Grand débat : le pari risqué d'Emmanuel Macron

Par Robert Jules  |   |  913  mots
Le président a lancé le Grand débat mardi 15 janvier à Grand Bourgtheroulde (Eure). (Crédits : Reuters)
En proposant sa "Lettre aux Français", le président invite les citoyens à participer activement à l'élaboration d'un nouveau « pacte social ». Il compte sur le succès de cette initiative pour relancer son programme de réformes.

C'est parti ! À Grand Bourgtheroulde, dans l'Eure, le président de la République a lancé cette semaine son opération Grand débat pour tenter de renouer le dialogue face à la crise des "Gilets jaunes". En adressant sa Lettre aux Français, il cherche d'abord à reprendre la main. Le mouvement des "Gilets jaunes" n'en finit pas de secouer la France et son gouvernement depuis plusieurs semaines, jusqu'à fragiliser la cohésion du pays. C'est pourquoi le président invite les Français à rien de moins que refonder un « pacte social ».

L'ambition est louable, mais la procédure est inédite et n'est pas sans danger, car elle acte en creux le fait que nos institutions sont en crise. Avant même de savoir - même si la participation est ouverte à tous -, si les dizaines de milliers de citoyens, majoritairement issus de la France périphérique, qui ont manifesté et tenu les ronds-points depuis le 17 novembre, vont jouer le jeu, les modalités de cette consultation peuvent légitimement interroger sur sa rigueur et faire naître des soupçons de démagogie.

Le président décidera, en effet, seul de ce qui sera appliqué in fine. Mais évitons le procès d'intention à l'encontre d'une démarche qui va se construire au fil des deux prochains mois. En prenant au mot les revendications spontanées des "Gilets jaunes", Emmanuel Macron veut « transformer les colères en solutions ». Stratégiquement, c'est habile. Même si le nombre de participants sera décisif pour légitimer le processus, comme dans les manifestations, la proposition va diviser les contestataires entre ceux qui rejettent la « lettre tendue » et ceux qui saisissent l'opportunité de cet « écrit de rattrapage » comme l'a écrit Libération. De la même façon, les 10 milliards d'euros concédés en décembre par le pouvoir avaient dissuadé une importante partie des "Gilets jaunes" de poursuivre le mouvement.

Un débat en quatre thèmes

Au-delà des formules « performatives » - « la France n'est pas un pays comme les autres », ce qui peut s'appliquer à n'importe quel autre pays -, le texte cadre le débat en quatre thèmes.

  • La fiscalité, qui pose l'équation de l'équilibre entre recettes et dépenses publiques, et les choix politiques que cela implique. Autrement dit, il faut faire des choix cohérents ;
  • L'organisation de l'État et des services publics. Nul doute que la réflexion devra aussi inclure un bilan de la décentralisation. Le « mille feuilles » est de plus en plus coûteux et de moins en moins efficace. L'aménagement du territoire, qui a conduit à un déséquilibre au profit des métropoles, est l'une des causes de la colère des "Gilets jaunes" ;
  • La transition écologique est un défi. La nécessité d'évoluer vers un modèle de développement plus respectueux de l'environnement et générant moins de pollution doit se conjuguer avec le développement économique. Le chantier est immense mais, à la condition d'investir, il pourrait contribuer à améliorer le pouvoir d'achat des ménages ;
  • La démocratie et la citoyenneté. Les "Gilets jaunes" ont montré qu'une partie de la population ne se retrouvait pas dans l'offre politique. Emmanuel Macron en a été d'ailleurs le premier bénéficiaire - élu par « effraction » selon ses propres termes -, mais aujourd'hui son impopularité révèle que l'insatisfaction persiste. Le président a ajouté deux autres points, qui font l'objet de vifs débats dans la société : l'accueil et l'intégration des exilés (le mot « d'immigrés » est évité) et la laïcité, dont il faut « renforcer les principes ».

Le cadre exclut donc toute remise en cause des réformes menées par Emmanuel Macron, notamment celle de l'ISF, supprimé pour les détenteurs de valeurs mobilières, mais pas sur l'immobilier. Comme il l'explique, fort de sa légitimité présidentielle, il compte non seulement tenir le cap initial fixé dans son programme pour « rendre à la France sa prospérité », mais se servir de cette grande consultation comme d'un levier pour relancer son projet.

Le président est persuadé qu'un débat sérieux permettra d'avoir « les idées claires » et de favoriser « une clarification de notre projet national et européen ». Le propos de la lettre se veut pédagogique ; il explique par exemple que, si l'on s'en tient aux faits, la France dispose d'un système social parmi les plus redistributifs au monde, ce que ne semble pas savoir une majorité des "Gilets jaunes".

Emmanuel Macron espère ainsi qu'une majorité de Français se résoudront à revenir dans un « cercle de la raison » dont il occupera le centre. Le pari est audacieux mais le président dispose de deux atouts non négligeables : l'absence d'alternative politique crédible au sein de l'opposition parlementaire et, en guise de repoussoir, la montée du populisme en Europe, dont chacun peut constater les effets jusque dans une démocratie proche, l'Italie.

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Retrouvez les autres articles de notre Dossier spécial "Grand débat national" dans La Tribune Hebdo n°276 daté du 18 janvier 2019 :