Croissance : la politique de l'offre est pour l'instant inefficace

Par Fabien Piliu  |   |  1350  mots
Le pouvoir d'achat devrait progresser de 1,9% cette année estime l'Insee
L'Insee anticipe une progression de 1,2% du PIB cette année, soit 0,2 point de plus que la prévision de Bercy. Si la demande intérieure reste dynamique, l'investissement repart à peine et le commerce extérieur continue de peser sur la croissance.

C'est assez rare pour être souligné. L'Insee est plus optimiste que le gouvernement ! Selon les calculs de l'Institut, le PIB devrait progresser de 1,2% cette année. De son côté, Bercy vise une croissance de 1%. Pour une fois que Bercy n'affiche pas un optimisme débordant, il serait mal venu de lui reprocher une certaine prudence. Par ailleurs, il est plus agréable d'admettre une erreur de pronostic, de reconnaître une sous-estimation de la croissance, que de devoir, le rouge au front, regretter un pêché d'optimisme.

De leur côté, la plupart des économistes établissent des prévisions en ligne avec celles de l'Insee, comptant sur les effets stimulants de la dépréciation de l'euro face au dollar et du repli des cours du baril de brut.

Cette bonne nouvelle doit être relativisée. En effet, la composition de la croissance laisse songeur. En dépit de la politique de l'offre menée depuis 2013 par le gouvernement, la croissance tricolore dépend toujours et essentiellement de la résistance de la demande intérieure. Selon l'Insee, la consommation des ménages accélérerait en 2015, affichant une progression de 1,6% après avoir augmenté de seulement 0,6% en 2014. Ce rebond s'explique par l'accélération du pouvoir d'achat, en hausse de 1,9% après avoir augmenté de 1,1% en 2014. Une accélération du pouvoir d'achat qui trouve son origine dans la faible inflation et dans la vive augmentation du revenu disponible brut, stimulé par les augmentations conjuguées de la masse salariale (+1,5% après +1,6%), des prestations sociales en espèces (+0,9% après -2,2%) et de la diminution des cotisations à la charge des ménages (+0,8% après +3%).

Les dépenses des collectivités territoriales progressent

Par ailleurs, si l'investissement des administrations publiques continueraient de reculer (-1,4% après -6,9%), leurs dépenses de consommation resteraient dynamiques, signant une hausse de 1,7%, soit 0,1 point de plus que l'année dernière. La mise à la diète imposée aux collectivités territoriales doit donc être relativisée. Certes, les nouveaux projets sont gelés ou supprimés. Mais les dépenses de fonctionnement continuent d'augmenter.
Les deux autres moteurs traditionnels de la croissance, l'investissement et le commerce extérieur, prennent-ils le relais de la demande intérieure ?

Loin s'en faut. L'investissement des entreprises non financières ne progresserait que de 1% cette année, soit 1 point de moins qu'en 2014. Heureusement, il repart progressivement dans le secteur manufacturier. Selon l'Insee, il augmenterait de 2,6% cette année, après avoir progressé de 2,4% l'année dernière. L'effet de la mesure de suramortissement annoncée le 8 avril par Manuel Valls, le Premier ministre en Conseil des ministres, votée au Sénat le 16 avril dans le cadre de l'examen sur le projet de loi sur la croissance et l'activité, est donc relatif. On peut espérer que l'investissement accélérera réellement en 2016, ce coup de pouce concernant les investissements productifs privés des entreprises réalisés entre le 15 avril 2015 et le 14 avril 2016t.

Quant au commerce extérieur, il devrait peser sur l'activité, et retirer 0,2 point de PIB à la croissance. Que faut-il en conclure ? En dépit de la politique de l'offre menée par le gouvernement, le modèle de croissance tricolore est invariablement le même.

La baisse du coût du travail, la nouvelle obsession de l'exécutif

Pourtant, les mesures sensées redresser la compétitivité prix des entreprises se sont multipliées depuis 2014, dans le cadre d'une vaste politique de l'offre. Reprenons. En janvier 2014, le gouvernement s'est attaqué frontalement au coût du travail. A cette époque - ce n'est plus le cas aujourd'hui - il était plus élevé en France qu'en Allemagne. Pour l'abaisser, le gouvernement a mis en place le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) qui allège la masse salariale pour les salaires inférieurs à 2,5 SMIC. Son taux était de 4% en 2014. Il a grimpé à 6% cette année et culminera à 9% l'année prochaine. En 2017, il viendra compléter les allégements de cotisations patronales de 41 milliards d'euros déjà prévues par le Pacte de responsabilité.

