Brexit : Bercy veut préparer les entreprises "au pire"

Par Grégoire Normand  |   |  1025  mots
Le volume d'affaires avec le Royaume-Uni s'élève à 60 milliards d'euros par an et un Brexit sans accord pourrait coûter 0,2 point de PIB (4,7 milliards d'euros), selon Bercy. Environ 20.000 entreprises françaises exportent au Royaume-Uni. (Crédits : Christian Hartmann)
Le gouvernement qui a réuni plusieurs fédérations professionnelles ce mardi au ministère des Finances exhorte les entreprises "à ne pas perdre de temps" pour se préparer à un Brexit sans accord.

À moins de deux mois de la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne, les entreprises françaises sont plongées dans le brouillard plus de trois ans après le vote sur le Brexit. Et la situation est loin de s'éclaircir. Mardi après-midi, le Premier ministre Boris Johnson a perdu sa majorité absolue au Parlement après la défection d'un député conservateur opposé à sa vision radicale d'un Brexit sans accord. Après un report au printemps, les établissements français qui échangent avec le Royaume-Uni sont désorientés dans leur stratégie à adopter.

Face à cette situation chaotique, le gouvernement a de nouveau tiré la sonnette d'alarme dans l'enceinte du ministère de l'Économie ce mardi 3 septembre. Lors d'un point presse, la secrétaire d'État, Agnès Pannier-Runacher a répété qu'il fallait "continuer à mobiliser les entreprises pour qu'elles soient prêtes et qu'elles anticipent au mieux les conséquences d'un Brexit le 31 octobre. Il y a un avant et un après avec la décision du peuple britannique. Quelle que soit la relation future avec le Royaume-Uni, ce ne sera pas les mêmes relations dans lesquelles nous évoluons aujourd'hui, dans le cadre d'un marché unique. Se préparer le plus tôt possible, c'est gagner du temps".

Les risques d'un "no deal"

Depuis son arrivée au pouvoir, Boris Johnson assure que le Royaume-Uni quittera l'Union européenne le 31 octobre prochain "coûte que coûte", avec ou sans accord négocié avec Bruxelles. Une sortie sans accord de l'économie britannique entraînerait des conséquences juridiques immédiates.

"Elles doivent être anticipées. On a besoin que chaque entreprise se saisisse du sujet. On comprend que la négociation diplomatique soit abstraite, mais aujourd'hui, les entreprises doivent se préparer au pire même si la diplomatie essaye de préparer la meilleure sortie possible", a ajouté la secrétaire d'État. Surtout, "de nombreuses PME et TPE n'ont pas les services juridiques pour faire une veille précise sur les sujets qui sont en train de se construire [...] Il est possible qu'on ait les règles du jeu au tout dernier moment".

De son côté, la secrétaire d'État aux Affaires européennes, Amélie de Montchalin,  a expliqué que "300.000 Français vivaient au Royaume-Uni et 150.000 Britanniques vivent en France. Des milliers d'entreprises dépendent directement des relations commerciales avec le Royaume-Uni. Avec le Brexit, on voit que Boris Johnson est entré dans une campagne très claire en faveur d'une sortie le 31 octobre disant clairement qu'il ne voulait pas du deal qui était sur la table".

L'ancienne députée de l'Essonne a regretté le manque de propositions du côté de Downing Street.

"Lorsqu'il est venu au G7, nous lui avons dit que l'Union européenne avait travaillé pendant deux ans et demi avec le Royaume-Uni et qu'il devait nous faire savoir très concrètement s'il y avait des choses qui ne lui plaisaient pas dans les négociations précédemment menées. Pour l'instant, nous n'avons pas reçu de propositions sur des alternatives de la part des Britanniques".

La frontière irlandaise demeure un point de crispation des deux côtés de la Manche.

"Nous voulons conserver la paix entre les deux Irlande. Pour cela, il faut éviter le plus possible d'avoir des infrastructures physiques de contrôle. Il faut faciliter sur cette île, la circulation des personnes. Tant que nous n'avons pas trouvé de meilleures solutions, des normes sanitaires vont continuer à s'appliquer à l'Irlande du Nord pour nous assurer que ce qui traverse la frontière corresponde à nos besoins. Nous sommes prêts à discuter du futur sur la base de proposition", a-t-elle ajouté.

La nécessité d'une "frontière intelligente"

Pour éviter aux sociétés de transport de marchandises de perdre du temps au passage des frontières, les membres du gouvernement ont insisté sur la nécessité de mettre en place une "frontière intelligente".  "Le point essentiel, c'est la frontière intelligente pour les entreprises qui exportent" c'est-à-dire "la dématérialisation des formalités de passage aux douanes" préparées en amont par les transporteurs sous forme de télédéclaration, a détaillé Mme Pannier-Runacher.

"Cette frontière ne fonctionnera que si l'ensemble des opérateurs des relations économiques entre le Royaume-Uni et la France joue le jeu avec une anticipation des formalités en douane avant d'arriver à la frontière. Le transporteur de marchandises devra être en possession d'un code-barre de la déclaration de douane effectuée au préalable [...] Il faut mettre l'accent sur l'automatisation des informations de passage", a ajouté le secrétaire d'État à la fonction publique Olivier Dussopt.

Le volume d'affaires avec le Royaume-Uni s'élève à 60 milliards d'euros par an et un Brexit sans accord pourrait coûter 0,2 point de PIB (4,7 milliards d'euros), selon Bercy. Environ 20.000 entreprises françaises exportent au Royaume-Uni. Pour faire face au futur accroissement d'activité, Olivier Dussopt a expliqué que "le gouvernement avait acté le recrutement de 700 douaniers, dont 600 sont déjà recrutés". Selon des chiffres communiqués par l'exécutif, "5 millions de camions passeraient la frontière tous les ans contre un million en 1993".

Flous au Royaume-Uni

L'exécutif s'inquiète particulièrement du flou persistant de l'autre côté de la Manche à la fois sur le niveau des droits de douane qui seront imposés aux produits de l'UE et sur certaines procédures sanitaires, phytosanitaires et vétérinaires.

"On n'a pas le catalogue des tarifs de douane du Royaume-Uni", a déploré la secrétaire d'État chargée des Affaires européennes, qui estime toutefois que "le no-deal, c'est un moment, ce n'est pas un état qui sera prolongé" notamment parce que les Britanniques n'y ont pas intérêt.

Avec une sortie sans accord, le Royaume-Uni pourrait redevenir un pays tiers. Les relations commerciales entre l'Union européenne et la monarchie pourraient être alors régies par les règles de l'organisation mondiale du commerce (OMC).

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