Procès requis pour l'ex-patron de l'IAAF Lamine Diack

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Le pnf requiert le renvoi de lamine diack en correctionnelle[reuters.com]
(Crédits : Jason Lee)

par Emmanuel Jarry

PARIS (Reuters) - Le Parquet national financier (PNF) demande le renvoi devant un tribunal de l'ancien patron de la fédération internationale d'athlétisme (IAAF), Lamine Diack, et de son fils Papa Massata Diack, pour corruption et blanchiment de corruption.

Il a notifié lundi son réquisitoire aux parties, a-t-on appris de source proche du dossier.

Le responsable sénégalais et son fils, homme d'affaires et consultant en marketing de l'IAAF au moment des faits, sont accusés d'avoir retardé contre paiement la sanction d'athlètes soupçonnés de dopage, notamment russes, avec la complicité active de dirigeants de l'athlétisme russe.

Ils sont ainsi accusés d'avoir sollicité, directement ou indirectement, auprès de ces sportifs des remises d'espèces pour un montant total évalué à 3,45 millions d'euros.

"Sous la direction de son président et forte de plusieurs années de malversation, l'IAAF a réussi à concilier corruption et encouragement du dopage", estime le procureur financier dans son réquisitoire, que Reuters a pu consulter.

"Son programme d'action, proche de la négation absolue de sa mission, permettait, contre paiements, à des athlètes dopés d'un pays de continuer à concourir et à participer aux plus grandes compétitions mondiales", ajoute-t-il.

La marathonienne Lilya Shoboukova a ainsi reconnu avoir versé au total 600.000 euros pour pouvoir participer aux Jeux olympiques de 2012 à Londres.

Finalement suspendue par la fédération russe (ARAF) en 2014, elle a obtenu le remboursement de 300.000 euros par le biais d'une société basée à Singapour, Black Tidings, gérée par un homme de paille de Papa Massata Diack, dit PMD.

Ce virement bancaire et la marathonienne ont fini par attirer l'attention de la commission d'éthique de l'IAAF et de l'Agence mondiale antidopage (AMA), ainsi qu'un reportage de la chaîne de télévision allemande ARD fin 2014.

"ORGANISATION CRIMINELLE"

Selon l'accusation, d'autres témoignages et documents ont mis en lumière l'attitude "extrêmement complaisante" de membres de l'IAAF envers l'ARAF, susceptible d'être "la contrepartie d'accords commerciaux relatifs aux droits télévisuels" sur le championnat du monde d'athlétisme de Moscou en 2013.

Parmi ces responsables figuraient aussi l'avocat français Habib Cissé, conseiller juridique de Lamine Diack, le médecin français Gabriel Dollé, responsable du département antidopage de l'IAAF au moment des faits, l'ancien trésorier de l'IAAF et ex-président de l'ARAF Valentin Balakhnitchev, et l'ex-entraîneur de l'équipe russe d'athlétisme Alexeï Melnikov.

Ces quatre hommes sont aussi visés par le réquisitoire du PNF, mais les deux derniers sont en fuite en Russie et sous le coup depuis le 29 janvier d'un mandat d'arrêt international, de même que PMD (depuis décembre 2015), réfugié au Sénégal.

Gabriel Dollé, poursuivi pour corruption, a reconnu les faits et demandé à bénéficier de la procédure du "plaider coupable", ce qui ne lui a pas été accordé à ce stade.

Selon l'accusation, l'enquête a établi que Lamine Diack avait mis en place au sein de l'IAAF "une véritable organisation criminelle (...) spécialisé dans la corruption, le blanchiment et le détournement de fonds" avec son fils, Habib Cissé, Gabriel Dollé, Valentin Balakhnitchev et Alexeï Melnikov.

Lamine Diack, 85 ans, sous contrôle judiciaire en France, a admis avoir conclu fin 2011 un accord avec Valentin Balakhnitchev portant sur au moins 1,5 million d'euros, afin de financer la campagne présidentielle de Macky Salle au Sénégal.

Contacté par Reuters, son nouvel avocat, Me William Bourdon, n'a pas souhaité faire de commentaire à ce stade.

UNE ENQUÊTE TENTACULAIRE

Le juge d'instruction chargé de ce dossier a trois mois pour décider de donner suite à la demande du PNF. Mais ce n'est qu'un volet du vaste système mis en place par Lamine Diack à la faveur de sa longue présidence de l'IAAF (1999-2015) et de l'influence ainsi acquise auprès des pays africains.

Lorsque les enquêteurs se sont intéressés aux opérations financières de la Black Tidings, ils sont ainsi tombés sur deux transferts d'argent avec pour origine "Tokyo 2020 Olympic Games" les 30 juillet et 28 octobre 2013, pour un montant total de 1,8 million d'euros. Juste avant et juste après l'attribution en septembre de la même année de ces Jeux olympiques d'été.

Le PNF s'intéresse aussi à ce deuxième volet, qui a valu au président du Comité olympique japonais Tsunekazu Takeda d'être mis en examen en France le 10 décembre 2018, et de renoncer à ses fonctions, y compris au Comité international olympique.

Les investigations sur ce volet sont encore en cours. Là aussi le système mis en place par le clan Diack pour s'enrichir lors de l'attribution de grands événements sportifs comme les JO de Rio ou les championnats du monde d'Athlétisme, ou des droits marketing et télévisuels de ces événements en partenariat avec la multinationale japonaise Dentsu, est tentaculaire.

Dernièrement, les regards se sont tournés vers le Qatar, avec l'audition en tant que témoin assisté du président du PSG, Nasser al-Khelaïfi, sur le versement suspect de 3,5 millions de dollars en 2011 à une société de PMD, en marge de la candidature de cette principauté du Golfe aux mondiaux d'athlétisme.

(Edité par Sophie Louet)