Encadrement des loyers  : le grand bazar

Par Mathias Thépot  |   |  895  mots
Le Conseil d'Etat a annulé la décision de Manuel Valls de restreindre l'encadrement des loyers à Paris et à Lille.
En revenant sur l'encadrement des loyers sous la pression des lobbys immobiliers, Manuel Valls a donc outrepassé la loi dès 2014, a reconnu le Conseil d'État. Cet encadrement instauré peu avant était pourtant une promesse de campagne populaire auprès des Français...

L'encadrement des loyers devra donc s'appliquer dans 28 agglomérations en France. Le Conseil d'État ne veut en effet pas d'« expérimentations » non prévues dans le cadre de la loi. C'est pourquoi l'institution a annulé la décision du gouvernement de Manuel Valls de restreindre l'encadrement des loyers à Paris, et ensuite à Lille. Les magistrats ont en fait donné raison à l'association « Bail à part, tremplin pour le logement », qui souhaitait voir annuler « pour excès de pouvoir » la décision de l'ancien Premier ministre, de réduire le champ d'application de la loi Alur du 24 mars 2014. À l'avenir, si la future majorité ne revient pas sur cette loi - ce qui est très incertain - l'encadrement des loyers s'appliquera à toutes les grandes agglomérations françaises une fois qu'elles auront créé des observatoires, et mis en place des grilles de limitation des loyers.

Une promesse dans un premier temps tenue...

Ce dernier retournement de situation est révélateur de l'incroyable bazar qui entoure le débat sur cette mesure depuis 2012. Car c'est assez rare pour être souligné, François Hollande avait, concernant l'encadrement des loyers, respecté dans un premier temps son engagement de campagne numéro 22, où il disait :

« dans les zones où les prix sont excessifs, je proposerai d'encadrer par la loi les montants des loyers lors de la première location ou à la relocation ».

Cet engagement, François Hollande l'a rempli en deux fois : d'abord par un décret le 20 juillet 2012 relatif à l'évolution des loyers, et ensuite par la mesure relative à l'encadrement des loyers dans la loi Alur du 24 mars 2014, qui prévoyait d'interdire les loyers abusifs dans 28 agglomérations françaises. Concrètement, cet encadrement prévoit qu'à la signature d'un nouveau bail ou lors d'un renouvellement, le loyer d'un logement ne puisse dépasser de 20% un loyer de référence fixé par arrêté préfectoral - un complément de loyers étant autorisé pour certains biens.

Les lobbys de l'immobilier ont obtenu gain de cause

Cette seconde mesure visant à encadrer les loyers abusifs n'a en fait jamais été acceptée par les professionnels de l'immobilier et les fédérations de propriétaires. Ils y voient une atteinte au droit de propriété et à la liberté des investisseurs immobiliers. Devant la levée de boucliers, Manuel Valls, tout juste nommé Premier ministre le 31 mars 2014, s'est donc empressé de détricoter la loi Alur. Il a rapidement dit que l'État n'encadrerait les loyers que dans les villes dont les maires en exprimeraient la demande, et, surtout, que Paris serait un territoire d'expérimentation pour la mesure. Depuis Lille, l'une des villes les plus volontaires pour appliquer la mesure, en a également profité pour encadrer les loyers du parc privé. Problème, « conformément » aux déclarations en 2014 de Manuel Valls, « les collectivités et les préfets n'ont pas engagé les démarches nécessaires au recensement et à la fixation par arrêté des loyers de référence attendus dans les agglomérations où devait s'appliquer l'encadrement des loyers », regrette Cécile Duflot, l'ancienne ministre du Logement, qui a porté la loi Alur.

Sans observatoire, pas d'encadrement

Or, comme le rappelle Henry Buzy-Cazaux, le président de l'Institut du management des services immobiliers (Imsi), sur capital.fr, il y a « un lien de causalité entre observation statistique et encadrement ». Autrement dit, sans observatoire, il ne peut y avoir d'encadrement des loyers. La loi est donc, de fait, peu appliquée en France. Ce sont ainsi, dans le même temps « plusieurs millions de locataires qui se sont vus privés du bénéfice de l'encadrement des loyers et, pour certains, ont été contraints de subir des situations abusives ou des loyers anormalement élevés », dénonce l'ancienne ministre EELV. Même constat du côté de l'association du Droit au logement (DAL) : « L'application d'encadrement des loyers dans toutes les communes tendues aurait permis d'amorcer une baisse des loyers, et de commencer à alléger cette charge incompressible, de plus en plus lourde pour les locataires », dénonce l'association.

Une mesure pourtant populaire...

Mais au-delà qui débat économique, où les uns mettent en avant le risque de frein à l'offre de logement, et les autres la nécessité de redonner du pouvoir d'achat aux ménages locataires du secteur privé, nombreux dans les zones urbaines, il y a là un sujet de crédibilité démocratique. Comme le concède Henry Buzy-Cazaux, pour beaucoup de Français, l'encadrement « est un outil de justice sociale ». Et « lorsque le candidat Hollande a promis un mécanisme de maîtrise des loyers, les deux tiers des habitants des grandes villes ont approuvé », ajoute-t-il. Un sondage de la fondation Abbé Pierre publié en septembre 2014 montrait même que seuls 21% des Français estimaient qu'il fallait supprimer l'encadrement des loyers, et que 56% pensaient qu'au contraire qu'il faudrait étendre ce dispositif à un maximum de grandes villes...
Bref, les Français voulaient de cette mesure que le gouvernement, qui avait pourtant promis, a in fine supprimée... Il aura donc fallu que la plus haute juridiction administrative de France remette de l'ordre dans ce marasme politique, qui n'a assurément pas donné une bonne image de l'exécutif. Reste désormais à savoir si cette mesure dénoncée par nombre de lobbys et de politiques sera supprimée sous la prochaine mandature présidentielle.