeur.

Le mois passé a été "marqué par les hauts faits aux objectifs nobles et aux intentions pures, à travers lesquels le peuple algérien a clairement exprimé ses valeurs et ses principes de travail sincère et dévoué à Allah et à la patrie", a déclaré le chef de l'armée mardi, lors d'une visite dans la région de Béchar, rapporte mercredi la presse algérienne.

En début de semaine, le général Salah avait assuré que l'armée demeurait "le rempart du peuple et de la Nation (...) à travers un lien sacré".

"UNE ÉNORME ERREUR"

L'armée a souvent joué un rôle déterminant en coulisses lors des moments décisifs dans l'histoire du pays. En 1992, elle avait annulé les élections que les islamistes s'apprêtaient à remporter, ce qui a entraîné une guerre civile qui a fait quelque 200.000 morts.

Autre signe de l'évolution politique en Algérie, le Rassemblement national démocratique (RND), influente formation de la coalition gouvernementale et jusqu'ici soutien fidèle de Bouteflika, a dénoncé la décision du président de rester au pouvoir.

Le RND rejoint ainsi le camp des politiques, syndicalistes et hommes d'affaires qui ont décidé ces derniers jours de ne plus soutenir le chef de l'Etat, 82 ans, très affaibli depuis un AVC en 2013 et dont la rue exige le départ.

"La candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un nouveau mandat était une énorme erreur", a déclaré Seddick Chihab, porte-parole du RND, sur la chaîne de télévision El Bilad.

"Des forces extra-constitutionnelles se sont emparées du pouvoir au cours des dernières années et dirigent les affaires de l'Etat en dehors d'un cadre légal", a-t-il affirmé.

Au pouvoir depuis vingt ans, Bouteflika a accepté de faire un geste pour apaiser le mouvement de protestation suscité par l'annonce de sa candidature à un cinquième mandat consécutif.

Sous la pression de la rue, il a finalement accepté de la retirer et d'organiser une transition politique, mais a décidé de rester en fonction jusqu'à ce que cette dernière soit menée à son terme par l'adoption d'une nouvelle Constitution.

L'élection présidentielle prévue le 18 avril a été reportée sine die.

En visite mercredi à Berlin, le vice-Premier ministre Ramtane Lamamra a redit que le président remettrait le pouvoir à un successeur démocratiquement élu après l'élaboration d'une nouvelle Constitution approuvée par le peuple.

"RÉPONDRE AUX DEMANDES DU PEUPLE"

Les concessions du pouvoir n'ont pas calmé la contestation qui voit chaque vendredi plusieurs centaines de milliers de personnes descendre dans les rues des principales villes du pays.

Le chef de file du RND, Ahmed Ouyahia, ancien Premier ministre qui entretient des liens étroits avec les services de renseignement, a lui aussi changé de camp.

"Il faut répondre aux demandes du peuple aussi vite que possible", notait-il dans un courrier adressé à ses partisans dimanche.

Le frère du chef de l'Etat, Saïd, qui fait partie du premier cercle des fidèles que les manifestants accusent d'être les dirigeants de fait du pays, reste pour sa part très discret.

Mardi, "Jour de la Victoire" marquant l'anniversaire du cessez-le-feu qui a mis fin à la guerre d'indépendance en 1962, des milliers d'étudiants, de professeurs d'université et de médecins ont défilé à Alger pour demander le départ de Bouteflika.

Une "coordination nationale pour le changement", nouvellement créée et qui réunit dirigeants politiques et membres de l'opposition, a appelé le président à abandonner ses fonctions dès le 28 avril.

Dans une "plateforme pour le changement", cette coordination fait allusion au frère du président et au diplomate Lakhdar Brahimi qui doit présider la conférence nationale chargée selon le plan gouvernemental de préparer la transition.

"Le peuple algérien n'acceptera aucune démarche de cercles visant à faire durer le système actuel, que ce soit de l'entourage du 'frère', de 'l'ami' ou d'autres cercles occultes", a affirmé la coordination.

(Avec Michael Georgy; Pierre Sérisier et Guy Kerivel pour le service français)