"Gilets jaunes" : "La suppression de l'ISF a desservi le gouvernement"

INTERVIEW. Dans un entretien accordé à La Tribune, le sociologue Olivier Galland, co-auteur d'un ouvrage sur les inégalités et d'une enquête sur la radicalité chez des lycéens, explique que les dépenses contraintes des ménages ont augmenté alors que les niveaux de vie des ménages modestes ont stagné depuis 2008. Il revient également sur les risques d'embrasement de la jeunesse à quelques heures d'un week-end qui s'annonce très tendu.
Grégoire Normand
Olivier Galland, sociologue et directeur de recherche au CNRS, dirige le Groupe des méthodes de l’analyse sociologique de la Sorbonne.
Olivier Galland, sociologue et directeur de recherche au CNRS, dirige le Groupe des méthodes de l’analyse sociologique de la Sorbonne. (Crédits : DR)

À la veille d'une mobilisation qui fait craindre une explosion de violence, le gouvernement assure qu'il a entendu et compris la "colère insaisissable et incontrôlable" des "Gilets jaunes". En attendant, des dizaines d'appels à manifester à Paris se concurrencent sur les réseaux sociaux, donnant pour la plupart rendez-vous sur les Champs-Élysées, qui a déjà été le théâtre de scènes d'émeutes samedi dernier.

Sociologue et directeur de recherche au CNRS, Olivier Galland a co-rédigé l'ouvrage "Sociologie des inégalités" dans lequel il s'intéresse notamment à la genèse de la notion d'inégalité. Plus récemment, il a co-dirigé avec la sociologue et politiste au Cevipof, Anne Muxel, l'ouvrage "La tentation radicale, Enquête auprès des lycéens". Pour La Tribune, il revient sur les facteurs qui peuvent expliquer la colère des "Gilets jaunes" et les dangers de contagion relatifs à la jeunesse.

LA TRIBUNE - Quelle est votre analyse du mouvement des "Gilets jaunes" en tant que sociologue ?

OLIVIER GALLAND - Il est difficile d'avoir une analyse définitive sur ce mouvement très éruptif, et difficile à comprendre. Tout le monde a été surpris par ce mouvement. Il faut éviter d'avoir des interprétations trop catégoriques. On n'a pas de sociographie exacte du mouvement. Avec les bribes d'information qui nous parviennent, on peut penser qu'il ne s'agit pas des très pauvres qui sont à la pointe du mouvement. Ce sont les catégories moyennes et modestes qui semblent insérées dans la vie active. Le profil des personnes arrêtées ne correspond pas à celui des chômeurs de longue durée ou des SDF. Ce ne sont pas non plus des cadres supérieurs.

Dans tous ces débats, il ne faudrait pas oublier les pauvres. Les intérêts des plus pauvres ne sont pas forcément convergents avec les intérêts des "Gilets jaunes". C'est quand même un mouvement antifiscal. Les prélèvements obligatoires financent les prestations sociales et ces dernières constituent une part importante des revenus des plus pauvres. Dans certaines revendications des "Gilets jaunes", on retrouve des critiques liées à "l'assistanat" mais je pense qu'il faut faire attention à cette rhétorique.

Quels sont les facteurs qui peuvent expliquer cette colère ?

Les niveaux de vie de ces catégories mobilisées ont stagné depuis 10 ans. Il y a eu un coup d'arrêt en 2008 à la suite de la crise contrairement aux années 90 et le début des années 2000. Beaucoup de gens en France ont le sentiment que les chances d'ascension sociale sont devenues limitées et que la situation de leurs enfants ne va pas s'améliorer par rapport à la leur. C'est le sentiment que, dans cette société, les chances d'évolution sont devenues extrêmement faibles.

L'autre facteur important à observer est celui des dépenses pré-engagées. C'est-à-dire les dépenses qui sont contraintes comme le logement, les assurances, les abonnements et qui représentent une part importante du budget des ménages. La part de ces dépenses contraintes dans le budget des ménages a tendance à augmenter pour les foyers au revenu modeste. Les gens peuvent avoir le sentiment d'avoir un contrôle de plus en plus faible sur leur choix personnel. La hausse des taxes sur l'essence et le fioul a eu un effet dévastateur. Cette fiscalité n'est pas statistiquement comprise dans les dépenses contraintes. Mais pour beaucoup de personnes, elles sont perçues comme des dépenses pré-engagées. Cela peut engendrer de la frustration et de la colère.

