Une agriculture d'« intérêt général majeur » : quel impact sur l'environnement ?

Les défenseurs de l'environnement s'inquiètent des conséquences juridiques d'une disposition du projet de loi agricole présenté aujourd'hui, selon laquelle « l'agriculture, la pêche et l'aquaculture sont d'intérêt général majeur ». Ses effets sur le droit de l'environnement restent néanmoins flous voire, selon l'avocat Arnaud Gossement, nuls.
Giulietta Gamberini
« La loi a une valeur juridique inférieure à celle de la Constitution ou du droit de l'Union européenne. Or, la protection de l'environnement est bien un objectif de valeur constitutionnelle, comme l'a reconnu en 2020, le Conseil constitutionnel », rappelle Arnaud Gossement.
« La loi a une valeur juridique inférieure à celle de la Constitution ou du droit de l'Union européenne. Or, la protection de l'environnement est bien un objectif de valeur constitutionnelle, comme l'a reconnu en 2020, le Conseil constitutionnel », rappelle Arnaud Gossement. (Crédits : LISI NIESNER)

Dans sa lettre, le « projet de loi d'orientation pour la souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture », présenté ce mercredi en Conseil des ministres, répond à l'une des principales revendications de la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et des Jeunes Agriculteurs. Son article premier prévoit en effet d'inscrire dans le code rural que « l'agriculture, la pêche et l'aquaculture sont d'intérêt général majeur ».

Emmanuel Macron l'avait promis afin d'emporter les faveurs des principaux syndicats agricoles le jour de son inauguration difficile du Salon international de l'agriculture, en évoquant la possibilité d'opposer un tel principe aux juges. Et ce mercredi, à la veille de la présentation du projet de loi, le cabinet du ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, expliquait en attendre d'importants effets juridiques : notamment le fait que cette notion vienne pondérer le poids d'un autre « intérêt général majeur », l'environnement, dans les décisions de politiques publiques ou des juges administratifs, afin de « reprioriser l'agriculture ».

« C'est un outil puissant à moyen-long terme. Au fond, ça vient à dire que l'agriculture n'est pas une question annexe, mais essentielle », a d'ailleurs affirmé mercredi matin Marc Fesneau dans les colonnes de La France agricole.

« Une fausse promesse »

Les défenseurs de l'environnement s'en inquiètent donc.

« Au-delà de son aspect symbolique, cette notion pourrait servir de base pour déroger à la législation environnementale, redoute Sandy Olivar Calvo, chargée de campagne Agriculture Greenpeace. Elle permettrait par exemple de contourner l'obligation de protection des espèces et favoriserait la mise en place de projets à l'impact environnemental majeur, tels que les méga-bassines ou les fermes-usines », souligne-t-elle dans un communiqué de l'ONG.

Mais « si la portée symbolique et politique d'une telle disposition est claire, ses effets juridiques restent en revanche très flous », estime l'avocate et ancienne ministre de l'Environnement Corinne Lepage. Certes, l'« intérêt public (et non pas général, ndlr) majeur » figure en effet parmi les raisons permettant d'autoriser, à titre dérogatoire, un projet d'aménagement ou de construction publique ou privée susceptible d'affecter la conservation d'espèces protégées et de leurs habitats. Mais il ne s'agit que d'une condition nécessaire mais non suffisante, d'autres devant aussi être réunies, explique-t-elle à La Tribune.

Arnaud Gossement, avocat et professeur associé à l'Université Paris I en droit de l'environnement, considère même que, juridiquement, les effets concrets de cette nouveauté législative seront nuls.

Laisser croire que « le développement de l'agriculture passera devant la protection de l'environnement si l'on inscrit "noir sur blanc" dans la loi qu'elle est d'intérêt général majeur (...) c'est une fausse promesse », analyse-t-il sur X.

