Augmentation de salaire (+52%) de Pouyanné, Pdg de TotalEnergies : Berger (CFDT) veut un débat sur la répartition de la richesse

Par Jérôme Cristiani  |   |  1103  mots
Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, était, ce mercredi 19 octobre, l'invité de L'interview politique, l'émission d'Adrien Gindre dans Les Matins LCI. (Crédits : LCI)
La stratégie du patron de TotalEnergies de publier hier un tweet pour faire taire ses pourfendeurs qui l'accusent de "s'être augmenté de 52%" l'an passé a eu des effets contraires à celui recherché. Interrogé sur LCI à ce propos, le secrétaire général du premier syndicat de France a saisi l'opportunité de remettre sur la table ses sujets de prédilection comme le partage de la valeur ajoutée et la participation au bien commun.

 « Je n'aime pas la chasse à l'homme », répliquait Laurent Berger, le secrétaire général du premier syndicat de France, la CFDT, au présentateur Adrien Gindre qui l'interrogeait, sur le plateau de LCI, à propos d'un tweet visiblement maladroit posté la veille par le Pdg de TotalEnergies, Patrick Pouyanné.

Le tweet en question, Patrick Pouyanné l'avait écrit mardi pour mettre un terme aux accusations qui couraient sur l'augmentation de 52% qu'il se serait accordé l'an passé.

Pouyanné et l'effet "Streisand"

Cette augmentation de +52% est vraie si l'on se contente d'une comparaison sur un an, mais ressemble plus à une simple remise à niveau par rapport à ses niveaux de salaires antérieurs si l'on regarde l'évolution de son salaire sur les 5 années précédentes : en effet, Patrick Pouyanné avait baissé volontairement - et exceptionnellement - son salaire de -36,4% en 2020, eu égard aux mauvais résultats du groupe cette année-là.

Je suis fatigué de cette accusation de "m'être augmenté de 52%" - voici la vraie évolution de ma rémunération depuis 2017 - elle est constante sauf 2020 car j'ai volontairement amputé mon salaire et ma part variable a normalement baissé avec les résultats de #totalenergies l https://t.co/QdqtVuwuew pic.twitter.com/BYIgxaX4VD

— Patrick Pouyanné (@PPouyanne) October 18, 2022

Le problème, c'est que ce fut un peu «l'effet Streisand» lequel désigne un effet médiatique involontaire, exactement à l'opposé de l'effet recherché, une bonne partie de l'opposition étrillant le Pdg du pétrolier français : de François Ruffin (LFI) lui reprochant l'indécence de sa rémunération, équivalente à "2.545 SMIC" selon ses calculs - la vérité étant plus proche des "plus de 380 SMIC" dénoncés par Charles Fournier (EELV) -, à Olivier Faure (Parti Socialiste) tweetant un lapidaire « Il va falloir redescendre sur terre », en passant par Ian Brossat (PCF) qui brocarde le Pdg  ("À deux doigts de faire la queue aux Restos du Cœur...").

« Je vais être très franc, c'est hors sol. »

De fait, si la stratégie du patron de TotalEnergies de publier un graphique montrant l'évolution de sa rémunération sur 5 ans semble avoir été pour une part contre-productive, cette maladresse a néanmoins donné l'opportunité à Laurent Berger de remettre en avant deux de ses chevaux de bataille que sont le partage de la valeur ajoutée et la participation au bien commun.

Après avoir été interrogé sur les mérites de l'action de la CGT dans les raffineries et la journée de grève de la veille d'où la CFDT était absente, le présentateur des Matins de LCI demandait au secrétaire de la CFDT si Patrick Pouyanné avait eu raison de faire ces deux tweets sur son augmentation de 52% :

« Est-ce que vous êtes de ceux qui disent "c'est indécent comme prise de parole", ou de ceux qui disent "il a raison de vouloir ramener de la rationalité dans la réalité des chiffres"?, questionnait Adrien Gindre.

Laurent Berger répond oui à la première proposition :

« Je vais être très franc, c'est hors sol. Certes, on peut pas contester, quand on regarde la courbe, qu'effectivement, il ne s'est pas augmenté de 52%. Mais on parle d'un salaire, de mémoire, de 6 millions d'euros par an. Et donc ma réaction, c'est que ça ne peut être que mal reçu. »

À partir de là, Laurent Berger réoriente le sujet sur le versant politique :

« Vous savez dans la vie, il y a la rationalité - les faits -, et puis aussi le symbole. Le symbole qu'il ne faut jamais déconnecter des faits. Le symbole c'est que des hauts dirigeants dans notre pays sont trop payés. D'ailleurs, il n'y a pas qu'eux, les footballeurs aussi sont trop payés. »

« Comment ça, "trop payés " ? », l'interpelle Adrien Gindre.

« Il y a un sujet rémunérations de dirigeants »

Laurent Berger répond par le fait que, dans les circonstances actuelles, ce tweet a un côté déconnecté de ce que vit "la population qui cherche à vivre décemment", mais qu'il faut arrêter de se focaliser sur le Pdg de TotalEnergies ("moi j'aime pas la chasse à l'homme") pour regarder le problème global, qui se décompose en deux volets, explique-t-il.

« (D'abord) Il y a un sujet rémunérations de dirigeants. Ça, ça se règle, y compris dans la loi. Nous (la CFDT), on avait plaidé depuis longtemps pour un écart maximal de rémunération dans les entreprises.

Il évoque le deuxième volet du problème :

« Le deuxième élément, c'est que, ce qui est posé pour Total, c'est (d'une part) la répartition de la richesse avec les salariés, et (d'autre part), sa contribution au bien commun. »

Crainte du retrait de l'amendement sur les super-dividendes

Il poursuit :

« C'est là qu'il faut élargir le débat, moi, je crois que les profits réalisés par Total ou par d'autres, doivent être réinvestis dans le bien commun. Et donc la question de la taxation des revenus du capital au même niveau que les revenus du travail est posée dans notre pays. Parce que cela permettra de faire vivre des services publics, des systèmes de solidarité, qui sont aujourd'hui en tension. C'est ça qu'il faut traiter comme débat. Mais évitons de traiter avec mépris la question des symboles », a plaidé le leader syndical.

Selon le secrétaire de la CFDT, le gouvernement ferait une "faute politique" en enlevant l'amendement MoDem sur la taxation des "superdividendes" de la première partie du budget pour 2023, pour lequel Élisabeth Borne devrait recourir au "49.3".

La mise en garde d'Olivier Veran

Mais l'opposition n'est pas la seule à fustiger la maladresse du PDG de TotalEnergies. Ce même mercredi le porte-parole du gouvernement, Olivier Véran, a lancé un avertissement à Patrick Pouyanné l'enjoignant d'être "extrêmement attentif" au "message" qu'il envoie à l'opinion publique sur son salaire, et l'exhortant à travailler "d'arrache-pied" pour résoudre le conflit social dans son groupe.

Comme on lui demandait, lors du compte-rendu du Conseil des ministres, si cette communication était une faute politique et une faute de communication, Olivier Veran a rétorqué ce matin :

« La réponse est dans la question. »

Mais le porte-parole du gouvernement avait conclu sa déclaration en ces termes :

« M. Pouyanné gagne 5, 6 millions d'euros par an. Il a été amené à réduire ses revenus, si on peut parler de "réduction", à 3,5 millions [en 2020, Ndlr]. Bon, c'est les règles de l'entreprise, c'est pas les règles de l'État, c'est pas de l'argent public qui est donné, voilà. »

(avec LCI, AFP)