Les marchés s'attendent à un long combat de la BCE pour ranimer l'inflation

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Les marches s'attendent a un long combat de la bce pour ranimer l'inflation[reuters.com]
(Crédits : Kai Pfaffenbach)

par Dhara Ranasinghe

LONDRES (Reuters) - L'annonce inattendue et spectaculaire par le président de la Banque centrale européenne (BCE), Mario Draghi, qu'elle était prête si nécessaire à une nouvelle phase d'assouplissement monétaire a mis un coup d'arrêt à la détérioration des anticipations d'inflation à long terme mais Mario Draghi a encore fort à faire pour convaincre les investisseurs que la zone euro peut échapper à une japonisation de son économie.

La BCE est prête à utiliser toute la flexibilité permise par son mandat si l'inflation ne converge pas vers son objectif, a déclaré mardi Mario Draghi, déclenchant la plus forte baisse quotidienne des rendements longs au sein de la zone euro depuis un an, les investisseurs estimant qu'une baisse du taux de dépôt - pourtant déjà négatif de 40 points de base - voire une reprise des achats massifs d'actifs étaient de nouveau à l'ordre du jour.

Ses propos ont aussi enrayé la chute accélérée des anticipations de marché à long terme pour l'inflation au sein de la zone euro, qui illustrait les doutes croissants des investisseurs sur la capacité de la BCE à atteindre son objectif d'une hausse des prix inférieure mais proche de 2% sur un an.

Mesurées par le point mort d'inflation implicite à cinq ans dans cinq ans, elles étaient tombées à un plus bas record de 1,1350% vendredi; elles ont nettement rebondi après la sortie de Mario Draghi, enregistrant leur plus forte hausse en une séance depuis le début de leur suivi.

Elles se maintenaient mercredi à un plus haut de deux semaines à 1,29%, encore loin toutefois de l'objectif de la BCE.

"Etant donné que les anticipations d'inflation déterminent en principe l'inflation réalisée à l'avenir (...) nous pouvons voir que Draghi essaye d'éviter la perspective de la déflation", a dit Justin Onuekwusi, gérant chez Legal & General Investment Management.

Des analystes estiment que l'évolution de cette mesure-clé des anticipations d'inflation, très suivie par les banques centrales, donne raison à Mario Draghi dans sa promesse de faire "tout ce qu'il faudra" pour éviter une baisse des prix, mais qu'elle souligne aussi l'ampleur de sa tâche.

"La hausse du point mort d'inflation implicite à cinq ans dans cinq ans est un signe que la BCE regagne une certaine crédibilité dans l'atteinte de ses objectifs mais il faudra que les actes suivent", prévient Benjamin Schroeder, responsable de stratégies taux chez ING.

Une baisse de dix points de base du taux de dépôt de la BCE d'ici octobre est désormais considérée comme acquise par les marchés et une autre est attendue en 2020.

Les prévisionnistes de Commerzbank s'attendent quant à eux à une initiative sur les taux dès le mois de juillet.

Ce revirement s'inscrit dans le cadre d'un retournement plus général des anticipations de taux directeurs des grandes banques centrales au cours des six derniers mois.

La BCE n'est en effet pas seule à être confrontée à une inflation faible et à la dégradation des anticipations d'inflation.

Aux Etats-Unis, les anticipations de marché de l'inflation à cinq ans dans cinq ans se sont aussi orientées à la baisse ces derniers mois et sont désormais sous le seuil de 2%, au plus bas depuis 2016.

Une partie du problème pour les banques centrales provient de changements structurels - du vieillissement de la population aux changements technologiques en passant par l'insertion dans le commerce mondial de pays à bas coûts de main d'oeuvre - qui freinent la hausse des prix.

Moins de 10% des investisseurs interrogés en juin par Bank of America Merrill Lynch pensent que l'inflation augmentera à l'échelle mondiale l'année prochaine, une proportion qui s'est réduite de près d'un tiers en un mois.

Tous les indicateurs de l'inflation n'envoient pas de signaux aussi inquiétants que les anticipations à cinq ans dans cinq ans, ce qui alimente les interrogations sur l'attention potentiellement excessive que la BCE leur porterait.

Les salaires au sein de la zone euro ont progressé au premier trimestre à leur rythme le plus soutenu depuis que la mesure en est effectuée.

Marco Valli, responsable de la recherche macroéconomique d'UniCredit, souligne que les mesures de l'inflation issues de l'économie réelle sont conformes voire supérieures à leur moyenne de long terme, contrairement à la situation qui prévalait entre fin 2014 et début 2016, soit avant que les mesures d'assouplissement quantitatif de la BCE ne soient mises en oeuvre et commencent à produire leurs effets.

L'indice de sentiment économique de l'institut allemand ZEW, qui prend en compte les anticipations d'inflation, a reculé ces derniers mois mais demeure bien au dessous des points bas enregistrés au cours de la crise des dettes souveraines de la zone euro en 2011-2012.

La tâche de la BCE pour relancer les anticipations d'inflation à long terme est d'autant plus ardue que l'inflation, à 1,2% seulement en rythme annuel, demeure bien en deçà de l'objectif en dépit de taux directeurs à des plus bas records et d'un programme d'achats massifs d'actifs qui a porté sur 2.600 milliards d'euros.

La BCE n'a plus atteint son objectif d'inflation depuis 2013.

"Le problème est que la BCE est très proche de l'épuisement de ses instruments de politique monétaire; il est clair qu'elle ne peut plus baisser les taux qu'une fois, deux au maximum", a dit Ulrich Leuchtmann, responsable de la recherche sur les changes de Commerzbank.

"La BCE, comme toutes les autres banques centrales, est proche de l'extinction de ses moyens, ce qui signifie que chaque initiative est moins efficace qu'elle ne l'aurait été normalement."

Et la chute des anticipations d'inflation à cinq ans dans cinq ans (en baisse de 30 points de base depuis le début de l'année) inquiète parce qu'elle souligne le peu de crédit que les investisseurs accordent à la BCE sur sa capacité à remplir son mandat.

"Les anticipations d'inflation sont des données importantes", souligne Silvia Dall'Angelo, économiste chez Hermes Investment Management.

"Elles donnent une impulsion à l'inflation vers la cible et comme les anticipations d'inflation ne sont actuellement plus cohérentes avec l'objectif, il est très difficile pour la BCE de ranimer l'inflation."

(Avec Karin Strohecker, Helen Reid, Sujata Rao, Marc Joanny pour le service français, édité par Marc Angrand)