Pas d'opposition entre intérêts environnementaux et agricoles

Le projet de loi est en effet plutôt « prudent » : selon l'article premier, « l'agriculture, la pêche et l'aquaculture sont d'intérêt général majeur en tant qu'elles garantissent la souveraineté alimentaire de la Nation, qui (à son tour, ndlr) contribue à la défense de ses intérêts fondamentaux ». Selon l'avocat, donc, « l'agriculture n'est un intérêt général majeur que dans la mesure où elle garantit la souveraineté alimentaire », ce qui n'est pas toujours le cas.

Or, la suite de l'article prévoit que la souveraineté alimentaire assure des « produits de manière durable », une « capacité à surmonter de façon résiliente les crises de toute nature susceptibles de porter atteinte à sa sécurité alimentaire » et une « production durable de biomasse ».« L'agriculture revêt donc un intérêt général majeur lorsqu'elle contribue à l'intérêt de l'environnement », résume Arnaud Gossement pour La Tribune, en estimant que le projet de loi ne crée  pas d'opposition entre intérêts environnementaux et agricoles, malgré le discours politique qui va dans ce sens.

Un texte qui « ne change rien »

Même si le gouvernement avait voulu, il n'aurait pas pu faire autrement au moyen d'une simple loi, note encore l'avocat.

« La loi a une valeur juridique inférieure à celle de la Constitution ou du droit de l'Union européenne. Or, la protection de l'environnement est bien un objectif de valeur constitutionnelle, comme l'a reconnu en 2020, le Conseil constitutionnel », note-t-il sur X.

« De même, de multiples actes du droit de l'UE (traités, directives ou règlement) organisent la protection de l'environnement et ces textes s'imposent à la loi, même lorsque celle-ci dispose que l'agriculture est d'intérêt général majeur », ajoute-t-il sur le réseau social.

Lire aussi: Méga-bassines : pourquoi de nombreux projets « autorisés » sont toujours bloqués

Son analyse est d'ailleurs la même pour l'ensemble des articles du projet de loi réduisant à l'apparence les contraintes environnementales de l'agriculture :

« Quand on dépasse la simple lecture politique, on se rend compte que ce texte ne change rien », conclut-il pour La Tribune.

D'autant plus que son caractère de « loi d'orientation », fixant des objectifs, plus que des obligations précises, sera pris en compte par le juge, souligne-t-il.

Un texte « risqué »

Pour Sandy Olivar Calvo, néanmoins, le maintien du texte dans sa forme actuelle serait « très risqué » pour les défenseurs de l'environnement.

« Les références à la durabilité de l'agriculture restent trop légères, et l'ensemble trop imprécis », estime-t-elle : « La définition de droit international de la souveraineté alimentaire n'est en outre pas prise en compte ».

Lire: La souveraineté alimentaire, une notion politique dont la définition fait débat

D'autres textes réglementaires adoptés en parallèle du projet de loi réduisent de surcroît la marge de manœuvre des ONG, s'inquiète-t-elle.

Greenpeace espère donc que la référence à l'« intérêt général majeur » sera supprimée, ou du moins amendée, « de manière à réaffirmer la primauté de la protection de l'environnement et la nécessaire conformité de l'agriculture avec le principe de précaution ».

Giulietta Gamberini
Commentaires 5
à écrit le 04/04/2024 à 14:39
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Mettre en danger la vie d'autrui est punissable par la loi !

à écrit le 04/04/2024 à 10:22
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Quel impact sur l'environnement ? Poser la question c'est y répondre quand le lobby agro industriel écrit l'histoire. Merci la FNSEA.

à écrit le 04/04/2024 à 9:45
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je dis plutôt. quel impact sur le consommateur pour sa santé !

à écrit le 04/04/2024 à 9:44
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je dis plutôt. quel impact sur le consommateur pour sa santé !

à écrit le 04/04/2024 à 9:16
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Ben oui étant donné qu'encore une fois l'empoisonnement généralisée agro-industrielle et ses conséquences désastreuses sur la santé humaine et l’environnement sont complètement occultés au profit de leurs profits en mettant C'est la nourriture qui e...

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