Les déplacés syriens supplient la Turquie d'ouvrir sa frontière

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Les deplaces syriens supplient la turquie d'ouvrir sa frontiere[reuters.com]
(Crédits : Murad Sezer)

par Khalil Ashawi

ATMEH, Syrie (Reuters) - Les dizaines de milliers de Syriens chassés par les bombardements de l'armée de Bachar al Assad et de son allié russe dans la province d'Idlib ne cachent pas leur colère et leur frustration de voir la Turquie refuser de leur ouvrir sa frontière.

Le mur frontalier qui se dresse à quelques dizaines de mètres des camps de déplacés offre à ces derniers une sécurité relative, les frappes aériennes étant rares dans ce secteur, mais il les empêche aussi de fuir la zone de conflit et de rejoindre les millions de Syriens déjà partis à l'étranger.

"La Turquie est désormais notre seule issue", explique Abou Abdallah, qui avait fui son village au début du conflit en 2011 pour trouver refuge à Qalaat al Madiq, avant de reprendre la route en mai lorsque la ville est passée sous le contrôle des forces gouvernementales syriennes.

Il vit désormais dans une tente plantée au milieu d'un champ d'oliviers, à une cinquantaine de mètres seulement de la terre promise turque.

Quelque 180.000 civils ont fui les récents bombardements, qui ont fait des dizaines de morts dans le sud de la province d'Idlib où de violents combats opposent les forces de Bachar al Assad aux rebelles qui défendent leur dernier bastion.

Le gouvernement syrien dit avoir répondu à des attaques de combattants du groupe djihadiste Hayat Tahrir al Cham, même si de source proche de l'opposition, on relève que l'offensive gouvernementale ne se concentre pas sur la partie centrale d'Idlib où le groupe lié à Al Qaïda est le plus actif.

La plupart des bombardements ont au contraire visé la zone tampon mise en place autour de la province dans le cadre d'un accord conclu en septembre 2018 entre la Russie et la Turquie, qui soutient certains rebelles, pour éviter un assaut de grande envergure contre la province aux trois millions d'habitants.

Un des douze postes d'observation militaires établis par la Turquie pour superviser cette zone de "désescalade" a récemment été bombardé.

"QUE CETTE TORTURE PRENNE FIN"

L'absence de réaction d'Ankara face à l'offensive des forces de Damas et son refus concomitant d'ouvrir sa frontière exaspèrent les déplacés.

"Je n'avais jamais demandé à aller en Turquie auparavant", témoigne Khsara Ahmed al Hussein, 32 ans. "Mais si vous mettez en place une zone de désescalade, vous me garantissez que je ne serai pas bombardé et ensuite même le poste d'observation turc est bombardé par le régime... alors de quel genre de protection parle-t-on quand vous ne pouvez pas vous protéger vous-mêmes?"

Avant de se résigner à prendre la route de l'exil, la famille de Khsara Ahmed al Hussein avait creusé des trous à l'extérieur de sa maison pour y dormir à l'abri des bombes, jusqu'à ce que la situation devienne intenable.

Suivant un mode opératoire désormais bien rodé, les frappes aériennes syriennes et russes ont détruit 18 centres de santé et des dizaines d'écoles, selon le décompte de l'OCHA (Bureau de la coordination des affaires humanitaires de l'Onu), rendant la vie des habitants impossible.

Au moins 38 enfants ont été tués depuis le début du mois dernier, d'après l'organisation Save the Children.

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a souligné la semaine dernière que les bombardements visant des hôpitaux et des écoles ne relevaient pas de la lutte contre le terrorisme. Son ministre de la Défense s'est entretenu lundi avec son homologue russe de la situation à Idlib.

Mais les civils pris au piège n'ont plus guère d'espoir. "Je veux que cette torture prenne fin", dit Oum Bassam, qui a réussi à mettre ses enfants à l'abri en Turquie il y a un an mais a dû rester en Syrie avec son mari. "Personne ne préfère un pays étranger au sien, mais je veux échapper aux bombardements et voir mes enfants."

(Avec Sarah Dadouch; Tangi Salaün pour le service français)