Emmanuel Macron donne sa grille de lecture du Grand débat national

Par latribune.fr  |   |  1362  mots
(Crédits : Philippe Wojazer)
Emmanuel Macron a donné mardi le coup d'envoi du "grand débat national" organisé en réponse au mouvement des "Gilets jaunes", un exercice "sans tabou", mais borné par des lignes rouges, notamment sur la question de l'impôt sur la fortune (ISF).

Relativement discret sur le terrain depuis décembre, le chef de l'État a passé la journée dans l'Eure où il a assisté en fin de matinée au conseil municipal de Gasny avant d'échanger avec quelque 650 maires normands réunis à Grand-Bourgtheroulde, une commune de 3.800 habitants.

Impôt sur la fortune, procréation médicalement assistée, limite de vitesse à 80km/h, vote obligatoire, désertification médicale et mobilités : pendant plus de trois heures, les édiles ont exprimé au président leurs interrogations et les problématiques auxquelles ils sont confrontés.

"L'objectif c'est de vous entendre", a indiqué dans ses propos liminaires Emmanuel Macron au sujet du débat, un exercice "inédit" qui durera jusqu'au 15 mars et sur lequel il mise pour reprendre la main après deux mois de crise des "Gilets jaunes".

Lors du grand débat, qui sera ouvert à tous les Français et concentré sur quatre thématiques (transition écologique, fiscalité, organisation de l'État et démocratie et citoyenneté), "il ne doit pas y avoir de tabou", a-t-il ajouté, face aux doutes exprimés sur la sincérité de l'exercice en raison de certaines lignes rouges fixées par l'exécutif.

Pas d'arbitrage sur l'ISF

Interpellé sur la question de l'ISF, dont les "Gilets jaunes" souhaitent le retour, et la limitation à 80km/h sur les routes secondaires, une mesure fortement contestée, le chef de l'État a toutefois exclu toute décision à l'issue du débat, appelant à attendre leurs évaluations.

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L'éruption des "Gilets jaunes", un mouvement hétéroclite, le 17 novembre dernier a pris de court l'exécutif, ébranlé par les violences qui ont émaillé les manifestations.

Après avoir opéré une volte-face début décembre en annonçant 10 milliards d'euros de mesures en faveur du pouvoir d'achat, Emmanuel Macron tente depuis de reprendre la main en haussant le ton contre les casseurs et en misant sur ce débat national.

Plus d'un mois après l'avoir annoncé, le chef de l'État en a fixé le cadre dans une "lettre aux Français" diffusée dimanche soir, avant de recevoir lundi à l'Élysée une quinzaine de maires de communes rurales qui lui ont remis les "doléances" exprimées par les Français lors de la première phase du débat.

"Je veux qu'on retrouve l'esprit qui m'a porté, aller chercher les solutions chez les gens, je voudrais dans ce grand débat qu'on arrive à une transformation de notre pratique démocratique", a dit le chef de l'État.

"On a des réflexes dans lesquels on a continué de s'enfermer collectivement", a-t-il poursuivi devant le conseil municipal de cette petite commune normande. "Le premier - un reproche pour nous, pour le gouvernement, pour moi-même - on considère que quand on a la légitimité c'est bon, ça y est, on peut y aller. (Mais) même avec cette légitimité il faut continuer, associer, partager, le grand débat doit servir à ça".

Confronté depuis deux mois à un mouvement de protestation sans précédent contre sa politique économique et sociale, le chef de l'État a parallèlement affiché sa détermination à "continuer à agir" et ne "pas faire semblant".

"Je ne veux pas dire 'les Gilets jaunes, c'est un mouvement social d'un nouveau type, on va attendre qu'il se fatigue et la vie reprendra son cours'. La vie ne reprendra pas son cours, mais c'est une chance pour qu'on puisse réagir plus fort et plus profondément", a-t-il dit, trois jours avant un nouvel échange avec des maires dans le Lot. 

La "grande confusion sur la fiscalité du capital"

"Beaucoup de gens qui disent 'il faut remettre l'ISF parce que comme ça on serait juste', je leur demande 'est-ce qu'on vivait mieux avant ? Ben non'", a souligné  Emmanuel Macron devant le parterre de 650 maires normands réunis à Grand-Bourgtheroulde.

