En France, 3,6 millions de personnes cumulent pauvreté monétaire et privation matérielle

Par Grégoire Normand  |   |  1125  mots
En France, 13% de la population est en situation de privation matérielle et sociale.
Une personne sur cinq est frappée par au moins une forme de pauvreté (matérielle ou monétaire) selon une récente étude de l'Insee. Les chômeurs sont quatre fois plus touchés par ce phénomène que les personnes en emploi.

Le système de redistribution protège-t-il assez les Français de la précarité ? Les mobilisations des "gilets jaunes" depuis le 17 novembre dernier ont remis en avant les questions des inégalités et de la pauvreté au centre des débats. Selon des estimations de l'Insee publiées ce mardi 16 avril, 5,5% de la population cumule à la fois pauvreté monétaire et privation matérielle et sociale et une personne sur cinq est concernée par un des deux phénomènes.

10 ans après la crise, le retour de la croissance et la lente baisse du chômage n'ont pas permis d'endiguer le phénomène de la pauvreté qui persiste malgré l'existence des amortisseurs sociaux. Pourtant, il y a urgence.  Un récent baromètre réalisé par le ministère de la Santé montre que la pauvreté est un sujet de préoccupation majeur dans 90% des foyers modestes et 80% des ménages aux revenus élevés.

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12% des Français estiment être en situation de privation matérielle

La multiplication des indicateurs de mesure de la pauvreté permet d'avoir une meilleure appréhension de ce phénomène protéiforme à l'échelle de la France et de l'Union européenne. Pour enrichir le débat, l'organisme s'est appuyé sur un nouvel indicateur de privation matérielle. Cet outil "se fonde sur les conditions de vie d'un ménage. On va interroger les individus sur 13 éléments de leurs conditions de vie. Par exemple, est-ce qu'ils arrivent à payer leur loyer ou leur facture ? Si une personne rencontre cinq difficultés parmi les 13 questions, on considère qu'elle est pauvre au sens matériel et social", a expliqué l'économiste Julien Blasco lors d'un point presse. Les résultats de l'institut de statistiques indiquent que la France affiche un taux de privation matérielle et sociale de 12,7%. Ce qui place l'économie hexagonale dans une situation médiane par rapport aux autres pays de l'Union européenne. "La France a ainsi le 13ème taux de pauvreté matériel et social le plus faible de l'Union européenne", a complété l'auteur de l'étude.

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9 millions de personnes en situation de pauvreté monétaire

Plus utilisé dans les débats, le taux de pauvreté monétaire  touche 13,6% des Français et 17,3% des habitants de l'Union européenne. "Un individu est considéré comme pauvre au sens monétaire si le niveau de vie de son ménage est inférieur à un seuil de pauvreté inférieur fixé à 60% du niveau de vie médian national" rappelle l'organisme en charge des statistiques publiques. Sur ce point, la France se place plutôt en position favorable par rapport au reste du Vieux continent. "La France a l'un des taux les plus faibles de l'Union européenne en termes de pauvreté monétaire. C'est le sixième taux le plus faible de l'Union européenne" a résumé Julien Blasco.

Des disparités extrêmes au sein de l'Union européenne

La lente construction de l'Union européenne et l'intégration tardive des pays ayant des revenus contrastés avec les pays d'Europe du Nord et de l'Ouest n'ont pas permis de réduire les fractures matérielles entre les citoyens européens. Ainsi, si les taux de pauvreté monétaire varient de 10% en République Tchèque à 25% en Roumanie, "la dispersion pour privation matérielle est beaucoup plus grande au sein de l'Union européenne avec un taux 3% à en Suède  contre 50% en Roumanie. Les taux de privation au sens matériel et social les plus faibles se retrouvent en Europe du Nord (en Finlande, Suède, Danemark et Pays-Bas) et les taux les plus élevés se retrouvent plutôt dans les pays du Sud  et de l'Est, en particulier en Roumanie, Bulgarie, Lettonie et Lituanie" signale Julien Blasco.

Et la crise économique et sociale de 2008 a eu des répercussions majeures sur ce dernier indicateur. "Il y a beaucoup de pays du Sud et de l'Est qui ont vu leur taux de privation matérielle et sociale très fortement augmenter avec la crise économique et sociale de 2008" a précisé Julien Blasco. De son côté, la directrice de la diffusion et de l'action régionale, Françoise Maurel a rappelé que  "la récession majeure de 2008 qui a touché l'ensemble des pays industrialisés a eu des effets différenciés sur la croissance. En Allemagne, le PIB en volume par habitant a rattrapé son niveau d'avant crise dès 2011. Ce rattrapage a été plus tardif en France. Il a été atteint seulement en 2015".

Les chômeurs frappés par les deux types de pauvreté

Les personnes frappés par la pauvreté monétaire et la privation matérielle concerne avant tout les chômeurs. Ainsi, ces derniers sont quatre fois plus touchés que les actifs occupés et les retraités à l'échelle de l'Union européenne. Les cadres et les professions intermédiaires sont bien moins concernés que les ouvriers. La situation familiale peut également avoir des répercussions spectaculaires sur le phénomène de pauvreté.

"Les types de famille les plus touchées sont les familles monoparentales, dont les taux de pauvreté sont trois fois supérieurs à ceux des couples sans enfants (respectivement 34,0 % et 11,7 % pour la pauvreté monétaire, et 32,0 % et 10,5 % pour la privation matérielle et sociale)." En France, la situation des retraités est particulière. Si leur taux de pauvreté est le plus faible de l'Europe du Nord et de l'Ouest (7%), le taux de privation matérielle est le plus élevé de ce groupe de pays.

Panne de l'ascenseur social

Si les effets de l'Etat-Providence sont régulièrement avancés pour expliquer la relative stabilité du taux de pauvreté monétaire en France, le blocage de la mobilité sociale est moins évoqué. Pourtant, il constitue un facteur essentiel pour comprendre la persistance de la pauvreté dans certaines catégories de la population. Ainsi, l'OCDE avait calculé en 2018 qu'il fallait six générations pour que les descendants de familles modestes atteignent le revenu moyen.

Outre le manque de mobilité entre les générations, l'institution s'est également intéressée à l'évolution des revenus d'une personne au cours de sa vie. Et leur conclusion est préoccupante. Au niveau des revenus, l'immobilité est particulièrement visible lorsque les auteurs s'intéressent aux catégories inférieures de la population. Selon les résultats de l'OCDE, 64% des personnes faisant partie du quintile inférieur (les 20% des personnes ayant les revenus les plus faibles) restent bloqués en bas de l'échelle.