"Gilets jaunes" : Polémique sur le recours à l'armée

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gilets jaunes: polemique sur le recours a l'armee[reuters.com]
(Crédits : Gonzalo Fuentes)

PARIS (Reuters) - Le gouvernement a pris le risque de déclencher une nouvelle polémique en évoquant le recours aux militaires du dispositif antiterroriste Sentinelle pour appuyer policiers et gendarmes dans les opérations de sécurisation, après le saccage des Champs-Elysées samedi lors de manifestations de "Gilets jaunes".

"En confiant à l'armée des missions, même limitées, de maintien de l'ordre, le gouvernement prend un risque majeur et porte gravement atteinte aux libertés publiques", a ainsi réagi la Ligue des droits de l'Homme (LDH) dans un communiqué.

"Confier à des militaires la charge de s'opposer éventuellement à des manifestants revient à transformer ces derniers en ennemis. C'est la paix civile que le gouvernement met en péril", a-t-elle ajouté.

Un point de vue partagé par des spécialistes des questions de défense et de sécurité comme Alain Bauer, pour qui "il faut faire attention avec les symboles" : "Ce n'est pas parce que l'on est inexpérimenté et totalement inculte en matière de maintien de l'ordre qu'il faut faire n'importe quoi", a-t-il dit dans le cadre de l'émission "C dans l'air" sur La Cinq.

Pour l'avocat Thibault de Montbrial, "le risque est énorme" et le gouvernement offre ainsi aux groupes extrémistes la possibilité d'aller "directement au contact des militaires".

Lui aussi évoque, sur Twitter, le "risque d'affrontements symboliquement désastreux et tactiquement catastrophiques".

La perspective de l'emploi de militaires a donné lieu à des échanges musclés mercredi soir sur BFM TV entre François Bayrou (MoDem), Olivier Faure (PS), Stanislas Guerini (LaREM), Marine Le Pen (RN), Jean-Luc Mélenchon (LFI) et Laurent Wauquiez (LR).

"L'armée, on l'envoie contre des ennemis ! Pas contre les Français !" a ainsi déclaré la dirigeante d'extrême droite Marine Le Pen, se rangeant de facto dans le même camp que son adversaire d'extrême gauche Jean-Luc Mélenchon, qui a pris à partie le centriste François Bayrou, allié d'Emmanuel Macron.

Selon le porte-parole du gouvernement, Benjamin Griveaux, le chef de l'Etat a annoncé mercredi en conseil des ministres une "mobilisation renforcée" de Sentinelle pour sécuriser certains sites. Le but est de "permettre aux forces de l'ordre" de se concentrer sur le maintien et le rétablissement de l'ordre.

MILITAIRES RÉTICENTS

En réalité, Sentinelle est déjà mis à contribution depuis le début du mouvement des "Gilets jaunes", le 17 novembre dernier, mais l'annonce du gouvernement a redonné de la visibilité à cette participation dans un moment de forte tension.

Une publicité de nature à indisposer les militaires eux-mêmes, traditionnellement réticents à leur participation à des opérations de ce type.

Le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, a pris soin d'ailleurs jeudi matin, en installant le nouveau préfet de police de Paris, de préciser que "les militaires de Sentinelle ne doivent en aucun cas participer au maintien de l'ordre".

"Ils se substitueront pour garder des bâtiments qui ne seront pas exposés à un risque de manifestation", a-t-il précisé par la suite lors des questions au gouvernement au Sénat.

"Il y a eu un emballement, cet emballement peut être clos immédiatement, je tiens à vous rassurer", a ajouté le ministre.

Le colonel Guillaume Thomas, porte-parole adjoint de l'état-major des armées, a rappelé que les "militaires n'ont pas vocation à participer à du maintien de l'ordre", alors qu'"ils ne sont ni entraînés, ni formés, ni équipés" pour cela.

"Les soldats n'auront pas vocation à se retrouver au contact des manifestants ce week-end", a-t-il assuré lors d'un point de presse. Pour lui, il n'y a donc "pas de raison de s'inquiéter, parce qu'il n'y a pas de raison de voir des soldats de l'opération Sentinelle au contact des émeutiers" présumés.

Le cas échéant, les militaires feront appel aux forces de sécurité intérieures s'ils étaient témoins de pillages ou d'autres exactions, a fait valoir le porte-parole.

Il a assuré qu'il n'y avait "jamais eu de problème avec des manifestants ou des 'Gilets jaunes'". Pourtant, un véhicule de Sentinelle a bien été incendié à Paris en février, au pied de la Tour Eiffel, lors d'un samedi de manifestations.

Le porte-parole a refusé de dévoiler les sites qui seront protégés par Sentinelle. "Ce ne seront pas des sites qui seront à proximité des manifestations prévues".

(Sophie Louet et Emmanuel Jarry, édité par Yves Clarisse)