Démission de Hulot : quel impact sur la transition écologique française ?

Par Dominique Pialot  |   |  1574  mots
Nicolas Hulot a annoncé ce 28 août sa démission du gouvernement (Crédits : Charles Platiau)
La décision annoncée ce mardi 28 août sur les ondes de France Inter par le ministre de l’Ecologie va-t-elle provoquer l’électrochoc qu’il espère face à l’urgence climatique ? Ou au contraire va-t-elle laisser les lobbies qu’il dénonce peser un peu plus encore dans les choix du gouvernement ? Réponse dans la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) qui devraient être publiées d’ici à la fin de l’année.

A force de l'entendre l'évoquer régulièrement, on n'y croyait plus. Pourtant, celui qui était la personnalité préférée des Français, lors de son entrée au gouvernement en 2017, a bel et bien annoncé ce 28 août au matin sur France Inter sa démission du gouvernement. Sans en avoir au préalable informé ni le président ni le Premier ministre, pour éviter, avoue l'intéressé, qu'ils ne réussissent une nouvelle fois à l'en dissuader. Et sans même, semble-t-il, avoir décidé avant d'entrer dans le studio s'il annoncerait sa décision ce jour-même...

Celle-ci intervient au lendemain d'une réunion sur la chasse qui est particulièrement mal passée. Nicolas Hulot a notamment dénoncé la présence à cette réunion, qui se déroulait en présence d'Emmanuel Macron, d'un lobbyste « qui n'y était pas invité ». Les chasseurs ne sont certainement pas le lobby le plus important auquel Nicolas Hulot aura été confronté depuis son entrée au gouvernement, mais il semblerait que cette goutte d'eau symbolique a fait déborder un vase qui s'est bien rempli au cours des derniers mois.

Un Plan climat ambitieux mais non contraignant

Tout avait pourtant bien commencé, avec l'annonce le 6 juillet 2017 d'un plan climat ambitieux (qui, n'étant pas une loi, n'a pas de caractère contraignant, et qui n'était guère détaillé sur les moyens de sa mise en œuvre). Parmi les principaux objectifs : la neutralité carbone en 2050, la fin de la vente de voitures essence et diesel en 2040 ou encore la fermeture des quatre dernières centrales à charbon du pays en 2022.

La loi hydrocarbures (dont la production française ne pèse que 1% de la consommation nationale) adoptée en décembre dernier a ensuite acté la fin de l'octroi de nouveaux permis de recherche d'hydrocarbures et l'arrêt progressif, d'ici à 2040, de la recherche et de l'exploitation des gisements.

Notre-Dame-des-Landes, une des rares satisfactions de Hulot

Parmi les rares motifs de satisfaction pour Nicolas Hulot, la décision du gouvernement concernant Notre-Dame-des-Landes était conforme à sa position, mais elle a plus été perçue comme une victoire des zadistes que comme celle du ministre.

La révision à la hausse de la taxe carbone dans la loi de finances 2018 à un niveau supérieur à celui fixé par la loi de transition énergétique, et le rapprochement entre les fiscalités diesel et essence à l'horizon 2022, sont également à mettre au crédit de l'ancien ministre.

Une politique de « petits pas »

Mais les premiers hoquets de la politique gouvernementale en matière de transition se sont produits lorsque le ministre a dû annoncer lui-même le report de l'objectif de 50% de nucléaire dans le mix électrique, prévu dans la loi de transition énergétique pour 2025, à une date ultérieurej et surtout, non précisée. Lors de l'entretien accordé ce matin à France Inter, il a d'ailleurs évoqué « le nucléaire, cette folie inutile dans laquelle on s'entête ».

Sur les pesticides, et en dépit de ses déclarations fortes (dont un tweet de novembre dernier annonçant son objectif de faire interdire le glyphosate dans les 3 ans), il a perdu ses arbitrages face au ministre de l'agriculture Stéphane Travert. Matignon a finalement opté pour une solution intermédiaire : trois ans pour tenter de convaincre les filières d'abandonner le pesticide, et une inscription dans la loi si des solutions alternatives n'étaient pas trouvées.

Querelles incessantes et promesses non tenues

Une opposition à laquelle il a également fait allusion dans l'interview sur France Inter :

«Je ne peux pas passer mon temps dans des querelles avec Stéphane Travert.»

Même désillusion concernant l'instauration de la vidéosurveillance dans les abattoirs et l'interdiction d'ici 2022 de vendre des œufs de poules élevées en batterie, promesses du candidat Macron, mais absentes de la loi sur l'agriculture.

Et ce matin, dénonçant une politique de « petits pas » sur l'environnement, il a lui-même dressé un bilan plus que médiocre de l'action gouvernementale des derniers mois.

