"Gilets jaunes" : "Les impacts économiques négatifs ne se sont pas estompés" (CCI France)

Par Grégoire Normand  |   |  966  mots
Pierre Goguet a été élu président de CCI France en 2017. (Crédits : DR)
INTERVIEW. Le président de CCI France, Pierre Goguet, s'alarme d'un possible changement de comportement des consommateurs avec la prolongation du mouvement des "Gilets jaunes".

Le samedi 16 février, le ministère de l'Intérieur avait dénombré 41.500 manifestants en France et 5.000 à Paris, des chiffres en recul par rapport à la semaine précédente mais contestés par les "Gilets jaunes" qui en ont dénombré plus du double (104.070).

LA TRIBUNE - Plus de trois mois après le début du mouvement des "Gilets jaunes", quel est l'impact des perturbations sur les entreprises ?

PIERRE GOGUET - Notre dernière enquête, qui s'appuie sur 44 de nos chambres, montre une baisse de l'intensité des perturbations mais seulement 7% des entreprises interrogées indiquent qu'elles ont disparu. Cela signifie que 93% d'entre elles considèrent que ces troubles existent toujours. Globalement, les impacts économiques négatifs ne se sont pas estompés.

A ce jour, il y a une absence de compensation des pertes subies notamment en décembre. Les soldes ne se sont pas très bien passées. Des entreprises commencent à ressentir des difficultés économiques. Elles avaient fait des stocks pour la période de fin d'année et elles n'ont pas intégralement destocké. Des commerçants n'ont pas perdu espoir de rattraper ces pertes. Ils essaient d'ouvrir encore le dimanche grâce aux autorisations accordées par le gouvernement. Pour l'instant, deux tiers des entreprises indiquent qu'elles n'espèrent pas un rattrapage. 90% considèrent que l'impact négatif sur le chiffre d'affaires se maintient. Il y a néanmoins des signes d'amélioration du côté de l'approvisionnement et la gestion des stocks.

Comment expliquez-vous de telles disparités entre les territoires ?

Les différences territoriales sont liées à l'activisme des "Gilets jaunes" et à leur capacité à bloquer. Aujourd'hui, il y a des zones dans les centres-villes où les rideaux sont parfois fermés tous les samedis. La clientèle peut être dissuadée. Même si certains magasins peuvent rester ouverts ou se contentent de fermer le temps que le défilé passe et rouvrent juste après, cela ne règle pas le problème que la clientèle n'est pas venue. On est dans une problématique de changement de consommation, avec des clients qui viennent moins dans les magasins. Certains magasins arrivent à compenser car ils avaient déjà des sites de vente en ligne. Beaucoup de petits commerces n'avaient pas cette alternative. Globalement, les pertes moyennes de magasins sont de l'ordre de 30% dans les zones où il y a eu les "Gilets jaunes". Il y a une vive inquiétude des commerçants sur les habitudes des consommateurs. Le mouvement des "Gilets jaunes" pourrait contribuer à accroître le phénomène de "déconsommation".

Comment jugez-vous les réponses du gouvernement à cette crise sociale inédite ?

Le Premier ministre Édouard Philippe a annoncé la mise en place d'un fond d'indemnisation qui a donné pas mal d'espoirs aux commerçants indépendants les plus touchés. Cette enveloppe de 3 millions d'euros pour 10 villes risque d'écarter un bon nombre de zones où le commerce a été touché. L'une des remontées de notre réseau consulaire est de demander une exonération de cotisations sur un trimestre et pas seulement un étalement. Pour cette dernière option, les commerçants vont devoir rembourser alors qu'on estime que les deux tiers n'auront pas rattrapé leur chiffre d'affaires. Je pense qu'il va y avoir pas mal de dégâts sur le commerce. Tous les efforts entrepris lors du plan de revitalisation des centres-villes risquent d'être affaiblis.

Les villes et les régions peuvent aider sur des mesures ponctuelles. À Bordeaux par exemple, des stationnements gratuits sont prévus le samedi. Il faut regarder comment tous les fonds mis en place vont répondre aux problématiques des commerçants touchés. Nous sommes déjà sollicités mais les critères pour en bénéficier ne sont pas mis en place. Il faut, avec les services territoriaux comme les Direccte, avoir une capacité de réponse sur les critères d'éligibilité, sur le curseur d'indemnisation, sur les possibilités d'indemnisation. Beaucoup de commerces indépendants n'ont pas d'assurance pour les pertes d'exploitation contrairement aux grandes enseignes.

Le grand débat est-il selon vous un bon moyen de sortir de cette crise ?

Nous avons mobilisé tout notre réseau sur ce sujet. Avec le Medef, la CPME, nous essayons d'ouvrir les débats à la catégorie des entrepreneurs. Nous avons fourni à toutes nos chambres un kit et on propose parfois un animateur. À partir de comptes rendus que j'ai pu lire, il y a des remontées intéressantes concernant la fiscalité des commerces de centre-ville par rapport à la fiscalité du commerce en ligne. Ne faut-il pas appliquer une fiscalité respectant la vocation du commerce du centre-ville qui est un atout pour l'attractivité de la ville ?

Les mesures annoncées par Emmanuel Macron le 10 décembre dernier (élargissement de la prime d'activité, annulation de la CSG pour les retraites inférieures à 2.000 euros) devraient booster le pouvoir d'achat d'une bonne partie des Français. Quel pourrait être l'impact de ces mesures ?

Il peut y avoir un effet mais le risque est que cela favorise surtout l'importation de produits étrangers. Le pouvoir d'achat peut aussi se transformer en épargne. Beaucoup de Français observent que la sortie de crise n'est pas pour demain, que les problématiques liées à la fiscalité sur la taxe carbone ne sont pas finies. Les foyers modestes, qui ont une propension à consommer, pourraient s'orienter vers des produits moins coûteux et donc pas nécessairement ceux fabriqués en France. Du côté des entreprises françaises, il faut encore que l'appareil productif soit capable de répondre à la demande sinon on risque de favoriser des produits importés. Je pense que c'est dans la proximité des territoires que l'on trouvera des solutions adaptées.