Comment le chômage peut-il autant reculer avec une croissance en baisse ?

Par Marie Heuclin, AFP  |   |  656  mots
Pour une même augmentation du PIB, on crée aujourd'hui plus d'emplois qu'auparavant. (Crédits : Reuters)
Comment expliquer cette déconnexion entre croissance et emploi, quand depuis des décennies les responsables politiques et les économistes jugeaient que pour réduire le chômage, il fallait avant tout soutenir l'activité? L'évolution du type d'emplois créés et les réformes du marché du travail donnent des éléments de réponse.

Une croissance en fort recul et un chômage qui baisse nettement: c'est le paradoxe apparent de l'économie française en 2019. Un phénomène qui s'explique notamment par l'évolution du type d'emplois créés et les réformes du marché du travail.

Selon les données publiées jeudi par l'Insee, le taux de chômage a nettement baissé en 2019 pour s'afficher à 8,1% fin décembre, tiré en particulier par les créations nettes d'emplois, qui ont atteint 210.000 dans le privé, après 230.000 en 2018.

Une performance remarquable dans un contexte de croissance en net repli: le PIB français n'a progressé que de 1,2% l'an dernier, après 1,7% en 2018.

Comment expliquer cette déconnexion entre croissance et emploi, quand depuis des décennies les responsables politiques et les économistes jugeaient que pour réduire le chômage, il fallait avant tout soutenir l'activité?

D'abord, "il y a en général un petit décalage temporel entre un fléchissement de l'activité ou une accélération de l'activité et sa répercussion en termes d'emploi", note Julien Pouget, chef du département de la conjoncture de l'Insee. La baisse du chômage de l'an dernier illustrerait ainsi les bonnes performances de l'économie française en 2017 (2,4% de croissance) et dans une moindre mesure en 2018 (1,7%).

Mais les fortes créations nettes d'emplois enregistrées en 2019, et plus largement depuis 2016, presque un million cumulé, s'expliquent aussi sans doute selon lui "par un effet des politiques publiques" prises ces dernières années, par exemple la transformation du CICE en baisse durable de cotisations sociales début 2019.

D'autres mesures plus anciennes, comme la loi El-Khomri en 2016 et les ordonnances adoptées en début de quinquennat d'Emmanuel Macron "ont probablement eu un rôle", en particulier le plafonnement des indemnités prud'homales en cas de licenciement "qui réduisent l'incertitude et qui font que les entreprises embauchent plus facilement", avance aussi Philippe Waechter, chef économiste chez Ostrum Asset Management.

"C'est un succès décisif pour la France et c'est un succès décisif pour la politique économique que nous menons depuis maintenant près de trois ans", s'est d'ailleurs félicité jeudi sur RMC/BFMTV le ministre de l'Économie, Bruno Le Maire.

Emplois morcelés

Toutefois, les économistes rappellent que ce phénomène d'une croissance peu brillante associée à d'importantes créations d'emploi s'explique aussi par une évolution structurelle du marché du travail.

Avec le temps, la croissance française, comme celle de nombreux pays développés, est devenue plus riche en emplois, du fait de moindre gains de productivité du travail. En d'autres termes, pour une même augmentation du PIB, on crée aujourd'hui plus d'emplois qu'auparavant.

C'est une "tendance de fond" liée à "la montée en puissance des jobs morcelés de services à faible productivité liés notamment aux services à la personne, à la logistique, au gardiennage", détaille dans une note récente Alexandre Mirlicourtois, directeur des études chez Xerfi.

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Et alors que la population active, c'est-à-dire la population en âge de travailler, augmente moins vite ces dernières années, "en période de croissance, il faut aujourd'hui moins de 100.000 créations d'emplois pour diminuer le nombre de chômeurs, quand il en fallait 200.000 à 300.000 dans les années 2000", ajoute-t-il.

Alors cette situation peut-elle se poursuivre à l'avenir? Pour Philippe Waechter, qui table sur une croissance inférieure à 1% cette année, "on ne peut pas imaginer que l'emploi soit aussi dynamique qu'en 2019". "On va toujours avoir un effet positif lié à la politique économique [...] mais les marges des entreprises vont être un peu plus basses puisqu'on supprime l'effet du crédit d'impôt donc ça va être un peu plus compliqué" pour elles de recruter, ajoute-t-il.

D'ailleurs, la Banque de France anticipe une nette baisse des créations d'emplois dans les prochaines années (153.000 en 2020, puis 82.000 en 2021).