Edouard Philippe assume pleinement vouloir la "transformation" du modèle social

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1504  mots
Lors du 50e anniversaires de l'Association des journalistes de l'information sociale (Ajis), Edouard Philippe et Muriel Penicaud ont parfaitement assumé leur volonté de transformer le modèle sociale français, via les réformes du code du travail, de la formation professionnelle, de l'assurance chômage et des retraites.
Le Premier ministre veut transformer l'ensemble du modèle social français, qu'il s'agisse du droit du travail, des retraites de l'assurance chômage, de la formation professionnelle. Muriel Penicaud, la ministre du travail, se dit "preneuse" d'une grande négociation interprofessionnelle sur les nouvelles formes de travail". Elles vise les vrais-faux indépendants.

Emmanuel Macron est-il réellement en passe de totalement transformer le modèle social français avec ses nombreux projets? Il veut unifier les retraites dans un seul régime par points, ce que de nombreux acteurs avaient refusé au lendemain de la seconde guerre mondiale. Il veut repenser le financement de la protection sociale, actuellement essentiellement basé sur le travail via les cotisations sociales.  Il veut ainsi supprimer les cotisations salariales maladie et assurance chômage compensée par une hausse de la CSG... qui concernerait donc également les revenus des non-salariés. Il veut encore privilégier l'entreprise pour la négociation des accords en limitant la place des branches et de l'interprofessionnel comme le prévoit les ordonnances réformant le droit du travail.

Dans ce contexte, va-t-on vivre une grande bascule ? C'est la question centrale qui était posée lors d'une grande conférence organisée au Sénat à l'occasion du 50e anniversaire de l'association des journalistes de l'information sociale (Ajis) en présence de plusieurs ministres et de l'intégralité des dirigeants des organisations patronales et syndicales représentatives.

Edouard Philippe: la "transformation du modèle social est nécessaire"

Edouard Philippe, le Premier ministre a immédiatement justifié les réformes qu'il est en train de mener. Mais, plutôt que d'employer le terme « bascule » il préfère évoquer une « transformation ». Pour lui il est nécessaire de transformer un modèle car « on s'est habitué un peu à la permanence d'un chômage de masse ». Selon le Premier ministre, la transformation est nécessaire pour « sortir du déterminisme social » qui frappe les quartiers défavorisés mais aussi pour « libérer » les entreprises et pour « sécuriser » les salariés. Pour Edouard Philippe, les ordonnances ne sont que le premier étage de la fusée de la "transformation". Ces texte doivent favoriser le dialogue social dans les entreprises et il se dit convaincu que la performance économique et la performance sociale doivent aller de pair.

Mais, selon le Premier ministre, la prochaine étape de la transformation est « plus essentielle ». Il a réitéré son souhait de totalement revoir le système de la formation professionnelle, avec la volonté que 1 million de demandeurs d'emploi soient formés avant la fin du quinquennat.

La ministre du Travail, Muriel Penicaud, également présente, a aussi insisté sur ce point en estimant qu'il n'était plus possible que seulement 15% des chômeurs suivent une formation. Idem chez les salariés où seulement 37% des ouvriers bénéficient d'une formation contre plus de 60% des cadres. Or, pour elle, la formation doit être un véritable investissement face aux mutations technologiques accélérées, tant pour la survie des entreprises que pour les salariés. Comme convenu, elle engagera une concertation sur la réforme de la formation - ainsi que sur l'assurance chômage - dès le mois d'octobre. Sans que l'on sache encore précisément s'il s'agira d'une « simple » concertation ou bien d'une invitation aux partenaires sociaux à mener une nouvelle négociation interprofessionnelle.

L'Etat de retour dans l'assurce-chômage

Sur l'assurance chômage, Edouard Philippe a aussi était très clair. L'ouverture du dispositif aux indépendants va nécessairement conduire à parler de la "gouvernance" de l'Unedic, l'organisme qui gère l'assurance chômage jusqu'ici exclusivement paritaire: c'est-à-dire, que ce sont les seules organisations patronales et syndicales qui gèrent l'assurance chômage. A l'avenir, le Premier ministre souhaite une cogestion avec l'Etat, une promesse de campagne d'Emmanuel Macron. Un projet de loi sera adopté avant l'été 2018. Pour Muriel Penicaud, cette réforme de l'assurance chômage est indispensable car elle a été instituée à « une autre époque » - en 1958 - quand le modèle unique était « l'emploi à vie dans une grande entreprise ». Or, à l'avenir, la ministre se dit persuadée que les personnes connaîtront plusieurs modèles dans leur vie professionnelle : indépendant, salarié, voire fonctionnaire.

Dans ce contexte, de transformation sociale, quel sera l'avenir du dialogue social ? Se dirige-t-on vers la fin des grandes négociations interprofessionnelles qui fixent des règles communes sur tout le territoire et l'ensemble des secteurs d'activité ?

Quel dialogue social à l'avenir?

