Edouard Philippe est-il vraiment surpris par la situation budgétaire ?

Par Fabien Piliu  |   |  784  mots
Edouard Philippe, Premier ministre du président Emmanuel Macron, feint peut-être de découvrir la réalité économique de la France. Mais si son étonnement est sincère, faut-il alors accuser les restrictions à l'accès aux données économiques -ce qu'on appelle le "secret statistique", véritable frein à la compréhension de la situation de notre pays, y compris par un personnel politique aguerri?
Ce vendredi, dans un entretien accordé au Parisien, le Premier ministre s'est déclaré désagréablement surpris par la situation budgétaire de l'économie française. Lors des campagnes présidentielles, les erreurs de pronostic des candidats sont monnaie courante. Comment expliquer leur vision très parcellaire de la situation économique du pays ?

Les gouvernements se suivent et se ressemblent. Ce vendredi, dans un entretien accordé au Parisien, Edouard Philippe, le Premier ministre, avoue :

"Je ne pensais pas que la situation budgétaire serait aussi mauvaise."

Cette déclaration peut surprendre. Feint-il l'étonnement ? Prépare-t-il l'opinion publique avant de présenter d'éventuelles mesures de rigueur qui seraient contenues dans le projet de loi de finances 2018 ?

C'est à se demander ce que faisait et où était Edouard Philippe entre 2012 et 2017. Parce qu'il était tout à la fois député "Les Républicains" entre 2012 et 2017, maire du Havre depuis 2010, président de la communauté de l'agglomération havraise... le Premier ministre d'Emmanuel Macron ne pouvait pas ne pas être au courant de la situation de l'économie française. Sauf s'il n'a ni lu la presse ni consulté les très nombreux rapports sur le sujet produits par d'éminents économistes ou par la Cour des comptes. On ne l'imagine pas.

Edouard Philippe est-il donc définitivement de mauvaise foi, rejetant la responsabilité de la situation économique et budgétaire de la France sur ses prédécesseurs ? Ce ne serait pas la première fois que l'exécutif agit ainsi. Depuis la crise de 1974, chaque nouvel arrivant à l'Elysée, à Matignon ou au ministère de l'Economie et des Finances accuse l'ancienne équipe au pouvoir d'avoir menti sur les chiffres, d'avoir mené une mauvaise politique économique ou d'avoir balayé la poussière sous le tapis. Il y a peut-être un peu de vrai. On conçoit mal un gouvernement sur le départ refuser d'enjoliver son bilan. Sans parler de tromperie, on peut comprendre une certaine rouerie statistique et comptable. Il faut bien préparer l'avenir et se donner quelques chances de revenir un jour au pouvoir.

Accès restreint aux statistiques et erreurs de diagnostic

Alors, si le Premier ministre n'est pas de mauvaise foi, comment expliquer cette erreur de diagnostic ? Une réponse peut être avancée : toutes les statistiques ne sont pas publiques. Oui, seul le gouvernement peut accéder aux données des services statistiques de l'Etat. Et, de son côté, l'opposition n'y pas accès, ou de façon très parcellaire.

C'est ce qui explique les écarts entre les intentions contenues dans les programmes électoraux et la mise en action, une fois le pouvoir conquis.

En clair, les chiffrages des programmes de la plupart des candidats sont bien souvent truffés d'erreurs involontaires qui rendent leurs mesures irréalistes au plan budgétaire. Ces programmes ont-ils été construits au doigt mouillé ? Peut-être pas. Mais une chose est certaine, les résultats des études d'impact des mesures proposées sont pour la plupart fantaisistes. Fin 2012, François Hollande n'avait-il pas admis une erreur de diagnostic sur la situation de l'économie tricolore, expliquant ainsi l'incapacité de son gouvernement à réduire le nombre de demandeurs d'emplois et à atteindre l'objectif de de réduction du déficit public fixé lors de la campagne présidentielle ?

Défaut de transparence

Et ce n'est pas parce qu'Emmanuel Macron fut un temps ministre de l'Economie qu'il a pu avoir un accès privilégié aux statistiques publiques. Compte tenu des relations qu'il entretenait avec Michel Sapin, alors ministre des Finances, et de la solide amitié qui lie celui-ci à François Hollande, on l'imagine mal aider le candidat Macron à concocter un programme économique et budgétaire crédible.

De fait, lorsqu'Edouard Philippe indique que l'état de la situation budgétaire est plus dégradé que prévu, il ne feint pas l'innocence. Certes, il attaque l'exécutif précédent, mais il pointe aussi un défaut de transparence.

Alléger le "secret statistique" pour faciliter le débat démocratique

Alors, faut-il lever le "secret statistique", défini dans la loi n° 51-711 du 7 juin 1951 ? Bien entendu, il ne s'agit pas de communiquer publiquement les données ayant trait à la vie personnelle et familiale ou, s'agissant des entreprises, au secret commercial, et plus globalement les faits et comportements d'ordre privé recueillis au moyen d'une enquête statistique. Mais l'accès aux données économiques et financières pourrait être facilité, justement pour améliorer le processus démocratique.

Actuellement, comme le précise l'Insee, les renseignements d'ordre économique ou financier ne peuvent être communiqués à quiconque pendant une durée de vingt-cinq ans, sauf dérogation faite après avis du Comité du secret statistique pour une finalité interdisant toute utilisation de ces informations à des fins de contrôle fiscal ou de répression économique. Si l'accès aux statistiques publiques était ouvert à tous, il y a fort à parier que les débats entourant la politique économique du gouvernement seraient plus riches et mieux construits.