Syrie : La Turquie dit qu'elle n'empêchera plus les migrations vers l'Europe

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Syrie: la turquie, apres la mort de soldats, dit qu'elle n'empechera plus les migrations vers l'europe[reuters.com]
(Crédits : Umit Bektas)

par Orhan Coskun et Ezgi Erkoyun

ANKARA/ISTANBUL (Reuters) - Face à l'intensification des combats dans la province syrienne d'Idlib qui ont provoqué jeudi la mort de plusieurs dizaines de soldats turcs et au risque d'un nouvel afflux de migrants, la Turquie va cesser d'empêcher les réfugiés syriens de rejoindre l'Europe, a déclaré un haut représentant turc.

Plusieurs groupes de migrants se sont dirigés dès vendredi matin en direction des frontières grecques et bulgares, ont constaté des journalistes de Reuters, conduisant les autorités d'Athènes et Sofia à renforcer les patrouilles.

Une frappe aérienne menée par les forces gouvernementales syriennes contre la province d'Idlib, dernier bastion des insurgés dans le nord-ouest du pays, a tué 33 soldats turcs et blessé plusieurs autres, a annoncé séparément vendredi matin le gouverneur de la province turque de Hatay, frontalière de la Syrie.

En représailles à cette attaque, a déclaré le directeur des communications de la Turquie, Fahrettin Altun, toutes les cibles gouvernementales syriennes "connues" sont sous le feu de l'aviation turque soutenue par des unités au sol.

Recep Tayyip Erdogan a prévenu ce mois-ci que la Turquie lancerait une vaste opération militaire pour mettre fin à l'offensive des forces gouvernementales syriennes à moins que celles-ci ne se retirent de la région.

Le président turc a tenu une réunion d'urgence avec ses conseillers pendant plusieurs heures jeudi soir pour discuter de la frappe aérienne qui a alourdi à 54 le nombre de soldats turcs tués depuis le début du mois.

L'Otan, à laquelle appartient la Turquie, s'est réunie ce vendredi à la demande des autorités d'Ankara et a appelé la Russie et la Syrie à cesser leur offensive à Idlib.

"Nous appelons la Russie et le régime syrien à cesser les combats et les attaques aériennes aveugles (...) Nous appelons aussi la Russie et la Syrie à respecter pleinement le droit international", a déclaré Jens Stoltenberg lors d'une conférence de presse à l'issue d'une rencontre entre les ambassadeurs de l'alliance.

L'offensive des forces syriennes, avec l'appui de l'aviation russe, pour reprendre la province d'Idlib aux rebelles soutenus par Ankara a fait près d'un million de déplacés depuis décembre dernier, dont beaucoup cherchent à passer en Turquie. Il s'agit de la pire crise humanitaire depuis le début du conflit en 2011.

Si elle met à exécution sa menace de laisser le champ libre aux migrants de faire route vers l'Europe, la Turquie rompra une promesse faite à l'Union européenne en 2016 et pourrait pousser les puissances occidentales à s'impliquer dans les débats sur Idlib au détriment des négociations entre Ankara et Moscou.

Dans l'optique d'une possible arrivée de réfugiés en provenance d'Idlib, la police, les garde-côtes et le personnel turcs de sécurité aux frontières ont reçu l'ordre de se retirer des passages terrestres et maritimes utilisés par les migrants, a déclaré à Reuters un représentant turc.

"Nous avons décidé, avec effet immédiat, de ne plus empêcher les réfugiés syriens d'atteindre l'Europe par voie terrestre ou maritime", a dit ce représentant, s'exprimant sous couvert d'anonymat. "Tous les réfugiés, dont les Syriens, sont désormais invités à pénétrer dans l'Union européenne".

Il a ajouté que l'accueil des réfugiés était un fardeau "trop lourd à porter pour un seul pays", quel qu'il soit.

"GRAVE INQUIÉTUDE"

La Turquie a accueilli 3,7 millions de réfugiés syriens depuis le début du conflit et a répété par le passé qu'elle ne pouvait en accueillir davantage.

Dans le cadre d'un accord conclu entre Ankara et Bruxelles en 2016, l'Union a fourni plusieurs milliards d'euros d'aide à la Turquie pour que celle-ci endigue l'afflux de migrants vers l'Europe.

A Washington, le département d'Etat a déclaré que les Etats-Unis étaient très préoccupés par les informations faisant état d'une attaque contre des soldats turcs.

"Nous nous tenons au côté de notre allié de l'Otan, la Turquie, et continuons d'appeler à la fin immédiate de cette offensive odieuse menée par le régime d'Assad, la Russie et des forces soutenues par l'Iran", a dit dans un communiqué un représentant de la diplomatie américaine.

Le secrétaire général de l'Onu, Antonio Guterres, a fait part de sa "grave inquiétude" à l'égard de l'escalade des affrontements dans le nord-ouest de la Syrie, réitérant son appel à une trêve immédiate.

Les forces syriennes du président Bachar al Assad, soutenues par d'incessantes frappes aériennes russes, ont intensifié ces derniers mois leur offensive pour reprendre les dernières positions de l'insurrection dans le nord-ouest.

Le conflit en Syrie a causé la mort de plusieurs centaines de milliers de personnes et déplacé plusieurs millions d'autres.

Ankara a dépêché plusieurs milliers d'hommes et du matériel lourd dans le Nord-Ouest syrien pour épauler les rebelles qui cherchent à repousser l'offensive menée par les forces gouvernementales, qui avait déjà causé la mort de 21 soldats turcs depuis le début du mois.

Tandis que les affrontements s'intensifiaient sur plusieurs fronts jeudi, les Nations unies ont souligné que ces combats avaient des conséquences humanitaires "catastrophiques", avec au moins 134 civils dont 44 enfants tués au cours du seul mois de février et des écoles et des hôpitaux détruits.

La Turquie a appelé par le passé l'Europe à faire davantage pour remédier à la crise à Idlib, et Recep Tayyip Erdogan a prévenu l'an passé que son pays pourrait "ouvrir la porte" aux migrants si l'Europe échouait à agir.

(avec Ali Kucukgocmen à Istanbul, Tuvan Gumrucku à Ankara; version française Jean-Philippe Lefief et Jean Terzian, édité par Blandine Hénault)