Est-ce un mouvement social inédit ?

Oui, ce mouvement me semble totalement inédit. C'est un mouvement non-institutionnel et anti-institutionnel. Il n'est pas incarné par une institution représentative de la société. C'est un mouvement spontané qui s'est diffusé par le biais des réseaux sociaux. C'est à la fois une force du mouvement parce qu'il y a ce côté spontané de l'expression directe qui ne transite pas par des représentants.

En revanche, ce mouvement peine à dresser un catalogue de revendications homogènes qui puissent être négociées avec les pouvoirs publics et ils peinent également à désigner des représentants légitimes. C'est une faiblesse particulière de ce mouvement. Il est dans l'incapacité de négocier et la construction d'un débouché politique devient très compliqué. Le gouvernement ne sait d'ailleurs pas comment négocier avec les "Gilets jaunes" qui ont un catalogue de demandes hétéroclites, parfois irréalistes et n'ont pas de représentants légitimes.

Des lycéens ont procédé à des blocages d'établissements ce matin, pensez-vous que la contagion peut encore s'accentuer?

Il ne faut pas généraliser ces blocages à l'ensemble des lycéens. Il y a eu une centaine d'établissements qui ont été bloqués. Ce qui reste pour l'instant minoritaire. Est-ce que le mouvement peut s'étendre ? Il est difficile de répondre pour le moment. Je ne vois pas de solidarité massive et spontanée entre les lycéens et les "Gilets jaunes". A priori, il n'y pas de convergence évidente de leurs intérêts.

En revanche, le grand danger pour le gouvernement est qu'il arrive un accident grave à un jeune. Cela peut embraser la situation. Il y a dans une partie de la jeunesse un potentiel de violence et de radicalité. Dans une récente enquête sur les lycéens, on avait vu qu'il y avait une partie de lycéens, certes minoritaire, qui n'arrivent pas à justifier des comportements violents pour défendre des idées. Il y a une autre minorité qui trouve acceptable de bloquer les lycées.

Pour le moment, la jeunesse des cités est à l'écart de ce mouvement comme la partie la plus pauvre de la population. Les cartes indiquent qu'il y a, par exemple, eu très peu de barrages en Seine-Saint-Denis alors que c'est le département le plus pauvre de France métropolitaine. Il y a chez les lycéens et les étudiants une minorité politique radicale qui cherche à lancer des mouvements, à les fédérer et à entraîner le plus grand nombre dans ce type de contestation. C'est assez facile de bloquer un établissement. Ce sont souvent des minorités qui le font.

Les réponses du gouvernement, notamment celle sur la fiscalité carbone, vous paraissent-elles suffisantes pour apaiser la colère des "Gilets jaunes" ?

Le recul du gouvernement est relativement fort avec un manque à gagner de plusieurs milliards pour les finances publiques. Cette décision de l'exécutif peut entraîner deux réactions. D'un côté, il peut y avoir un apaisement, voire un arrêt des mobilisations. D'un autre côté, ce premier pas peut inciter les manifestants à vouloir poursuivre pour en obtenir plus.

La revalorisation du Smic et le rétablissement de l'impôt sur la fortune (ISF) pourraient-ils contribuer à apaiser les tensions ?

Si le gouvernement revalorise le salaire minimum et rétablit l'ISF, il renonce à sa politique. La hausse du Smic peut représenter un risque sur le plan économique. Le comité d'experts sur le Smic répète que cette augmentation pourra créer du chômage supplémentaire pour les jeunes peu qualifiés, par exemple. Je ne vois pas le gouvernement s'engager dans cette voie.

Quant à l'ISF, Emmanuel Macron a annoncé qu'il ne voulait pas renoncer. C'est un symbole de la politique de l'offre du macronisme. S'il renonce à cette mesure, ce serait un revirement politique et économique important. Cette décision de supprimer l'ISF a eu un impact psychologique énorme et a beaucoup desservi le gouvernement. Cela a alimenté le thème du "président des riches". Surtout que cette suppression s'est faite au même moment que l'augmentation de la CSG pour les retraités alors qu'ils faisaient partie de son électorat. Même s'il y a eu des exonérations, des retraités au niveau de revenu modeste ont été pénalisés.

