Grand débat : le casse-tête de la fiscalité « plus juste et plus efficace »

Par Grégoire Normand  |   |  1143  mots
(Crédits : Benoit Tessier)
En proposant sa "Lettre aux Français", le président invite les citoyens à participer activement à l'élaboration d'un nouveau «pacte social». Il compte sur le succès de cette initiative pour relancer son programme de réformes. Parmi les quatre thèmes proposés, celui de la fiscalité.

C'est un débat inédit et hautement inflammable. « Nous ne pouvons, quoi qu'il en soit, poursuivre les baisses d'impôt sans baisser le niveau global de notre dépense publique », a expliqué le président dans sa missive. Entre la contestation des taxes sur le carburant et la volonté d'une plus grande justice fiscale, le thème des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques devrait occuper une place prépondérante dans les discussions. Face à la montée en puissance des revendications chez les « gilets jaunes », Emmanuel Macron avait renoncé à la hausse de la taxe carbone en 2019. Mais ce recul n'a pas suffi à calmer le ras-le-bol-fiscal exprimé lors des manifestations.

Le gouvernement invite les citoyens, les associations, les élus et les entreprises à échanger sur le rôle des impôts et de la dépense publique. Un appel aux corps intermédiaires qui peut représenter une rupture dans la méthode Macron, souvent critiquée par ses opposants pour son approche verticale du pouvoir. Le Medef et le réseau des CCI ont déjà appelé « les entreprises et les entrepreneurs à participer largement à ce dialogue indispensable avec les Français ». Dans son adresse, le chef de l'État a posé quelques questions : « Comment pourrait-on rendre notre fiscalité plus juste et plus efficace ? Quels impôts faut-il à vos yeux baisser en priorité ? » Tout en essayant d'expliquer la finalité des prélèvements obligatoires, un sujet très explosif. « Chez nous, un grand nombre de citoyens paie un impôt sur le revenu, parfois lourd, qui réduit les inégalités. Chez nous, l'éducation, la santé, la sécurité, la justice sont accessibles à tous indépendamment de la situation et de la fortune. »

Pour le gouvernement, les marges de manoeuvre sont étroites. Les annonces du 10 décembre dernier en faveur du pouvoir d'achat des Français pourraient creuser le déficit à 3,2 % cette année. Et, même si le ministre Bruno Le Maire a récemment souligné, à Bercy, que « l'objectif était de réduire la dette publique de cinq points, celle de la dépense publique de trois points et les prélèvements obligatoires d'un point d'ici à la fin du quinquennat », le ralentissement de l'économie française pourrait compliquer la tâche de l'exécutif.

Maintenir le cap

En dépit de la multiplication des mouvements de contestation, le président de la République a tenu à souligner sa détermination. Le compte-rendu du premier conseil des ministres de l'année 2019 par Benjamin Griveaux indique : « Nous devons aller sans doute encore plus loin dans le changement, être beaucoup plus radicaux dans nos méthodes, dans nos manières de faire, dans notre style. » Les entreprises vont continuer à profiter du Crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et sa transformation en baisse de charges cette année.

En revanche, le calendrier est modifié pour la fiscalité sur les entreprises. La diminution de l'impôt sur les sociétés devait passer de 33 % à 25 % d'ici à 2022, conformément au programme d'Emmanuel Macron, avec une première tranche à 31 % cette année. Mais le Premier ministre, Édouard Philippe, a annoncé au mois de décembre que les grandes entreprises seraient mises à contribution. Le chef du gouvernement a en effet programmé le report de la baisse du taux d'Impôt sur les sociétés (IS) pour les entreprises ayant plus de 250 millions d'euros de chiffre d'affaires à 2020. Avec ce report, l'exécutif espère récupérer 1,8 milliard d'euros de recettes publiques supplémentaires. Enfin, les impôts de production pourraient également représenter une piste de réflexion pour ce Grand débat, comme le rappelle le président du Conseil d'analyse économique (CAE), Philippe Martin.

La délicate question des impôts sur les hauts revenus

Symbole de crispations, l'Impôt sur la fortune (ISF) a attisé de nombreux mécontentements dans les rangs des « gilets jaunes ». Dans sa lettre, Emmanuel Macron a totalement exclu de revenir sur ce prélèvement, même s'il ne le mentionne à aucun moment, tout en ajoutant qu'« il n'y a pas de questions interdites ».

« Nous ne reviendrons pas sur les mesures que nous avons prises pour corriger cela afin d'encourager l'investissement et faire que le travail paie davantage. » Ce paradoxe a rapidement soulevé des critiques chez les « gilets jaunes », qui y voient une possible fermeture du débat. Pour tenter de contrebalancer ces remarques, le gouvernement veut mettre l'accent sur la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales. À l'automne dernier, le Parlement a donné son feu vert au projet de loi de lutte contre la fraude fiscale. Le texte prévoit notamment un assouplissement du controversé « verrou de Bercy » et la création d'une police fiscale à Bercy. Ce service devrait bénéficier de moyens supplémentaires par rapport aux inspecteurs du fisc comme des possibilités de perquisition facilitées.

Enfin, le gouvernement veut intensifier ses efforts sur la fiscalité des Gafa. Lors de ses voeux, Bruno Le Maire, qui en a fait son cheval de bataille, a réitéré sa volonté de taxer les géants du numérique mais il est resté évasif sur les moyens de mise en oeuvre, rappelant que « quatre pays en Europe s'opposaient encore à cette taxe ». Pour aller plus vite, le gouvernement veut mettre en place cette année un dispositif qui devrait rapporter 500 millions d'euros aux finances publiques. Mais beaucoup de flou subsiste sur le périmètre imposé. Roland Lescure, député LRM des Français de l'étranger, rappelle à La Tribune qu'il y a « une vraie injustice fiscale chez les entreprises globalisées. Il y a un véritable défi sur la fiscalité du chiffre d'affaires de préférence au niveau européen, sinon au niveau national. »

D'autres propositions se multiplient chez les économistes. Pour Philippe Martin, « la transformation de l'ISF en Impôt sur la fortune immobilière (IFI) devrait être équilibrée par une hausse de la fiscalité sur les successions, pour les revenus supérieurs à 1,5 million d'euros, par exemple. » Récemment, le groupe de réflexion Terra Nova a initié, dans une note, une réforme de l'impôt sur les successions en modifiant le barème et en instaurant un abattement décroissant. Ces mesures « permettraient de générer 3 milliards d'euros de recettes fiscales supplémentaires par an, soit l'équivalent de ce qui a été perdu sur l'ISF », précise le document. Les auteurs proposent également de « revisiter l'avantage fiscal lié à l'assurance-vie, laquelle jouit aujourd'hui d'un régime largement dérogatoire ». Enfin, la suppression totale de la taxe d'habitation et le poids de l'impôt sur le revenu progressif sont au menu du débat. Pour le gouvernement, qui veut maintenir une stratégie fiscale en faveur des entreprises tout en limitant la rente, les prochaines semaines s'annoncent décisives.