Gilet jaunes : le gouvernement demande aux entreprises de mettre la main à la pâte

Par latribune.fr  |   |  1293  mots
Le ministre de l'Economie Bruno Le Maire. (Crédits : Reuters)
Pour désamorcer la colère des «gilets jaunes», des responsables politiques de la majorité appellent les entreprises à participer à la hausse du pouvoir d'achat exigée par le mouvement contestataire. Mais au-delà d'une prime de fin d'année sur une base volontaire, celles-ci sont réticentes alors que le gouvernement envisage de les mettre à contribution pour réaliser des économies et ainsi éviter un dérapage des comptes publics.

(Article publié le 7/12/2018 à 15h15 mis à jour le 7/12/2018 à 16h20)

Tout le monde devra prendre sa part avait prévenu Muriel Pénicaud. La ministre du Travail a reçu ce vendredi matin à son ministère les organisations syndicales (sauf la CGT) et patronales accompagnée de cinq autres membres du gouvernement (Jacqueline Gourault et Sébastien Lecornu - Cohésion des territoires -, Elisabeth Borne - Transports - , Julien Denormandie - Ville et Logement -  et Emmanuelle Wargon - secrétaire d'État à la Transition écologique -). Objectif : évoquer la contribution des entreprises dans la résolution de la crise des «gilets jaunes». Alors que la hausse du pouvoir d'achat constitue l'une des revendications majeures portée par le mouvement contestataire, cette réunion tripartite a fait émerger un consensus général autour d'une proposition initialement formulée par le président de la région des Hauts-de-France Xavier Bertrand : le versement aux salariés d'une prime exceptionnelle défiscalisée jusqu'à 1.000 euros.

C'est «une bonne idée [...] dans les secteurs ou ça va bien on pourra faire un geste», a confirmé, ce vendredi matin au micro de France Inter, le président du Medef Geoffroy Roux de Bézieux. De fait, les organisations patronales souhaitent que le versement de la prime soit laissé à la discrétion des employeurs. «Le caractère volontaire est essentiel parce que malheureusement la situation des entreprises ne permet pas de la généraliser», a expliqué Jean-Eudes du Mesnil du Buisson de la Confédération des petites et moyennes entreprise (CPME). Une condition que ne satisfait pas Laurent Berger de la CFDT qui souhaite pour sa part une prime «obligatoire». De manière générale, les syndicats des travailleurs ont souligné de concert le caractère court-termiste de la prime défiscalisée : «c'est une des solutions mais c'est du 'one-shot', ce n'est pas une solution structurelle», a analysé Laurent Berger.

Les entreprises sous pression

Or, la colère des «gilets jaunes», oblige de manière pressante à trouver des solutions viables sur le long terme. C'est ce qu'a indiqué la ministre du Travail Muriel Pénicaud plus tôt ce matin sur BFM Business en enjoignant les entreprises a augmenter les salaires de leurs employés face à «l'urgence absolue» que représente la crise des «gilets jaunes».

«Que les grandes entreprises montrent l'exemple et il y en a beaucoup qui sont prêtes à le faire, qui le disent. Il y a des branches qui ont fait l'accompagnement des salaires ces dernières années, d'autres moins. Je sais qu'elles sont prêtes à le faire, il faut le faire», a martelé la ministre du Travail qui a confié exclure d'imposer par la loi une augmentation générale des salaires«ça n'a pas de sens, on détruirait de la compétitivité et de l'emploi».

Prime exceptionnelle défiscalisée

La veille, c'était le ministre de l'Economie Bruno Le Maire qui exhortait sur France 2 les patrons à augmenter les salaires de leurs employés via la proposition de versement d'une prime exceptionnelle défiscalisée. «Une prime totalement défiscalisée, j'y suis favorable car ça permet de soutenir ceux qui travaillent», a affirmé Bruno Le Maire. Dans le détail, la prime évoquée pourrait être défiscalisée jusqu'à 1.000 euros et ne serait versée que si l'entreprise le souhaite. M. Le Maire a indiqué vouloir que «le plus grand nombre d'entreprises puisse verser cette prime au plus grand nombre de salariés en reconnaissance de leur travail, de leur efficacité et de leur engagement au service de leur entreprise».