Grégoire Normand
Commentaires 32
à écrit le 11/12/2018 à 20:40
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Je viens de lire les arguments des partisans et des opposants au rétablissement de l’ISF qui concernait jadis des personnes dont le patrimoine excédait 1,3 million d’euros (biens mobiliers et immobiliers) et, en particulier, un argument des opposants...

à écrit le 10/12/2018 à 20:01
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Le problème c'est que l'ISF tel qu'il était à un coût économique énorme et sa suppression un coût politique très important . Macron a cru habile de ne pas supprimer l'ISF mais d'en changer la base...Cela frappe toujours les ménages ayant plus de 130...

à écrit le 08/12/2018 à 17:53
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Je comprends le désarroi des politiciens, eux si souvent habitués à acheter des voix . Le fait d'avoir à faire à des "gens normaux" perdants de la mondialisation inexistants dans les médias depuis 40 ans et qui ne se revendiquent d'aucun parti doit...

à écrit le 07/12/2018 à 12:19
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Les retraités modestes ont été pénalisé. Pire que cela ils ont été sacrifié car depuis SARKOZY les retraites n'ont quasiment pas été revalorisées. Ce qui marque une baisse du pouvoir d'achat des retraités de manière constante depuis plusieurs année...

le 07/12/2018 à 12:46
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D'un autre coté, ils sont les principaux bénéficiaires du remboursement à 100% par la sécurité sociale des affections de longue durée. Un remboursement qui coûte chaque année de plus en plus cher, soit 94,5 milliards d'euros pour l'année 2015.

le 07/12/2018 à 15:27
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Je pense que la vraie question sur la hausse de la CSG pour les retraités c’est de savoir si le seuil a été bien placé. Au niveau macro, les études montrent que la génération des retraités est une de celles qui s’en sortent le mieux. Aussi, considére...

à écrit le 07/12/2018 à 12:19
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Bien sûr que la communication a son importance, on le voit avec cette question de l'ISF, mais plus que la com. ce sont les décisions et leurs applications qui sont importantes, car elles impactent le futur. Sans elles, on sent bien que nos modèles so...

à écrit le 07/12/2018 à 12:14
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Ce sociologue a raison quand il dit que les salaires et les points de retraites ont stagné depuis 2008, donc le pouvoir d'achat des gens n'a fait que s'aggraver...car le coût de la vie n'a fait qu'augmenter (surtout les loyers, les taxes de l'Etat,...

à écrit le 07/12/2018 à 10:48
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Il y a de la jalousie dans le totem ISF. Il y a une anomalie flagrante en exonérant d'impôts 58% des français. Ce sont ce là qui demande de faire cracher encore plus les autres, c'est plus facile que de se poser la bonne question sur soit.

le 07/12/2018 à 12:41
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La réalité des faits c'est que 100 % des français payent la TVA qui représente plus de 50% des prélèvements non sociaux. Quasiment personne n’échappe non plus à la CSG et à la TICPE. L'ISF était en réalité un impôt hyper doux. Son seuil d'applic...

le 07/12/2018 à 16:13
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Faux! La TVA ne représente pas plus de 50% des prélèvements non sociaux.. mais 25% En 2017, la TVA a rapporté 162 milliards d'euros. La même année, l'ensemble des impôts et des taxes ont rapporté 650 milliards d'euros. Source INSEE Impôts e...

à écrit le 07/12/2018 à 9:13
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En réalité, il n'y a pas de baisse de la taxation du capital en France. Car la baisse de l'ISF est plus que compensé par la hausse des recettes de la taxation de héritage, c'est « une hausse de près de 60 % depuis 2012 », constate Joël Giraud (LRE...

le 07/12/2018 à 13:07
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Une petite explication. La différence entre 2012 et maintenant c'est le seuil forfaitaire abattement qui est passé de 159 000€ par part en 2012, à 100 000€ actuellement. Comme ce seuil n'est plus réactualisé, sa valeur s'abaisse mécaniquement sou...

à écrit le 07/12/2018 à 9:07
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Directeur de recherche au CNRS , que peut il même comprendre de la vie des autres ? Le contrôle technique drastique , les 80 km / h , les amendes majorées en ville, les radars à tous les coins de rue , l'interdiction des vieux véhciules dans certaine...