Aucun des leaders syndicaux et patronaux n'y croient. Ainsi pour Laurent Berger, secrétaire général de la CFDT, « il y aura toujours besoin des corps intermédiaires et il faudra toujours des négociations interprofessionnelles pour fixer des règles communes et un cadre national ». Non sans humour, François Hommeril, président de la CFE-CGC a surenchéri en faisant une analogie " imaginez ce que seraient les normes environnementales si on laissait aux seules entreprises le soin de les définir. Pour les normes sociales c'est la même chose. Les accords interprofessionnels permettent des règles de concurrence équilibrées ». Et pour Philippe Louis, président de la CFTC : « si on abandonne la négociation, la France sera immobile ».

Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, lui, a plaidé pour un droit à la négociation « à tous les niveaux mais en respectant la hiérarchie des normes ». Quant à Pascal Pavageau, secrétaire Confédéral de Force Ouvrière et successeur quasi désigné de Jean-Claude Mailly à la tête de la centrale, il a rappelé que:

« le monde ne s'est pas créé en avril 2017 avec l'élection d'Emmanuel Macron. On ne va pas mettre fin comme ça a plus de trente ans de dialogue social. Mais c'est à nous les organisations patronales et syndicales de faire vivre ce dialogue. On n'a pas besoin du gouvernement pour négocier, mais nous devons monter plus d'allant en matière d'agenda social ».

Côté patronal aussi, tous les acteurs entendent défendre le dialogue interprofessionnel... mais avec des nuances. Si François Asselin (CPME) estime que ce niveau de négociation est indispensable « pour fédérer » les différentes branches, Pierre Gattaz (Medef) se montre plus nuancé. Pour lui, l'interprofessionnel doit être le niveau où patronat et syndicats doivent parvenir à une « vision partagée » sur les grands sujets de l'avenir : que seront les métiers de demain, quelle protection sociale, etc. Fidèle à son credo, il considère que c'est seulement au niveau de l'entreprise que doivent être négociés les sujets concerts sur l'organisation du travail.

Alain Griset (président del'U2P qui regroupe les artisans et les libéraux) se dit persuadé que la « démocratie sociale est indispensable, sinon c'est la rue qui parle ». Et, pour lui, ce ce dialogue est indispensable à tous les niveaux.

Le concept d'accords "gagnant-gagnant" contesté

Mais quels seront à l'avenir, la philosophie des accords conclus ? Intervenant lors de l'université du Medef fin aout, Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie, s'était fait applaudir par les chefs d'entreprise en évoquant un passage des accords « donnant-donnant », en vigueur depuis les années 1980, à des accord "gagnant-gagnant ". Ce qui  qui signifie qu'en échange de davantage de flexibilité pour les entreprises, les salariés doivent bénéficier de plus de sécurité dans leur parcours professionnel : la fameuse « flexisécurité ».

Côté syndical, c'est le scepticisme qui règne. Ainsi, pour Philippe Louis (CFTC), ce concept est assez difficile à expliquer aux salariés : « comment faire admette à un salarié, licencié au nom de la compétitivité de l'entreprise, qui a des traites à payer, qu'il n'est pas perdant car on va lui assurer une formation pour retrouver un nouveau travail».

"Ce que propose Bruno Le Maire est totalement daté, estime pour sa part François Hommeril (CFE-CGC), ce sont les réformes à l'anglo-saxonne d'il y a vingt ans. L'important maintenant c'est d'associer les salariés, d'aller vers la cogestion". Idée également défendue par Laurent Berger qui préfère parler de « codécision ».

Vers une négociation sur les "travailleurs indépendants"?

Enfin, les leaders syndicaux et patronaux ont échangé sur le symptôme le plus criant de la transformation du marché du travail : l'émergence des nouvelles formes d'emploi avec les "vrais-faux" indépendants, tels les chauffeurs Uber ou les livreurs de Deliveroo.

Sont-ils de « vrais » entrepreneurs ou de « faux salariés » ? « Je constate que ce sont des travailleurs, ils ont un lien de subordination, ils veulent des garanties collectives, une protection sociale, un contrat de travail », a lancé Philippe Martinez (CGT) qui a rajouté ironiquement ces « travailleurs indépendant modernes, chers à Emmanuel Macron, veulent devenir des fainéants anciens pour éviter d'être que des tacherons ».

Pour Alain Griset (U2P), "juridiquement ce sont des entrepreneurs individuels. Ils ont besoin d'être informés, notamment sur le fait qu'ils engagent leurs biens personnels". Pascal Pavageau, lui, avance une solution : « Il ne faut pas instrumentaliser la précarité il faut requalifier en contrat de travail. Sinon il faut qu'ils aient le droit de fixer leurs tarifs. »

Ravie de ce dialogue, Muriel Penicaud s'est dit « preneuse » d'une négociation interprofessionnelle sur ces nouvelles formes de travail  qui puisse « nous éclairer » sur ce sujet. Comme quoi, les organisations patronales et syndicales ont encore un rôle à jouer.