"Tout ce qui pénalise les femmes dans les entreprises est devenu intolérable" Brigitte Grésy

Par Audrey Fisne  |   |  1073  mots
Brigitte Grésy est secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes. (Crédits : DR)
Le gouvernement doit publier sa feuille de route pour combler l'écart de 9%, à postes équivalents, entre le salaire des femmes et celui des hommes. Brigitte Grésy, secrétaire générale du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEPFH), dresse un état des lieux.

LA TRIBUNE - La loi dit "À travail de valeur égale, salaire égal". Pourtant, malgré l'arsenal législatif, les sanctions, les inégalités salariales persistent en France. Comment l'expliquez-vous ?

BRIGITTE GRÉSY - La question de l'écart de rémunération est une question compliquée. L'écart qui sépare le salaire moyen des femmes de celui des hommes est de 24% environ. On explique actuellement les deux-tiers des facteurs d'écart de rémunérations : le temps partiel, les effets de secteur, les contrats ou les différences de capital humain. Pour agir sur ces facteurs, on a toute une série de leviers dits "structurels". Les entreprises peuvent travailler à limiter le temps partiel pour qu'il ne soit plus subi. Pour réduire les écarts de salaires, elles peuvent aussi faire en sorte que la classification des emplois aide à une meilleure prise en compte des métiers majoritairement féminins. Autre piste, les employeurs peuvent agir pour que, au retour des congés maternité, les femmes ne soient plus systématiquement bloquées en termes de promotion. Enfin, on peut travailler sur la mixité des emplois, des embauches et de l'accès à la formation. Malgré tout, il reste un noyau dur résiduel de 9%, inexpliqué. C'est ce que l'on appelle la discrimination statistique.

Justement, le gouvernement s'est donné cinq ans pour supprimer cet écart inexpliqué de 9% entre le salaire d'une femme et celui d'un homme exerçant le même métier. Comment atteindre cet objectif, selon vous ?

La solution la plus facile, mais pas forcément la plus acceptable au sein d'une entreprise, c'est, quand elle arrive à déterminer un noyau résiduel, de faire une enveloppe de rattrapage salariale. Première difficulté, il faut éviter d'effectuer ce rattrapage salarial en même temps que les augmentations collectives ou individuelles des autres salariés. Comme il s'agit d'un rattrapage, il faut gérer ça stratégiquement, pour que ce soit considéré comme le « rattrapage d'une inégalité » et que ce ne soit pas mélangé avec des augmentations dues à l'ancienneté ou au mérite. Il faut décider de la façon de procéder (« Est-ce qu'il est plus judicieux de distribuer l'enveloppe un petit peu à l'année N, un petit peu à l'année N + 2 ou bien est-ce que je fais le maximum tout de suite ? »). Une chose est sûre, si l'on n'agit pas sur les causes, il y aura un risque que d'autres facteurs d'inégalités renaissent. Par exemple, si j'ai une politique d'embauche non mixte ou si le salaire d'embauche des femmes est inférieur à celui des hommes, je retrouverais d'ici à quelques années un autre écart de salaire.
Mais on voit bien que cela n'est pas suffisant. Il faut, de fait, travailler sur d'autres leviers: sur la sensibilisation aux stéréotypes et au sexisme notamment. Ce sont tous ces stéréotypes qui perdurent et qui, finalement, dévalorisent les métiers majoritairement féminins.
L'autre clé est de travailler sur une politique de transparence collective dans l'entreprise. Si on commence à se positionner les uns par rapport aux autres, les femmes pourront par exemple voir que des hommes qui ont moins d'années d'ancienneté, sont mieux payés qu'elles. L'idée est de savoir comment elles se situent dans une grille par rapport aux salariés qui ont le même coefficient qu'elles, le même âge, la même ancienneté. Cela crée une forme de vigilance. Cette transparence est déjà un petit peu organisée puisque, aujourd'hui, les partenaires sociaux ont accès à toutes les bases de données économiques et sociales. Mais cela suppose que les données soient claires et bien compréhensibles, ce qui n'est pas toujours le cas.

Il existe déjà des contraintes à ce sujet...

En effet, les entreprises ont obligation de produire une synthèse de leur accord "Égalité professionnelle", de l'afficher dans les locaux et de la mettre sur leur site Internet. Trois indicateurs y sont obligatoires : le salaire médian et moyen par catégorie professionnelle; les plus hautes rémunérations et la durée entre deux promotions par catégorie professionnelle. Le problème, c'est que seulement 30 à 40% des entreprises ont un accord ou un plan égalité. Et parmi elles, beaucoup ne font pas la synthèse. C'est le parent pauvre de l'accord égalité. Pour un salarié, c'est finalement assez difficile de se positionner. Et puis, autre action possible, on peut travailler sur des sanctions plus automatiques, renforcer les contrôles pour qu'il y ait davantage d'accords et de plans.

Des sanctions sont aussi prévues.

Certes, mais, depuis 2013, il n'y a eu qu'une centaine de pénalités prononcées (1) pour "défaut d'accord" ou de plan et environ 1.200 mises en demeure. Au regard du nombre d'entreprises françaises, ça ne fait pas beaucoup.

Est-ce que vous pensez que les entreprises sont prêtes à s'investir pour lutter contre ces inégalités ?

Le sujet des écarts de rémunérations a pris une place tout à fait particulière depuis que l'on a mis l'accent, dernièrement, sur les harcèlements sexuels. Avant, on parlait déjà de sexisme et de rapports interpersonnels renforcés par des stéréotypes de sexe, mais maintenant c'est carrément de l'atteinte au corps dont il s'agit. Il y a une prise de conscience très forte du statut des femmes dans les organisations de travail avec l'idée que, non seulement leur intégrité physique peut être atteinte par le harcèlement sexuel ou l'agression sexuelle, mais aussi leur identité au travail. Leur reconnaissance peut être atteinte par l'expression du sexisme, mais en plus, quand elles travaillent, elles gagnent moins. Il y a un côté un peu intolérable d'un édifice à plusieurs étages qui pénalise les femmes. Et ce, alors que les femmes sont plus diplômées que les hommes. Finalement, le sentiment d'injustice et de traitement différencié s'est accru très fortement, notamment avec le phénomène "Balance ton porc".

Propos recueillis par Audrey FISNE

> Pour aller plus loin, lire notre dossier complet : Quelle place pour les femmes dans l'économie ?

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(1) Les entreprises de plus de 50 salariés doivent négocier un accord collectif sur l'égalité professionnelle ou mettre en place un plan d'action unilatéral. Depuis 2013, des pénalités financières peuvent être infligées aux entreprises qui ne respectent pas la loi.