Climat social : jusqu'où ira la tension française ?

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  904  mots
A l'image des taxis en 2015, les tensions catégorielles pourraient fortement s'accentuer en 2016
La dernière note de conjoncture sociale réalisée par l'association Entreprise & Personnel ne table pas sur une explosion sociale en France mais pronostique une forte montée des tensions catégorielles et locales.

Ça se tend mais ça ne va pas forcément exploser au niveau national. En revanche, les conflits locaux pourraient se multiplier. C'est, en substance, ce qui caractérise le climat social actuel, selon la dernière note de conjoncture sociale réalisée chaque année par Entreprise & Personnel (E&P), une association qui regroupe plus d'une centaine de dirigeants d'entreprises afin d'échanger sur les problématiques liées aux ressources humaines et aux relations du travail.


La montée des tensions au sein de la société

Selon E&P donc, cette fin d'année 2015 est marquée par une montée des « tensions » alors que la situation économique peine à se décanter. Et ces tensions sont partout. Tensions politiques à gauche dans la perspective des élections régionales qui s'annoncent très difficiles... Sans oublier l'élection présidentielle qui apparaît déjà en point de mire. Tensions croissantes également au sein du monde syndical « avec un fossé croissant entre acteurs des réformes et opposants ». A cet égard, le récent accord sur les retraites complémentaires a en effet montré ce clivage. Mais tensions également dans l'opinion, après les évènements d'Air France et le débat qui s'est instauré sur « la violence réelle est la violence symbolique ». Tensions enfin dans le débat intellectuel avec le phénomène des « néo réac ».

E&P constate aussi une certaine radicalisation dans le domaine social, avec des camps "qui ont durci leurs discours". Ainsi, plusieurs thème apparaissent totalement clivants : « pour ou contre le Code du travail, pour ou contre une décentralisation du dialogue social, échec ou réussite du dialogue social à la française, régression sociale ou nouveaux droits, etc. ».

La flexibilité du travail à la française existe déjà

A cet égard, E&P semble s'étonner de la focalisation des débats sur le faux problème du droit du travail dont la complexité jouerait contre l'emploi. Pour ces professionnels des relations sociales, pas vraiment connus pour leur « gauchisme », « la flexibilité à la française existe » déjà : encadrement des licenciements, « barèmisation » des indemnités prud'homales, rupture conventionnelle du contrat de travail, recours amplifiés aux CDD et à l'intérim, etc.

Pour E&P : « Difficile d'aller plus loin sans se rapprocher d'un système à l'américaine (liberté de se libérer à tout moment d'un collaborateur) mais où le contrat social implicite repose sur une croissance priorisée et donc la possibilité elle aussi rapide de retrouver un emploi ».

Vers davantage de conflits locaux et catégoriels

Mais la question centrale que pose la note d'E&P est de savoir s'il y a un risque d'explosion sociale en France ? Les évènements d'Air France seraient-ils précurseurs de cette déflagration ? Les analystes d'E&P, à la lumière de leurs nombreuses interventions en entreprises n'y croient pas trop. Ils continuent de penser que "c'est lors des élections que le mécontentement s'exprimera" et non pas dans la rue. D'ailleurs, la note d'E&P estime qu'il est peu réducteur de parler d'un seul « climat social ». En fait, il y aurait différentes réalités à différents niveaux.

Ainsi, au niveau interprofessionnel, les mouvements sociaux sont quasi anecdotiques. Les journées d'action organisées par les confédérations syndicales ne remportent aucun succès. Toujours au niveau national, en revanche, les mouvements catégoriels se multiplient. Les mobilisations successives  des taxis, des paysans, des avocats, des policiers etc. pont payé. A chaque fois, le gouvernement a, en toute ou partie, reculé, ne voulant prendre aucun risque d'une déflagration sociale.

E&P s'attend aussi à de vives tensions dans le secteur public aux prises avec la nécessité de se restructurer. Il y a eu Radio France, puis Air France. Demain se sera peut-être le tour de la SNCF et de La Poste. Mais les experts d'E&P croient davantage « à des conflits éclatés sur le territoire autour le plus souvent de petites structures ».

Au niveau des entreprises privées, E&P perçoit un certain retour de la conflictualité, notamment sur la question des salaires. Selon la note, le « pilotage de la négociation annuelle obligatoire (NAO) 2016 sur les salaires va être délicat », tant les salariés ont le sentiment d'avoir perdu en pouvoir d'achat. Des conflits locaux sont donc très fortement envisagés.

Pas de déflagration nationale

En résumé, selon E&P, « Il semble que cette année 2015 marque un basculement progressif de la résignation vers des mobilisations, certes indépendantes les unes aux autres, chacune sur ses objectifs, mais nourries en arrière plan par un cran de plus dans le rejet de la politique gouvernementale par une fraction militante du mouvement syndical ».

Et d'ajouter :


"La politique menée aujourd'hui est comprise par une partie du salariat comme excessivement favorable aux entreprises, déséquilibrée, autrement dit « de droite ». Les sorties du ministre de l'Economie, la volonté du Premier ministre d'affirmer une posture d'autorité avec des mots forts sont exploitées et perçues comme autant de provocations".

Mais rien « n'explosera » sur la scène nationale car, selon la note, « ni la CGT, ni l'extrême gauche, ni FO ne sont capables d'organiser des mobilisations massives ».
En revanche, donc, les « colères » catégorielles risquent de se multiplier.