Orange propose d'indemniser les victimes de la crise des suicides

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Orange propose d'indemniser les victimes de la crise des suicides[reuters.com]
(Crédits : Mohamed Abd El Ghany)

par Emmanuel Jarry

PARIS (Reuters) - Orange a annoncé jeudi, à l'issue du procès pour harcèlement moral d'ex-dirigeants de France-Télécom, son intention de réparer sans attendre les "souffrances" infligées à ses salariés par les restructurations des années 2006 à 2010.

L'entreprise a connu une vague de suicides d'avril 2008 à juin 2010, au plus fort d'un plan visant à réduire ses effectifs de 22.000 personnes et à en déplacer 10.000 autres.

Pour la première fois pour une entreprise du CAC 40, le ministère public a requis vendredi dernier de la prison ferme contre l'ancien PDG Didier Lombard et six autres ex-dirigeants de France Télécom, devenu Orange en 2013.

Un an de prison assorti de 15.000 euros d'amende ont ainsi été requis contre Didier Lombard, 77 ans, son ancien directeur des ressources humaines Olivier Barberot, 64 ans, et l'ex-directeur des opérations France, Louis-Pierre Wenes, 70 ans.

Après deux mois et demi d'audience et les dernières plaidoiries, le secrétaire général d'Orange, Nicolas Guérin, qui représentait la personne morale France-Télécom, a été jeudi le dernier à prendre la parole à la barre.

Il a contesté, comme tous les prévenus, l'idée d'un harcèlement organisé, généralisé, passible de sanctions pénales, et celle d'une politique d'entreprise visant à déstabiliser les salariés, mais reconnu "au moins une responsabilité morale".

"Nous reconnaissons que les transformations de France-Télécom ont généré des cas de souffrances individuelles que l'entreprise n'a, hélas, pas toujours su prévenir", a-t-il déclaré. "Dans certains cas, ces souffrances peuvent constituer des préjudices susceptibles d'être réparés."

DÉLIBÉRÉ LE 20 DÉCEMBRE

Il a précisé qu'Orange, dans le cadre d'un plan d'action présenté le 26 juin au conseil d'administration par l'actuel PDG, Stéphane Richard, allait lancer "une réflexion quant à une procédure d'indemnisation de préjudices individuels".

"A l'issue des audiences, nous engagerons une discussion en ce sens avec nos partenaires sociaux", a-t-il ajouté.

La présidente du tribunal a évalué le montant total des demandes d'indemnisation à ce jour à environ deux millions d'euros, ce qui ne préjuge pas de nouvelles demandes à venir.

Nicolas Guérin a expliqué à Reuters qu'il y aurait probablement une multitude de recours après le jugement, mis en délibéré au 20 décembre prochain, ce qui retarderait d'autant l'exécution de décisions de justice en matière d'indemnisation.

D'où la volonté d'Orange d'anticiper et de financer ces réparations sans attendre. "Cela fait dix ans que les victimes attendent, notre responsabilité morale, c'est de les indemniser, c'est de les aider", a-t-il dit, précisant que cela comprendrait la réparation de préjudices autres que financiers.

Ce processus d'indemnisation répond à une demande des syndicats d'Orange, a déclaré à Reuters Sébastien Crozier, responsable de la CFE-CGC, qui souhaite cependant que ce soient in fine les prévenus eux-mêmes qui financent ces réparations.

"La demande que nous faisons, c'est que l'entreprise soit une garantie, une anticipation, mais pas une exonération du paiement des indemnités par les prévenus personnes physiques", a-t-il dit.

"C'EST LE DÉBUT"

L'ordonnance de renvoi en correctionnelle a retenu le cas de 39 victimes, dont 18 suicides et 13 tentatives en deux ans.

Mais la procureure Brigitte Pesquié avait souligné dans son réquisitoire qu'un "nombre énorme de personnes", bien au-delà de ces 39 cas, étaient concernées.

"Les deux millions d'euros, c'est le début parce qu'il y a 120 parties civiles supplémentaires et il y a des dizaines de milliers de salariés qui peuvent décider de demander des indemnités", a estimé Sébastien Crozier.

Les sept ex-dirigeants avaient maintenu tout au long du procès leur ligne de défense, niant leur responsabilité dans la vague de suicides ou de dépressions et défendant les plans "Next" et "Act" de réduction de la masse salariale au nom des contraintes économiques qui pesaient alors sur l'entreprise.

Leurs avocats ont tous demandé la relaxe pour leurs clients et demandé au tribunal de ne pas céder au "désir de vengeance" ou à la tentation de faire de ce procès un "symbole".

L'un des avocats de Didier Lombard, Me Jean Veil, a néanmoins estimé que l'indemnisation annoncée par Orange pouvait contribuer à l'apaisement du climat dans l'entreprise.

(Emmanuel Jarry, édité par Yves Clarisse)