L'économie française plus robuste que prévu en 2018

Par Grégoire Normand  |   |  1363  mots
(Crédits : Eva Plevier)
La croissance de l'économie française en 2018 a été revue à la hausse à 1,7% (contre 1,6% précédemment) en données corrigées des jours ouvrables, selon l'Insee.

"La catastrophe" annoncée par le gouvernement à la suite des premières semaines de mobilisation des "gilets jaunes" et des grèves de la SNCF n'a pas eu lieu . Selon les chiffres de l'Insee publiés ce jeudi 16 mai au soir, la croissance du produit intérieur brut (PIB) a bondi de 1,7% en données corrigées des jours ouvrés, alors qu'elle avait été estimée à 1,6% précédemment. C'est la deuxième révision à la hausse de l'activité française par l'organisme de statistiques, qui avait évalué la croissance à 1,5% dans une estimation publiée en janvier.

Le ministre de l'Économie Bruno Le Maire n'a pas manqué de commenter ces chiffres plutôt favorables pour l'exécutif. "Après le recul du chômage et l'entrée de la France dans le Top 5 des pays les plus attractifs au monde, cette bonne nouvelle illustre l'efficacité de notre politique économique."

Pour autant, cette embellie sur le front de la croissance est loin d'apaiser la colère des ronds-points. Les "gilets-jaunes" s'apprêtent à manifester pour l'Acte 27 ce week-end. Surtout, la plupart des instituts de prévision anticipent un ralentissement pour cette année. Contacté par La Tribune, l'économiste de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) Mathieu Plane explique les raisons de cette évolution :

Ces révisions montrent une reprise assez dynamique. Ce que l'on peut observer historiquement dans les phases de fort ralentissement ou de reprise assez nette, c'est que les premiers comptes peuvent avoir tendance à sous-estimer les niveaux de croissance. 2017 a été une forte croissance et 2018 est meilleure que ce qui était prévu dans les premiers comptes [...] Pour 2018, deux facteurs jouent positivement, c'est le commerce extérieur avec les exportations et les investissements des administrations publiques. [...] Ces comptes illustrent le fait que la croissance était un peu plus robuste que prévu.

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Un commerce extérieur favorable, mais...

Du côté des échanges de biens et services, les chiffres sont meilleurs que prévu. Le commerce extérieur, longtemps resté un point noir de l'économie tricolore, a contribué à hauteur de 0,7 point de l'activité, contre 0,6 point dans les précédents chiffres diffusés par l'Insee. Surtout, ces résultats sont bien plus positifs qu'en 2017 (0,1 point) et 2016 (-0,4). Du côté des variations de stocks, elles diminuent de 0,3% en 2018 par rapport à 2017. L'économie française reste pour l'instant épargnée par les tensions sur la scène du commerce mondial. Son modèle économique étant moins exposé aux soubresauts des échanges planétaires que celui de l'Allemagne. En revanche, les derniers chiffres des douanes pour le premier trimestre sont plutôt décevants, avec un déficit qui s'accroît.

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Une consommation légèrement révisée à la hausse

L'examen des résultats de l'organisation de statistiques publiques indique que la  révision à la hausse de la croissance repose également sur une demande intérieure plus favorable qu'anticipé.  La contribution de la demande interne au produit intérieur brut a ainsi gagné un point par rapport aux estimations de janvier fournies par les économistes de l'institut. Si le pouvoir d'achat des Français a marqué le pas en 2018 par rapport à 2017 (1,2% contre 1,4%), l'Insee a révisé ses chiffres en montrant que le revenu par unité de consommation (UC) est resté à un niveau relativement favorable (0,7% contre 0,8% en 2017). Les hausses de salaires et les revenus issus de la propriété ont cependant été moins bons que prévu en raison d'une inflation plus dynamique (1,5% contre 0,8% en 2017). La flambée des prix du pétrole l'année dernière a contribué à affaiblir le porte-monnaie d'un bon nombre de Français dépendants de la voiture pour se déplacer et augmenter leurs dépenses contraintes.

"Sur 2018, le calendrier fiscal a joué négativement sur la croissance qui a plombé le début d'année. Les effets positifs attendus par ces mesures fiscales n'ont pas produit leurs effets avec la crise des 'gilets jaunes'. Il y a une forte hausse du pouvoir d'achat en fin d'année, mais cela ne s'est pas traduit dans la consommation. En revanche, il y a eu une très forte hausse de l'épargne en fin d'année. L'effet pétrole a pesé sur le pouvoir d'achat par l'inflation et la taxe carbone", explique Mathieu Plane.

