Benoît Hamon s'avance un peu vite sur le non-recours au RSA

Par Jean-Christophe Catalon  |   |  909  mots
En France, "on peut être pauvre et pourtant ne pas toucher de RSA. Pourquoi ? Parce qu'un tiers de ceux qui y ont droit, n'y recourent pas. On a un système d'allocation qui n'est pas automatique", a déclaré Benoît Hamon ce jeudi matin.
Le candidat à la primaire de la gauche fait référence à une étude vieille de cinq ans et estime que le revenu universel serait une réponse efficace au problème.

Avoir droit à des aides et ne pas en bénéficier. La formule paraît contradictoire, mais le phénomène existe. Le revenu de solidarité active (RSA) fait partie de ces allocations qui accusent un fort taux de non-recours. Invité politique de BFMTV-RMC ce jeudi matin, le candidat à la primaire de la gauche et des écologistes, Benoît Hamon s'en est indigné (à partir de 11'20'' sur la vidéo) :

"Ce qui est frappant dans notre système actuel, c'est qu'on peut être pauvre et pourtant ne pas toucher de RSA. Pourquoi ? Parce qu'un tiers de ceux qui y ont droit, n'y recourent pas. On a un système d'allocation qui n'est pas automatique."

Mais cette proportion est-elle aussi élevée qu'il le prétend ?

Une étude de 2011

Si les chiffres du chômage tombent chaque mois, on ne peut pas en dire autant des études sur le non-recours. Celles-ci sont plutôt rares et la dernière ciblant spécifiquement le RSA, à laquelle Benoît Hamon fait référence, date de 2011. Réalisée pour le Comité d'évaluation du RSA, elle évalue le taux moyen de non-recours à 49%, autrement dit, une personne éligible sur deux n'y avait pas recours, représentant 5 milliards d'euros de prestations non versées selon l'Odenore (Observatoire des non-recours aux droits et services). Stricto sensu, en se basant sur le contexte de l'époque, Benoît Hamon sous-estime le nombre de personnes concernées.

Or, auparavant ce minimum social était réparti en trois composantes :

  • Le RSA socle seul (destiné aux personnes sans activités);
  • Le RSA activité seul (destiné aux personnes exerçant une activité faiblement rémunérée);
  • Le RSA socle et activité (les deux aides pouvaient être cumulées sous certaines conditions).

Sauf que le RSA activité a fusionné avec la prime pour l'emploi, lors de la création de la prime d'activité en 2015 . Aujourd'hui, le RSA ne représente plus que sa composante "socle" d'hier, dont effectivement "un tiers de ceux qui y ont droit, n'y recourent pas"... mais en 2011!

Pourquoi le non-recours ?

Le non-recours recouvre plusieurs réalités. Pour en comprendre ses origines, Philippe Warin(*), chercheur au CNRS et co-fondateur de l'Odenore, a dressé une typologie du phénomène. Il identifie quatre grandes formes de non-recours :

  • La non-connaissance :

Il s'agit de la plus massive selon l'universitaire. Elle concerne les personnes éligibles qui ne savent pas qu'elles peuvent bénéficier de telle ou telle prestation. Soit parce que l'information ne leur est pas donnée, soit parce qu'elle leur a été mal ou insuffisamment expliquée par les prestataires.

Parfois, ce sont les agents eux-mêmes qui ont une mauvaise connaissance des prestations. "La complexité du système, avec une multiplication des critères d'éligibilité qui évoluent souvent, demande de s'informer presque quotidiennement", souligne Philippe Warin.

  • La non-réception :

La demande est déposée, mais les droits tardent à être ouverts ou les prestations ne sont pas intégralement reçues. Des droits sont parfois bloqués parce qu'un justificatif n'a pas été livré par le demandeur. Il faut dire que du côté des prestataires, "les moyens humains ne sont pas équilibrés avec le flux et les charges", explique Philippe Warin.

  • La non-proposition :

Lorsque la demande de certaines prestations croit trop rapidement, des difficultés budgétaires peuvent survenir pour assurer leur versement. Les prestataires choisissent donc parfois de répondre au plus urgent, à ceux dont la situation demande d'être traitée rapidement, et omettent de proposer la même aide à d'autres pourtant éligibles.

  • La non-demande :

 Toutes ces contraintes citées plus haut peuvent créer une sorte de lassitude chez les demandeurs, qui finissent par ne plus déposer de dossier, par abandonner. D'autres refusent de faire de demandes par culture, en se disant "il y a plus malheureux que moi" et préfèrent laisser les prestations sociales aux autres.

Le revenu universel, "une prestation magique" ?

Benoît Hamon n'a pas abordé cette question du non-recours au hasard. Il s'agit pour lui de critiquer le processus actuel de délivrance des minima sociaux, pour mettre en avant sa proposition d'un revenu de base :

"Il serait verser à tous les Français à partir de 18 ans. Comme il est automatique, il a cet immense avantage d'éradiquer beaucoup plus surement la pauvreté puisqu'il ne repose pas sur le fait que l'on fasse une démarche, quand on est pauvre, pour obtenir son allocation."

En toute logique, "l'automaticité est une réponse probablement très efficace pour faire chuter le non-recours", confirme Philippe Warin, citant l'exemple des Pays-Bas qui expérimentent la mise en place d'un revenu universel.

En revanche, le chercheur reste plus "dubitatif" sur l'efficacité d'une "prestation magique" qui viendrait éradiquer la pauvreté. "On peut craindre que les moyens soient insuffisants pour financer un revenu d'un montant significatif. Si l'on est sur une prestation de 500 à 600 euros par mois, ce sera insuffisant, ne serait-ce que pour se loger", souligne le chercheur.

"Avoir un système de prestations efficace relève du choix politique. Pour cela, il faut repenser les dépenses, car investir aujourd'hui pour lutter contre la précarité, c'est éviter qu'un plus grand nombre de personnes n'y sombre et n'entraîne plus de dépenses demain."

 > Lire aussi : le revenu universel, une idée d'avenir, vraiment ?

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(*) Philippe Warin, Le non-recours aux politiques sociales, éditions Presses universitaires de Grenoble (PUG), 2016.