Face à la colère des agriculteurs, le gouvernement présente un projet de loi en demi-teinte

Le « projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture » sera enfin présenté en Conseil des ministres le 3 avril. Il est construit autour d'une nouveauté principale : la mention de la « souveraineté alimentaire » en tant qu'objectif contribuant à la « défense » des « intérêts fondamentaux » de la Nation.
Giulietta Gamberini
Le « projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture » sera examiné mercredi en Conseil des ministres.
Le « projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture » sera examiné mercredi en Conseil des ministres. (Crédits : Reuters)

Attendu depuis septembre 2022, lorsqu'Emmanuel Macron avait promis « un pacte et une loi d'orientation et d'avenir agricoles » (PLOAA), et d'autant plus depuis l'explosion du mouvement de colère des agriculteurs, qui a poussé le gouvernement à revoir ses contenus, son intitulé, et à repousser d'un mois et demi sa présentation, le « projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture » doit enfin atterrir mercredi 3 avril en Conseil des ministres.

La veille de sa présentation, le cabinet du ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, met toutefois déjà en garde : il ne représente qu'un élément des « réformes structurelles » de l'agriculture engagées par le président de la République depuis 2017, ainsi que des réponses promises par l'exécutif depuis la crise agricole.

L'objectif de « reprioriser l'agriculture »

Par rapport à sa version d'avant-crise, d'ailleurs, la seule nouveauté majeure consiste dans la mention de la « souveraineté alimentaire » en tant qu'objectif contribuant à la « défense » des « intérêts fondamentaux » de la Nation, qui chapeaute désormais toutes les autres finalités du texte telles que le renouvellement des générations et l'adaptation au changement climatique.

Il s'agit en réalité du retour à une ancienne ambition, puisque la souveraineté alimentaire était bien mentionnée dans une version du projet de loi élaborée avant l'été 2023, mais avait ensuite été abandonnée de crainte que sa définition suscite trop de débats et ralentisse ainsi l'adoption du texte par le Parlement.

Lire ici : La souveraineté alimentaire, une notion politique dont la définition fait débat

L'inscription de l'objectif de souveraineté va désormais main dans la main avec une autre nouveauté : l'affirmation que « l'agriculture, la pêche et l'aquaculture sont d'intérêt général majeur ». Demandée notamment par les Jeunes Agriculteurs, et acceptée par Emmanuel Macron lors de son inauguration chahutée du Salon international de l'Agriculture, cette formule est susceptible d'avoir des conséquences juridiques importantes à moyen terme. Elle viendra notamment pondérer le poids d'un autre « intérêt général majeur », l'environnement, dans toutes les décisions de politiques publiques, afin de « reprioriser l'agriculture ». Elle permettra aussi au juge administratif de s'y appuyer dans ses interprétations, explique le cabinet de Marc Fesneau.

Pour le reste, la plupart des mesures en matière de formation/innovation et d'installation/transmission sont celles déjà imaginées avant la crise. Aucun objectif chiffré en matière d'installations ou de ratio entre entrants et cédants n'est d'ailleurs encore fixé. Les éléments centraux du dispositif restent l'instauration d'un « guichet unique » pour les cédants et les porteurs de projets, ainsi que d'un « diagnostic climatique », censés garantir un meilleur accompagnement de la transmission des exploitations.

Lire ici: Agriculture : ce qu'il faut retenir du pacte d'orientation présenté par le gouvernement

Les peines pour atteintes à l'environnement révisées

Le projet de loi contient en outre désormais un nouveau chapitre consacré à « simplifier et libérer l'exercice des activités agricoles » -d'importantes revendications des agriculteurs. Ainsi, des mesures visant à alléger et abréger les contentieux contre les projets de stockage de l'eau et de bâtiments d'élevage, qui figuraient dans la version de juillet du texte, mais qui ne relevaient plus du projet de loi en décembre, réapparaissent. Une simplification de la réglementation des haies et une révision de l'échelle des peines prévues pour les infractions environnementales des agriculteurs répondent explicitement à leur cahier des doléances.