"Il ne faut pas raconter des craques, ce n'est pas parce qu'on remettra l'ISF comme il y était il y a un an et demi que la situation (...) s'améliorera".

Pour Gilles Le Gendre, le sujet entre d'emblée dans le volet "fiscalité", l'un des quatre thèmes du "grand débat".

"Nous n'avons pas de tabou pour discuter de la surpression de l'ISF, de sa transformation en IFI, nous avons encore moins de tabou pour discuter de la question de la justice fiscale", a-t-il dit lors d'une conférence de presse à l'Assemblée.

"Mais si on entre dans ce grand débat pour détricoter systématiquement tout ce que nous avons fait depuis 18 mois, ça n'est pas honnête de dire 'oui c'est possible, vous pouvez y aller, vous êtes au ball-trap, tirez."

À ses côtés, la députée LaRem Amélie de Montchalin a souligné "la grande confusion dans la fiscalité sur le capital."

"Derrière le mot ISF, beaucoup de Français pensent que les très hauts revenus ne paient plus d'impôts. On oublie de dire que 2% des ménages contribuent à 40% de l'impôt sur le revenu", a-t-elle rappelé.

"La justice fiscale est un très bon thème, l'ISF est une porte d'entrée, mais il faut qu'on soit clairs et explicites : est-ce que c'est les revenus qu'on veut taxer, les héritages (...), la flat tax, etc. Il faut remettre tout cela en perspective."

Sur Radio Classique, le ministre de l'Action et des Comptes publics, Gérald Darmanin, a joué une autre partition. À la question de savoir s'il considérait que l'ISF devait faire partie du grand débat, il a répondu :

"Non, je ne le crois pas. Je pense qu'il ne faut pas refaire la campagne présidentielle. Sinon, nos institutions léguées par le général de Gaulle n'ont pas de sens. On ne va pas refaire le match de la présidentielle."

Pour Gérald Darmanin, "l'ISF est un impôt idiot".

Un tacle du chef de l'Etat à certains "Gilets jaunes"

Emmanuel Macron a affiché mardi sa volonté de davantage "responsabiliser" les personnes en situation de difficulté économique et financière en France, estimant que si certains "font bien", d'autres "déconnent". Ces propos surviennent dans un contexte social toujours tendu après deux mois de mouvement des "Gilets jaunes" qui manifestent depuis neuf week-ends consécutifs pour réclamer plus de pouvoir d'achat et de démocratie participative.

Lire aussi : Macron sur les gens en difficulté : "Il y en a qui font bien et d'autres qui déconnent"

"Une partie du traitement de la pauvreté est dans les personnes qui vivent des situations de pauvreté, en les responsabilisant, en les aidant à s'en sortir, en les considérant", a dit le chef de l'Etat devant le conseil municipal de Gasny (Eure) où il a effectué une visite surprise.

La solution ne réside pas "dans le face-à-face entre ceux qui profiteraient d'un côté et ceux qui seraient les vaches à lait de l'autre, ce n'est pas vrai", a-t-il ajouté.

"Elle est dans un travail collectif qui est très fin que font les travailleurs sociaux. Les gens en situation de difficulté, on va davantage les responsabiliser parce qu'il y en a qui font bien et il y en a qui déconnent mais ils sont tous acteurs".

Vendredi, le chef de l'Etat avait déjà suscité une vague d'indignation après avoir déclaré que trop peu de Français avaient le "sens de l'effort".

Rassurer sur le déroulement du grand débat national

Au-delà de la question de la sincérité de l'exercice, la question de la transparence et de l'impartialité du débat est également soulevée par ses détracteurs, inquiets de la décision de l'exécutif de confier l'animation des échanges à deux membres du gouvernement - le ministre chargé des Collectivités territoriales Sébastien Lecornu et la secrétaire d'Etat à la Transition écologique Emmanuelle Wargon.

Balayant les critiques, le Premier ministre a indiqué lundi qu'un collège de cinq personnalités indépendantes, dont les noms seront officialisés vendredi, serait mis en place.

(avec agences)