L'investissement a tourné au ralenti sauf pour l'administration

L'investissement (formation brute de capital fixe) a fortement ralenti l'année dernière passant de 4,7% à 2,8%. Le coup de frein le plus marqué concerne l'investissement des ménages passant de 6,6% à 2%. L'investissement des entreprises non financières a également ralenti (4,7% en 2017 contre 3,8% en 2018). En revanche, les administrations publiques ont multiplié les dépenses d'investissement avec un rythme de progression soutenu (2,4% contre 0,3% en 2017).

Embellie sur le front du chômage

Les derniers chiffres du chômage publiés ce jeudi 16 mai indiquent que le taux au sens du bureau international du travail (BIT) a diminué de 0,1 point au premier trimestre 2019 après une baisse de 0,3 point au trimestre précédent. Il s'établit ainsi à 8,7% de la population active en France (hors Mayotte) et 8,4% en France métropolitaine. "Il s'agit de son plus bas niveau depuis début 2009" rappelle l'institut basé à Montrouge. Dans le détail, les résultats de l'Insee signalent que le chômage de longue durée baisse de 0,3 point sur un an. Il s'élève à 3,3% de la population active à la fin du mois de mars dernier. Sur le total des chômeurs, 963.000 ont déclaré rechercher un travail depuis au mois un an.

Les chiffres du halo du chômage, c'est à dire les personnes qui souhaitent un emploi sans être considérés comme des chômeurs au sens du BIT, sont également bien meilleurs. D'après les chiffres diffusés par l'organisme de statistiques leur nombre diminue de 80.000 entre fin 2018 et début 2019 pour s'établir à 1,4 million contre 1,48 million. Les personnes en situation de sous-emploi sont également moins nombreuses. Entre janvier et mars, 5,3% de la population seraient en sous-emploi, c'est à dire principalement des personnes à temps partiel souhaitant travailler davantage. Cette proportion baisse de 0,4 point sur le trimestre et de 0,8 point sur un an.

Un déficit en baisse

Le tableau des finances publiques présenté par l'Insee indique  un déficit en baisse en 2018 à 2,5% du PIB contre 2,8% en 2017. Du côté de la dette, elle se stabilise à 98,4%. Les dépenses publiques ont ralenti entre 2016 et 2018 passant de 56,6% du produit intérieur brut à 56%. Au niveau des prélèvements obligatoires, le ratio baisse de 0,2 point passant de 45,2% à 45%.

Une croissance inférieure à la moyenne européenne

Les meilleurs chiffres de 2018 ne doivent pas faire oublier que la France réalise de moins bonnes performances que la moyenne des pays de la zone euro et de l'Union européenne. Ainsi, selon de récents chiffres communiqués par Eurostat, le produit intérieur brut corrigé des variations saisonnières a progressé de 0,4% dans la zone monétaire et 0,5% dans l'UE à 28 par rapport au trimestre précédent. De son côté, la France enregistre une activité à 0,3% contre 0,4% en Allemagne, 0,7% en Espagne, 0,5% au Royaume-Uni ou 0,2% en Italie.

Un coup de mou à prévoir

Pour 2019, l'OFCE anticipe une croissance à 1,5%. Mathieu Plane explique que "on s'attend à un rebond du pouvoir d'achat des ménages très net soutenu par les mesures sociofiscales, la prime exceptionnelle, un ralentissement de l'inflation. [...] On part d'un niveau d'épargne élevé. Les ménages ont reconstitué des capacités financières sur 2019. Si les incertitudes se lèvent, les ménages vont avoir des capacités pour consommer. Du côté des entreprises, l'épargne est historiquement élevée. A cela s'ajoutent les 20 milliards du CICE. Cela va contribuer à améliorer la trésorerie des entreprises."

En revanche, la conjoncture internationale pourrait peser sur l'économie française.

"Les incertitudes posent pas mal de difficultés", déclare-t-il. Comment ces leviers vont-ils se matérialiser dans le contexte de la crise des 'gilets jaunes' et un climat international incertain avec les tensions commerciales, la perspective du Brexit ?"

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