La plupart des sujets les plus sensibles sont toutefois laissés à d'autres décisions ou à d'autres textes censés suivre. C'est le cas de la mise en œuvre de la réforme de 2023 de la retraite agricole, que Marc Fesneau a promis pour avant la fin de l'année, ainsi que de la modification de l'indicateur jusqu'à présent utilisé pour mesurer le recours aux produits phytosanitaires, qui sera explicitée dans le « plan Ecophyto » 2030 attendu pour début avril. C'est aussi le cas d'une éventuelle modification des lois Egalim protégeant les revenus des agriculteurs, confiée à une mission parlementaire en cours, ainsi que d'autres mesures de simplification, qui seront adoptées par d'autres moyens juridiques. Même les moyens financiers pour la mise en œuvre du projet de loi dépendront des arbitrages budgétaires et des textes financiers à venir, admet le cabinet du ministre de l'Agriculture.

Lire aussi Lois Egalim : pour la Cour des comptes, l'heure des sanctions est arrivée

Le texte sera toutefois probablement enrichi par le Parlement qui, selon les vœux du gouvernement, devrait terminer de l'examiner avant l'été. La Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) s'attend à beaucoup d'amendements, et compte en présenter plusieurs elle-même. Certaines questions, comme la définition de la souveraineté nationale, conçue par le gouvernement « dans une dimension européenne, voire internationale, en lien avec la sécurité alimentaire », susciteront sans doute des débats acharnés.

Giulietta Gamberini
Commentaires 9
à écrit le 03/04/2024 à 13:23
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La tradition technocratique nationale est respectée. Des demi-mesures. La frilosité du personnel politique se voit en permanence. .... Pourvu que ça dure !

à écrit le 03/04/2024 à 11:49
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la clef de tous ces échecs trouve donc à l échelle nationale ! (pour protéger les consommateurs que vont ils annoncer ? et parfois à l échelle européenne (MERCOSUR. UKRAINE ).

à écrit le 03/04/2024 à 11:35
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Si on veut valoriser la souveraineté alimentaire il faudra aussi prioriser la production pour les circuits courts (en mettant en place une TVA punitive à 20% pour les produits vendus à plus de 200 km du lieu de production), respecter la souveraineté ...

à écrit le 03/04/2024 à 11:31
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encore une réforme qui ne prévoit ni de plafonner les versements européens (250 000€ annuel pour le président de la fnsea) ni de supprimer les chambres d'agricultures (8000 fonctionnaires) dont on se demande à quoi ils servent dans cette période d'é...

à écrit le 03/04/2024 à 10:46
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D'accord pour l'essentiel de ces demandes avec un constat de divergences entre les petits producteurs bio et les grosses fermes usines et céréalières. J'espère que ce gouvernement malgré sa faiblesse tiendra bon sur les pesticides: la nature doit êtr...

à écrit le 03/04/2024 à 9:52
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Enfin si c'est pour nous empoisonner peut on parler de souveraineté alimentaire ? D'ailleurs avant de parler de souveraineté ne faudrait ils pas d'abord dégager l'emprise mortifère de l'agro-industrie sur l'alimentation ? Bref les gars entre les mots...

à écrit le 03/04/2024 à 9:12
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Ce que l'on comprend, c'est qu'il n'est nullement question de régler les problèmes mais de maintenir les discordes afin d'en rejeter la faute sur les autres et cacher les escroqueries !

à écrit le 03/04/2024 à 7:23
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Bonjour, la population souhaitent ( veux) une reduction des pesticides et engrais dans notre alimentation... devons nous faire brûler quelque bottes de paille pour etre entendus.... Ensuite si l'agriculture française ne peux se réformé nous pouvons...

à écrit le 02/04/2024 à 20:51
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Ce n' est certainement pas, en tout cas pour moi, un " progrès social " et civilisationnel que le budget alimentaire des " ménages " ne soit plus avec ceux du logement et de l' éducation les secteurs prioritaires de l' économie domestique ( famili...

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