Le Premier ministre Edouard Philippe a également évoqué, ce jeudi, dans son discours devant le Sénat, des mesures ciblées pour les bas salaires sans toutefois en préciser les contours alors que, dans le même temps, plusieurs députés de la majorité poussent pour une revalorisation de la prime d'activité pour les salaires juste au-dessus du Smic. Pour cause, ces derniers ne sont pour l'heure pas concernés par la hausse de 30 euros par mois qui doit intervenir au 1er avril 2019.

Le patronat et les chefs d'entreprises plutôt réticents

Pour leur part, les représentants des patrons refusent tout alourdissement de leurs charges ou de la pression fiscale. Le président du Medef Geoffroy Roux de Bézieux a, par ailleurs, confié ce vendredi matin au micro de France Inter, craindre que le gouvernement dirigent les mécontentements vers les entreprises et qu'elles deviennent les «boucs émissaires d'une révolte fiscale» alors que la crise des «gilets jaunes» suscite déjà l'inquiétude au plus haut niveau de l'Etat.

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« Je ne voudrais pas que cette révolte fiscale se transforme en mettant en accusation des entreprises qui font leur travail. On pointe du doigt les entreprises alors que c'est un problème d'impôt », a-t-il regretté.

« Si on se tourne vers les entreprises pour augmenter les impôts, malheureusement le chômage va repartir à la hausse», a-t-il également prévenu déplorant par la même occasion que la France soit le pays de l'OCDE où le poids des prélèvements fiscaux était le plus important en 2017 avec 46,2% du PIB, selon des chiffres du Medef publiés ce jeudi. Sommés d'agir, les chefs d'entreprises semblent réticents. Le PDG d'Orange Stéphane Richard a pour sa part expliqué, ce vendredi sur FranceInfo, ne pas apprécier «l'idée que les grandes entreprises c'est un tas d'or dans lequel on peut puiser finalement à sa guise» soulignant qu'elles évoluaient «sur des marchés très concurrentiels».

La question budgétaire oblige à des économies

Pas certain que cet argumentaire trouve écho auprès du gouvernement qui a désormais les entreprises dans sa ligne de mire. En cause, l'abandon de la totalité des hausses de taxe carbone pour 2019 qui représente un manque à gagner de 4 milliards d'euros pour l'Etat. La France va devoir combler ce trou pour se conformer à ses prévisions de déficit public estimé à 2,8% du PIB l'an prochain - objectif finalement abandonné -  et surtout ne pas dépasser les 3% du PIB comme l'exige Bruxelles. Une addition qui devrait encore grossir en raison des concessions accordées à La Réunion (augmentation anticipée des minimas sociaux) ou encore la baisse des taxes sur l'électricité.

Aussi, le gouvernement va devoir faire des économies et les entreprises pourraient être les premières mises à contribution à travers trois volets. D'abord, le taux de l'impôt sur les sociétés. Le gouvernement souhaitait initialement le ramener à 25% à l'horizon 2022. L'une des pistes évoquées mènerait à l'annulation de l'étape prévue en 2019 de baisse du taux de 33% à 31%. Le second point concerne la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) en baisse de charges pérennes. Le gouvernement pourrait revoir les modalités du CICE dans le but d'en atténuer le coût sur les finances publiques. Enfin, le gouvernement pourrait décider de retarder à nouveau le coup de pouce supplémentaire de 4 points au niveau du Smic, déjà reculé de janvier à octobre 2019. Reporter l'échéance à janvier 2020 rapporterait 700 millions d'euros.

(Avec agences)