Ce n'est pas tout. Pour redresser les marges des entreprises, le gouvernement a d'ores et déjà acté une série de mesures fiscales. Ainsi, Pour les salaires allant jusqu'à 3 fois et demi le SMIC, les cotisations familiales patronales seront abaissées de 5,25% à 3,45% à partir de 2016. Les travailleurs indépendants et artisans bénéficieront pour leur part d'une baisse de plus de trois points de leurs cotisations familiales dès 2015. La contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S) assise sur le chiffre d'affaires sera réduite à partir de 2015 puis supprimée totalement à l'horizon 2017. Le taux de l'impôt sur les sociétés, actuellement de 33,3%, sera abaissé en 2017 et ramené à 28% en 2020. Quant à la surtaxe de 10,7% sur cet impôt, instaurée en 2011, elle sera supprimée dès 2016.

Beaucoup de mesures

Ces mesures complètent celles déjà annoncées dès le début du quinquennat. Ainsi, en novembre 2012, dans la foulée du rapport Gallois, François Hollande, le chef de l'Etat a tenu à rassurer les chefs d'entreprises que les cinq dispositifs fiscaux jugés « essentiels » pour les entreprises (ISF PME, crédit impôt recherche [CIR], contribution économique territoriale (CET) ...) seraient maintenus. Le crédit d'impôt innovation (CII) a été lancé en juin 2014 - un an après l'annonce de sa création - et les pôles de compétitivité maintenu. Quant au statut de jeune entreprise innovante, raboté lors du précédent quinquennat, il a été rétabli en septembre 2012. Le Grand emprunt a été prolongé, avec une rallonge de 12 milliards d'euros en juillet 2013.

Et pourtant, en dépit de toutes ces mesures qui permettent le redressement de la compétitivité prix des produits, le made in France peine à décoller hors de nos frontières. En 2015, l'Insee anticipe un rebond de 5,2% des exportations et de 5,6% des importations. Les effets de la dépréciation de l'euro face au dollar et le repli des cours du brut n'auront donc pas permis au commerce extérieur de redevenir un moteur à part entière de la croissance.

Une politique décalée

Au regard de cette batterie de statistiques, faut-il remettre en cause cette politique de l'offre ? Le sujet n'est pas là. Prendre des mesures pour redresser la compétitivité-prix des entreprises paraissait évident. La plupart des rapports d'économistes soulignaient, et soulignent encore, l'impérieuse nécessité, d'agir en ce sens.

Le problème réside surtout dans le tempo. Le succès économique actuel de l'Allemagne ne repose pas tant sur les effets des réformes plus ou moins similaires menées dans la première partie des années 2000. Il s'explique essentiellement par le fait que l'Allemagne était alors la seule à mener ce type de réformes pour alléger le coût du travail. Dans le cas de la France, la donne est différente. D'une part, la plupart de ses concurrents, et notamment européens, ont fait ces réformes en même temps, ce qui annule en partie les gains de compétitivité qu'elles procurent.

D'autre part, ces réformes ne sont-elles pas tardives ? N'auraient-ils pas fallu les lancer plus tôt, dès 2012 ? Elles auraient pu produire leurs effets bien avant 2017, effets amplifiés par la baisse de l'euro et le repli du brut. Certes, le gouvernement ne pouvait anticiper de tels événements conjoncturels.

Mais il ne pouvait ignorer l'état de déliquescence du tissu productif français, saigné à blanc par la crise de 2008-2009 et ses soubresauts. Pourtant, les entreprises ont été largement mises à contribution pour participe au redressement des comptes publics. Selon les calculs du Medef, les impôts et cotisations acquittées par les entreprises ont augmenté de 13,2 milliards en 2012 et de 14,3 milliards en 2013. Certes, le gouvernement tente depuis de corriger ce que d'aucuns considèrent comme une erreur de jugement. Mais n'est-il pas trop tard ? Rien ne permet d'affirmer que le gouvernement en tirera les bénéfices avant 2017. Economiquement, socialement et électoralement.