"Ce quinquennat a été liberticide pour les petites mutuelles"

Par Fabien Piliu  |   |  770  mots
" Décidés par les pouvoirs publics, les changements de notre environnement réglementaire font que nous ne pouvons quasiment plus décider de notre stratégie, de la nature des prestations que nous proposons à nos adhérents, ni souvent du montant de leurs cotisations", explique Philippe Mixe, le président de la FNIM.
Dans un entretien accordé à La Tribune, Philippe Mixe, le président de la Fédération nationale indépendantes des mutuelles (FNIM) tire la sonnette d'alarme. Selon lui, la politique du gouvernement est en passe de jeter à bas le système mutualiste.

La Tribune - Le gouvernement vient de présenter le dernier projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) de son quinquennat. Quel bilan tirez-vous de ce mandat pour le monde mutualiste ?

Philippe Mixe - Je ne peux pas vraiment m'exprimer pour l'ensemble des mutuelles, mais pour celles qui ont rejoint notre fédération et dont le nombre augmente au fil des mois. Ce que je pense de ce quinquennat ? Il a été liberticide pour une grande partie du monde mutualiste, en particulier les plus petites mutuelles, les acteurs de terrain, autonomes et indépendants.

Les mots sont forts. De quelles libertés ces mutuelles ont été privées ?

Décidés par les pouvoirs publics, les changements de notre environnement réglementaire font que nous ne pouvons quasiment plus décider de notre stratégie, de la nature des prestations que nous proposons à nos adhérents, ni souvent du montant de leurs cotisations. A l'origine, le mouvement mutualiste, qui reposait sur l'engagement des adhérents, était universaliste. Le principe de solidarité entre les générations, entre les personnes en bonne santé et les personnes à risques était la règle. En nous imposant la mise en place de prestations dédiées à telle ou telle catégorie de population, en encadrant la définition des paniers de soins tels que ceux de la CMU, des ACS, de l'ANI, voire un jour peut-être celui des plus de 65 ans, le gouvernement remet en cause l'indépendance et l'autonomie des mutuelles.

Mais quel est son objectif ?

En asphyxiant les petites mutuelles, en concentrant le marché, le gouvernement pense peut-être parvenir à mieux le réguler, probablement pour faire pression sur le niveau et le prix des prestations, dans une logique dirigiste ne laissant que peu de place à l'initiative.

Le gouvernement se trompe selon vous ?

C'est une erreur d'appréciation majeure. Selon la logique économique, c'est la concurrence qui permet de réduire les prix, pas les situations de monopole ou d'oligopole. C'est pourtant à cette situation que la politique gouvernementale conduit, en témoigne la décision du gouvernement de transposer en droit français une directive européenne qui, au départ, ne concernait pas les mutuelles.

Précisément ?

Le gouvernement doit transposer en droit français une directive européenne portant sur la réforme de l'audit. Les entreprises concernées par cette réforme sont les entités d'intérêt public (EIP). Pour Bruxelles, les mutuelles ne sont pas des EIP. Paris a décidé l'inverse sans que la Commission européenne ne lui demande rien. Pour les mutuelles, c'est un coup dur !

Qu'est-ce qu'une EIP ?

C'est une entité qui, si elle défaille sur le plan financier, peut déclencher une catastrophe systémique. Que les grandes banques et les grandes compagnies d'assurances soient des EIP, bien sûr, mais pas 99% des 400 sociétés qui composent le monde mutualiste tricolore. Rien ne peut justifier que nos mutuelles de terrain soient atteintes par le « syndrome LehmanBrothers ».

Quelles peuvent être les conséquences de cette réforme pour les mutuelles ?

Nous espérons que le Conseil constitutionnel soit saisi du sujet, car si le texte est adopté en l'état, cette réforme contraindra les petites mutuelles à de nouvelles obligations, et à faire auditer leurs comptes par des grandes compagnies de conseil. Elles ne pourront plus recourir aux commissaires aux comptes de proximité. Vous imaginez bien que la facture et les frais de gestion ne seront pas les mêmes. Les citoyens, les chefs d'entreprises font souvent le procès de l'Europe mais Bruxelles est souvent un bouc émissaire ! Dans ce dossier, ce n'est pas l'Europe qui brime les entreprises, mais le gouvernement français. Nous sommes loin du choc de simplification annoncé !

Certains experts semblent redouter une modification des règles de conventionnement des mutuelles qui gèrent le régime obligatoire des indépendants. Partagez-vous ces craintes ?

Oui, il y a actuellement un projet de décret particulièrement inquiétant. Si ce projet devient réalité, le monde mutualiste de demain n'aura plus rien à voir sur le sujet avec celui d'aujourd'hui. Actuellement, pour être conventionnée, une mutuelle doit posséder 23.000 bénéficiaires. D'après ce projet, le gouvernement souhaiterait faire passer ce nombre à 600.000 ! Pour la plus grande mutuelle, qui flirte avec ce seuil, ce projet n'aura que peu de conséquences. Pour les plus petites, ce sera bien différent. Forcées de se regrouper pour continuer à exister, elles perdront leur identité, leur autonomie, alors qu'elles sont les véritables créatrices du lien social indispensable à notre société.