Assurance-chômage : les pistes explosives du gouvernement

Par Grégoire Normand  |   |  868  mots
Bonus-malus pour limiter les contrats courts, dégressivité des indemnités... Lors de ses deux grands oraux devant l'Assemblée nationale et le Sénat, Edouard Philippe a apporté quelques précisions sur la future réforme de l'assurance-chômage qui doit être présentée le 18 juin prochain.

Les organisations professionnelles serrent les dents. À quelques jours de la présentation de la réforme de l'assurance-chômage, le Premier ministre Edouard Philippe a esquissé quelques pistes relatives aux contrats courts et à la dégressivité des indemnités dans ses deux discours de politique générale adressés à l'Assemblée nationale et au Sénat.

"Revaloriser le travail implique de rénover profondément notre système d'assurance-chômage. Le plein-emploi n'est ni une utopie ni un néologisme allemand. C'est un objectif réaliste auquel on a trop longtemps renoncé faute de vision et de courage", a déclaré le locataire de Matignon devant les sénateurs ce jeudi matin.

Un système de bonus-malus

Dans son adresse, l'ancien maire du Havre a indiqué qu'il voulait "responsabiliser les entreprises qui abusent des contrats courts, à travers le bonus-malus sur les 5 à 10 secteurs qui abusent des contrats courts". Les secteurs ayant le plus recours aux contrats courts (CDD de moins d'un mois) sont notamment l'hôtellerie-restauration, l'hébergement médico-social, la santé et l'action sociale, les enquêtes d'opinion, l'audiovisuel, les arts et spectacles. "Dans les autres secteurs, nous prendrons une mesure transversale pour décourager le recours aux CDD d'usage", a ajouté Edouard Philippe.

Dans un rapport commandé par la délégation sénatoriale aux entreprises, l'observatoire française de conjonctures économiques (OFCE), rattaché à Sciences-po Paris, rappelait que le nombre de contrats courts avait quasiment triplé depuis 2000. Outre ce recours à outrance dans certains secteurs, la durée de ces contrats avait tendance à diminuer et le phénomène de réembauche était particulièrement criant dans certains secteurs.

Le boom des contrats courts a contribué à l'explosion de la précarité chez certains travailleurs et a plombé les comptes de l'Unedic. Le principe du bonus-malus est de faire varier le taux de cotisation d'assurance chômage d'une entreprise en fonction de son taux de rupture de contrats donnant lieu à inscription à Pôle emploi. L'objectif est de pénaliser les entreprises qui abusent des CDD courts et font financer les creux de leur activité par l'assurance chômage.

Dégressivité des indemnités pour certaines catégories

L'autre piste évoquée qui risque d'alimenter les mécontentements est la mise en place "d'une dégressivité de l'indemnisation pour les salariés qui perçoivent les salaires les plus élevés et qui sont en mesure de retrouver un emploi plus vite que les autres". Durant les négociations de l'assurance-chômage, ce sujet avait provoqué de vives tensions au sein des partenaires sociaux débouchant même sur un échec. L'Etat avait repris la main sur ce système assurantiel remettant en cause le principe du paritarisme. Par ailleurs, si l'objectif du gouvernement est de favoriser un retour plus rapide à l'emploi, ce type de proposition est loin d'avoir fait ses preuves. Selon les travaux de l'économiste de l'OFCE, Bruno Coquet, "la seule évaluation empirique - qui porte sur l'expérience française des années 1990 - montre que la dégressivité aurait alors « ralenti le retour à l'emploi »".

"La dégressivité est une mesure délicate car ayant pour effet principal de taxer les chômeurs de longue durée, sans garantir le redressement des comptes de l'Unedic ni celui des comportements de reprise d'emploi."

Levée de boucliers

Les deux grands oraux du chef du gouvernement n'ont pas manqué de provoquer des réactions dans les organisations professionnelles. Le groupement des professions de services qui regroupe 27 fédérations professionnelles et 21 entreprises a déclaré dans un communiqué publié ce jeudi 13 juin que le dispositif du bonus-malus et la mesure transversale pour décourager le recours aux CDD d'usage "étaient discriminatoires. Elles sont plus punitives qu'efficaces au regard de l'enjeu qu'elle prétendent servir : la lutte contre la précarité. Elles touchent de plein fouet des secteurs de services qui sont massivement créateurs d'emplois, moteur de l'intégration sociale et par ailleurs en tension de recrutement.  À la confédération des PME (CPME), les oppositions se multiplient  :

"La confirmation d'un bonus-malus pour décourager le recours abusif aux contrats courts est en soi une mauvaise nouvelle. Cela signifiera, quels que soient les contours du dispositif qui sera présenté le 18 juin, que certaines entreprises qui embauchent verront augmenter leurs charges. Il est également étonnant de prétendre mettre en place une dégressivité des allocations des cadres aux revenus les plus élevés au prétexte qu'ils peuvent retrouver facilement un emploi et de s'y refuser catégoriquement pour les chômeurs recherchant un travail dans les secteurs en tension."

De leur côté, la CFE-CGC et UGICT-CGT ont lancé une pétition contre la dégressivité et le plafonnement des allocations chômage des cadres. "Cette disposition serait scandaleuse, inefficace et porterait un coup déterminant à un système contributif, assurantiel et qui est le socle d'une solidarité efficace, depuis de longues années, entre salariés actifs et salariés privés", expliquent les deux organisations dans un communiqué. Chez Force Ouvrière, on "conteste également la dégressivité que veut imposer aux cadres le gouvernement, rappelant que les cadres contribuent beaucoup plus en recettes pour le régime qu'ils n'en bénéficient".