« Est ce que nous avons commencé à réduire l'utilisation des pesticides ? La réponse est non ! Est ce que nous avons commencé à enrayer l'érosion de la biodiversité ? La réponse est non ! Est-ce que nous avons commencé à se mettre en situation à arrêter l'artificialisation des sols ? La réponse est non. »

Appels à l'union sacrée et à la responsabilité individuelle

Au cours de l'été, alors que les épisodes de canicules, incendies, ouragans, etc. se multipliaient dans tout l'hémisphère Nord et semblaient susciter une prise de conscience - en tous cas médiatique - inégalée, Nicolas Hulot avait appelé à la responsabilité collective (« Chaque citoyen [...] doit se demander ce qu'il peut faire ») et à l'union sacrée (« Un ministre tout seul n'arrivera pas à résoudre la situation. On ne peut y arriver que s'il y a une union sacrée ») devant l'urgence climatique.

Des déclarations diversement appréciées par les écologistes eux-mêmes, lui reprochant son impuissance à un poste justement décisif pour orienter les comportements individuels (mais aussi ceux de l'Etat, des collectivités et des entreprises) dans la bonne direction, à l'aide de normes, interdictions et autres mesures fiscales.

A l'image de sa personnalité complexe, Nicolas Hulot n'a pas échappé ce matin à quelques contradictions. Tout en réaffirmant à plusieurs reprises son amitié au président et au gouvernement, il a tout à la fois supplié que sa décision ne soit pas récupérée et qu'elle puisse servir d'électrochoc devant l'urgence de la situation.

Aveu d'impuissance ou électrochoc ?

Tout en saluant sa décision et en rendant hommage à l'action du ministre démissionnaire, les différents représentants de l'écologie y voient une gifle pour la politique gouvernementale et appellent à un sursaut politique.

« Tout se joue dans les 10 ans qui viennent », a alerté (une dernière fois ?) Nicolas Hulot ce matin.

Mais à l'instar d'Europe Ecologie Les Verts (EELV), ils expriment également leur inquiétude devant « la porosité de ce pouvoir aux lobbies ».

"La décision de Nicolas Hulot de quitter le gouvernement doit sonner comme un électrochoc, a immédiatement embrayé sur Twitter Matthieu Orphelin, député LREM et ancien porte-parole de Nicolas Hulot. Pour tout le monde. Il faut faire plus, beaucoup plus. Pour le climat, la biodiversité, l'environnement, la solidarité. Et changer de modèle et de priorités. Car, pour l'instant, on va dans le mur."

Mais, s'il se produit, cet électrochoc attendu sera à la mesure d'une popularité qui n'a pas suffi à mobiliser les Français, et encore moins le gouvernement, autour de la cause écologique.

Pourquoi en irait-il autrement maintenant que Nicolas Hulot a tiré sa dernière cartouche en réduisant à néant son pouvoir de négociation face à un Emmanuel Macron auquel il servait de caution environnementale précieuse pour faire vivre le « Make our Planet Great Again »? D'autant plus qu'il a clairement annoncé ce matin en avoir terminé avec les ambitions politiques, refusant notamment toute action au niveau européen.

 « Quand j'obtiens des choses, c'est pour éviter que je me barre », avait-il ainsi confié au journal "Libération" début août.

Un départ qui pourrait signifier 3 EPR de plus prochainement ?

Que peut-on désormais attendre du gouvernement en matière de transition écologique?

A l'Elysée, l'entourage du président Emmanuel Macron déclare :

«Nicolas Hulot peut être fier de son bilan. En 14 mois, le bilan de ce gouvernement en matière d'environnement est le meilleur depuis de nombreuses années. »

«La détermination reste totale pour poursuivre dans la même direction et avec le même niveau d'ambition», a poursuivi la même source, confirmant un remaniement, mais pas dans l'immédiat. Celui-ci ne peut traditionnellement s'effectuer en l'absence du chef de l'Etat, en déplacement en Scandinavie jusqu'à jeudi soir.

« Le problème, c'est le modèle, analysait pourtant encore le ministre en juillet, citant une phrase de Bossuet : "Nous nous affligeons des effets mais continuons à adorer les causes." »

Concernant la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE), dont la révision en cours est marquée par son bras de fer avec EDF, Nicolas Hulot avait également prévenu :

« Si je m'en vais, il va y avoir 3 EPR de plus dans les prochaines années. »

Le président du Syndicat des énergies renouvelables (SER) déclarait ce mardi à l'AFP : "Pour atteindre la part de 32% d'énergies renouvelables (dans la consommation d'énergie) et les 40% dans l'électricité, on ne peut pas maintenir le parc tel qu'il est, et c'est ce qu'on attend de la PPE".

Pour Jean-Louis Bal, "pour ceux qui veulent que rien ne change, Nicolas Hulot qui disparaît, c'est un obstacle qui disparaît".

Ce qui est plus que probable, c'est que le ministre de l'écologie - qui s'est entretenu récemment avec le président et le Premier ministre - sait qu'il a perdu des arbitrages, notamment sur le nucléaire pour lequel il avait promis fin juin un "échéancier" pour "qu'on sache quels réacteurs et le nombre de réacteurs" seraient concernés par la fermeture qui s'impose pour atteindre les 50% de nucléaire dans le mix électrique.

On devrait savoir rapidement si la prédiction de l'ancien ministre s'avère exacte, puisqu'une première mouture de la PPE, initialement prévue en juillet, doit être publiée courant septembre, avant une version définitive d'ici à la fin de l'année.