L'Assemblée approuve la loi sur les « prix planchers » agricoles, la majorité doublée par les écologistes

Par latribune.fr  |   |  1059  mots
Le texte de la députée écologiste de la Drôme Marie Pochon a été approuvé par 89 voix contre 66, la gauche votant pour et la majorité contre. (Crédits : Reuters)
Les députés ont voté, jeudi soir, en faveur du texte prévoyant un prix minimal d'achat pour les prix agricoles. Malgré l'opposition de la majorité, cette proposition de loi écologiste a obtenu suffisamment de soutien à gauche pour être votée.

Les protestations des agriculteurs font du remous dans l'hémicycle. Jeudi soir, l'Assemblée nationale a approuvé en première lecture une proposition de loi écologiste en faveur de prix planchers pour les agriculteurs. Le texte de la députée écologiste de la Drôme Marie Pochon a été approuvé par 89 voix contre 66, la gauche votant pour et la majorité contre.

Pour « garantir un revenu digne aux agriculteurs », le texte écologiste prévoit un prix minimal d'achat fixé par « une conférence publique » dans les filières qui le souhaitent, ou sur décision du gouvernement en cas de désaccord. Les instances décideront ainsi de seuils au-dessous desquels les transformateurs ne pourront pas acheter aux producteurs leurs aliments et les distributeurs ne pourront pas proposer à la vente. Le texte prévoit que les prix ainsi déterminés permettent de rémunérer les agriculteurs à hauteur de deux fois le Smic, le prix minimum pouvant être revu tous les quatre mois.

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La majorité et les oppositions de droite contre le texte

Pourtant, les détracteurs de cette loi étaient nombreux sur les bancs des députés. Le RN s'est abstenu, affirmant par la voix de Grégoire de Fournas avoir « toujours été pour des prix planchers » mais regrettant l'absence dans le texte de « dispositifs pour encadrer les marges » au risque de nourrir « l'inflation alimentaire ». LR a été quasi absent du débat, mais le député Pierre Cordier a marqué son désaccord avec le texte.

Surtout, la ministre déléguée auprès du ministre de l'Agriculture Agnès Pannier-Runacher a, elle-même, rejeté avec vigueur le dispositif proposé par Marie Pochon, le jugeant « inopérant » même si le gouvernement « partage pleinement (sa) préoccupation » quant au revenu des agriculteurs. « La piste conduisant à des prix administrés doit être écartée » car ce n'est pas le gouvernement qui « peut déterminer le prix pour un secteur économique », a-t-elle affirmé.

De plus, « l'instauration d'un prix minimal qui par définition ne s'appliquerait qu'à la production nationale, pourrait favoriser les produits importés au détriment de nos agriculteurs », a-t-elle souligné.

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Le député MoDem Bruno Millienne a été particulièrement virulent, en accusant les écologistes de « vouloir (se) racheter une conscience, après avoir fait "chier" les agriculteurs pendant des décennies, mais ça ne marche pas ». « Oui nous sommes écologistes, nous sommes fiers et nous sommes aux côtés des agriculteurs. La réalité c'est que vous n'assumez pas votre vote » (contre les prix planchers), a réagi la présidente du groupe écologiste Cyrielle Chatelain.

Le gouvernement troublé par l'annonce d'Emmanuel Macron

Au cours de débats qui se sont étirés, la majorité a parfois donné l'impression de jouer la montre pour éviter d'aller jusqu'au vote de la loi. « Ils sont gênés sur un dispositif annoncé par le président de la République », a analysé Marie Pochon à la pause dînatoire.

Et pour cause, la proposition de loi, qui reprend une mesure proposée dans un texte de la France insoumise rejeté de peu dans l'hémicycle en novembre, fait aussi écho aux propos du président de la République Emmanuel Macron, qui avait fixé un objectif de « prix planchers » lors de sa visite houleuse du Salon de l'agriculture en février, sur fond de colère paysanne. « C'est la chose la plus engageante qu'on ait jamais faite », avait même scandé le Président. Mais quelques jours après l'annonce de ce dernier, le Premier ministre, Gabriel Attal, avait rétropédalé en précisant que ​​ « l'agriculture française ne doit être ni l'URSS, ni le Far West »« Le truc de LFI, c'est (...) le gouvernement décide du prix du lait (...) ça c'est un truc du système soviétique », avait pour sa part affirmé le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau, sur CNews/Europe 1, laissant présager un dispositif différent.

En novembre déjà, lors des discussions à l'Assemblée nationale autour d'une proposition de La France Insoumise d'instaurer justement des « prix plancher » (rejetée par 168 voix contre 162 à cause de la majorité macroniste), la ministre déléguée chargée de la Consommation, Olivia Grégoire, s'était déjà insurgée contre une telle mesure, qui rappelait à ses yeux « Cuba ou l'Union soviétique avec les succès que nous leur connaissons ».

Les professionnels de l'agro-alimentaire divisés

Autres acteurs réfractaires aux prix planchers : les distributeurs. « Je pense que cela va être un frein dans une compétitivité européenne où on est aussi très heureux d'exporter, mais je laisse les responsables agricoles s'exprimer sur le sujet », avait estimé le président du groupement Les Mousquetaires/Intermarché Thierry Cotillard, le 27 février. Pour lui, « avant de mettre d'accord l'ensemble des acteurs européens sur ce sujet-là il va se passer quelque temps, voire quelques années et (...) les agriculteurs ne peuvent plus attendre ». Il est donc favorable à la mise en place de « décisions concrètes, immédiates » et à « une loi Egalim qui aille plus loin sur la directivité et la transparence ».

Thierry Cotillard n'est pas le seul à s'être exprimé sur cette mesure. Le chef de la FNSEA, premier syndicat agricole, Arnaud Rousseau, fait partie des sceptiques. Tout comme Bruno Dufayet, l'ex-président de la fédération nationale bovine, association spécialisée de la FNSEA. Pour Thierry Roquefeuil, le président de la fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), le prix plancher « n'est pas une réponse » mais « plutôt un problème ». « Il y a le risque qu'[il] devienne un prix plafond (...) c'est complètement à l'encontre de ce qu'on a bâti jusqu'à maintenant », avait-il indiqué fin février.

D'autres acteurs ont par contre salué la mesure, à l'instar de la Confédération paysanne, classée à gauche, estimant qu'elle s'apparente à sa revendication d'un prix minimum garanti. Tout en restant « ultra vigilante » sur la manière dont elle sera mise en place. Idem pour Véronique Le Floc'h, la présidente de la Coordination rurale, deuxième syndicat derrière l'alliance FNSEA/Jeunes agriculteurs, qui s'est dite « pour le principe des prix planchers ».

 (Avec AFP)