La Cour des comptes saque l'Éducation nationale sur le suivi des enseignants

Par Audrey Fisne  |   |  1306  mots
Pour la rentrée 2016, plus de 12 millions d'élèves ont été scolarisés en France dont 6.806.624 dans le premier degré.
L'institution de la rue Cambon déplore dans un rapport que les réformes de l'Éducation nationale engagées depuis 2013 ne vont pas assez loin, notamment dans la gestion du temps de travail et de formation des enseignants. Formation, affectation, rémunération, la Cour des comptes donne des pistes au ministre Jean-Michel Blanquer.

"Une réforme reste à faire." Dès les premières lignes, la Cour des Comptes prévient. Quatre ans après la publication de son précédent rapport montrant qu'une meilleure gestion de l'enseignement était fondamentale pour améliorer la performance de l'Éducation nationale en France, l'institution de la rue Cambon revient à la charge. Paradoxalement, alors que l'enseignement scolaire occupe la tête des dépenses du budget de l'Etat - avec 67,7 milliards d'euros de crédits exécutés en 2016 et 68,4 milliards d'euros prévus en loi de finances initiale pour 2017 -, l'État n'a pas su mettre a profit cet effort budgétaire, souligne la Cour des comptes dans un rapport publié ce mercredi 4 octobre et qui revient sur les mesures prises depuis 2013. Les locataires du Palais Cambon départagent leurs constats en trois parties majeures dans un rapport de 137 pages.

Accroître la professionnalisation

Première nécessité ? Adapter le cadre d'exercice pour les enseignements. Dans ce volet, la Cour des comptes conseille d'accroître la professionnalisation de la formation initiale. S'ils reconnaissent que la restauration de la formation initiale est une avancée incontestable, ils déplorent le retard que connaît la France pour professionnaliser les futurs enseignants. Ajoutés à cela, les "concours pèseraient" sur l'organisation de la première année du master et "constitueraient un frein à la disponibilité des étudiants pour la formation au métier". Un point qui fait dire à la Cour des Comptes qu'une professionnalisation débutée plus tôt dans le cursus universitaire éviterait des erreurs d'orientation et simplifierait les parcours.

Autre regret de la Cour des comptes, l'absence de l'obligation, pour les enseignants français, de participer à la formation continue - contrairement à la majorité des pays de l'OCDE. Au niveau des obligations réglementaires de service des enseignants, la Cour des comptes déplore ainsi que le remplacement et la formation continue ne soient pas prises en compte dans le forfait horaire des enseignants du secondaire. Point positif non négligeable cependant : le décret du 20 août 2014, qui a modifié le régime précédent. Celui-ci définissait les obligations réglementaires de service uniquement au temps passé devant les élèves.

Dans le même volet, la Cour des comptes juge l'évaluation des enseignants encore insuffisamment organisée, exception faite de l'examen de titularisation des débutants. "Les mesures prises sont de faible portée", résume la Cour des comptes concernant la gestion des enseignants.

Enfin, le rapport regrette que les responsables d'établissement détiennent un rôle trop "incertain" dans la gestion des enseignants (aucune action concernant les évaluations des enseignants, pas de participation aux décisions d'affection, pas de possibilité de mobiliser les enseignants pour organiser le remplacement sans leur accord...)

Pour les remplacements, un dispositif jugé "inadapté"

Le deuxième point sur lequel appuie la Cour des comptes relève de l'affectation des enseignants qui, selon le rapport, pourrait "mieux répondre aux besoins des élèves". Pour les auteurs du rapport, la répartition des effectifs ne correspond pas aux besoins même si la carte de l'éducation prioritaire a été réformée en 2014 "intégrant mieux la réalité des difficultés des élèves", estime le rapport.

"Le rééquilibrage nécessaire en faveur de l'enseignement primaire a été amorcé mais il reste limité."

Dans la même idée, l'affectation des enseignants à un poste est jugée trop rigide et la prise en compte des difficultés particulières du métier est retoquée. "En 2013, la Cour avait observé 'une gestion distante et essentiellement administrative des enseignants'. Ce constat reste globalement inchangé", précise le rapport.

"Les établissements difficiles, souvent en réseau prioritaire, reçoivent beaucoup d'enseignants débutants et subissent une forte instabilité des équipes."

Concernant les remplacements des enseignants de l'enseignement public, les locataires du Palais Cambon regrette que le ministère "n'ait pas mis en place un dispositif adapté pour son suivi".

Un rapport entre rémunération et temps de travail à prendre en considération

Le troisième et dernier volet développé par la Cour des comptes concerne l'emploi, la rémunération et le temps de travail. Selon le rapport, "les politiques les concernant sont menées de façon séparée, sans mise en perspective pluriannuelle". Or, "une stratégie d'ensemble devrait être édifiée, limitant des à-coups dommageables en [matière] de recrutements et liant les réformes structurelles aux efforts budgétaires en [ce qui concerne les] effectifs et rémunérations", souligne la Cour des comptes. Ainsi, les locataires du Palais Cambon tirent le constat:

"La diminution des postes ouverts, entre 2009 et 2013, a pu décourager des étudiants de se projeter dans une carrière d'enseignant dès le début de leur parcours universitaire, aggravant quelques années plus tard les conditions de recrutement pour le ministère au moment même où un nombre important de postes était ouvert."

Souhaitant aller plus loin dans la relation qu'il y a entre rémunération et temps de travail, la Cour des comptes regrettent que les deux paramètres, "majeurs de la gestion des ressources humaines", ne soient pas réfléchis de manière articulée. Or, si la fin de la période 2012-2017 a été marquée par une revalorisation salariale significative - la masse salariale des enseignants du secteur public a augmenté de 3,577 milliards d'euros entre 2012 et 2016 -, le travail face à des élèves est plus élevé en France que dans la moyenne de l'OCDE et de l'Union européenne mais inférieur dans le second degré (collèges et lycées) par rapport à des pays comparables.

Des chiffres révélateurs d'une nécessaire réforme ?

Pour résumer, la Cour des comptes note trois impératifs à respecter : "la mise en place d'une stratégie pluriannuelle des ressources humaines", "de potentielles contreparties pour faire évoluer le cadre d'exercice du métier d'enseignant pour tout mesure d'accroissement des effectifs ou des rémunérations"; "la gestion plus adaptée des enseignants pour faire face à l'hétérogénéité du niveau scolaire des élèves".

Ces recommandations sont expliquées par la Cour des comptes en treize points. Une piste pour Jean-Michel Blanquer, le ministre de l'Éducation nationale qui s'est vu confier la mission de réformer un système embouteillé depuis des années. Mais aussi, une nécessité aussi lorsque l'on prend en considération les déficiences - tant au niveau des performances que de l'équité - que connaît le système scolaire français.

Selon l'enquête OCDE-PISA de 2015, si les résultats des élèves français se situent dans la moyenne des pays de l'OCDE mais derrière l'Allemagne et la Belgique, l'étude internationale TIMMS* révèle que la France se situe en deçà des moyennes internationale et européenne en mathématiques et en sciences. De même, la proportion des élèves en difficulté est passée de 21% en 2006 à 22% en 2015.

(Crédits : rapport de la Cour des comptes)

* Cette étude mesure les performances des élèves à la fin de la quatrième année de scolarité obligatoire.