à écrit le 07/12/2018 à 9:05
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Quel discours creux et mélange des genres! C'est vraiment un sociologue cet interviewé? ou bien un expert-économiste-supporter-du macronisme?

à écrit le 07/12/2018 à 8:44
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"Quand il pleut, si vous sortez vous pouvez être mouillés" Ok génial et... merci bien hein !

à écrit le 07/12/2018 à 8:31
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TOUTES les injustices desservent un gouvernement : pas besoin d'etre sociologue pour le savoir !

à écrit le 07/12/2018 à 7:42
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Ces "sociologues" ne savent qu'ergoter. Pas besoin d'etre devin pour se rendre compte de ras la casquette de la classe moyenne et cela bien avant la crise de 2008. Dans les campagnes du Sud-Ouest, la moyenne montagne, il suffit d'aller voir les gens...

à écrit le 07/12/2018 à 7:39
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On nous agite l'ISF comme un chiffon rouge pour qu'on ne regarde pas la montagne d'argent que l'optimisation fiscale nous coûte. Quatre petits miliards d'euro d'ISF seulement contre des dizaines pour les sociétés, et pas seulement les GAFA pointés du...

à écrit le 07/12/2018 à 5:52
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"Sociologie des inégalités" ,félicitations , même les socialistes avec leurs novlangue et leurs meilleurs slogans , n'avaient pas trouvé cette formule surréaliste …!

à écrit le 07/12/2018 à 4:53
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A présent il peut s'en aller !

à écrit le 06/12/2018 à 23:53
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"Il est difficile d'avoir une analyse définitive sur ce mouvement très éruptif, et difficile à comprendre." Ça n'empêche pas de pérorer encore quelques paragraphes pour ne rien dire que les autres n'ont déjà répété des dizaines de fois. À lire les d...

le 07/12/2018 à 7:22
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@peze: excellent, j'ai pensé écrire la même chose mais sans le beaujolais en conclusion. A la votre

à écrit le 06/12/2018 à 23:21
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Je suis probablement un riche. J'ai vote pour macron en 2017. Pourtant, si c'etait a refaire, je choisirai sans doute le pen ou melenchon. L'un des defis les plus critiques de notre societe est de controler les prolos. Avec Macron, ca couterait sans ...

le 07/12/2018 à 7:45
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A Nicolas. En 1789 on vous aurait "raccourci" pour de tels propos. Les "prolos", non mais on reve, monsieur le bourgeois.

à écrit le 06/12/2018 à 20:12
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"des dizaines d'appels à manifester à Paris se concurrencent sur les réseaux sociaux" les gens obéissent aux appels comme ça ? On leur suggère un truc, ils le font, en disant que c'est écrit sur leur écran sans savoir qui le fait, ses motivations, se...

à écrit le 06/12/2018 à 18:35
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Le sociologue nous dit que l'ascenseur social est cassé. Il y a cependant toujours l'escalier, mais ça c'est trop pénible. Il vaut mieux rester au rez de jardin et continuer à rêver au père noël et à revendiquer.

le 06/12/2018 à 20:14
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Il n'y a plus d'escalier non plus. Il reste tout au plus quelques échelles, que les premiers de cordée sont en train de retirer pour éviter d'avoir à partager.

à écrit le 06/12/2018 à 18:34
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Le monde développé entier a supprimé l'ISF, et se régale de sa réinstauration en FR. Cet impot Imbécile, Jalousie-convoitise, a couté 10000 fois plus en dégats sur l'économie smicards et classes moyennes qu'il n'a rapporté. Sa déclaration-controle-...

à écrit le 06/12/2018 à 18:09
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RAS LE BOL DE CES SOCIOLOGUES, ils détiennent la vérité, ils savent tout sur tout, ils blablatent sur tout, parasitent les médias et ne servent à .RIEN, du vent.

le 06/12/2018 à 19:43
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Un peu comme votre message

à écrit le 06/12/2018 à 17:51
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l'ultra neo gauche a toujours ses interpretations; au venezuela y a plus que des pauvres donc y a plus d'inegalites; bon par contre ils ont 2 euros par jour pour vivre...... ce qui ulcere les gilets jaunes c'est de ne pas etre assez riches pour q'un...

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