Agriculteurs en colère : Paris menacée de blocage

Par latribune.fr  |   |  1546  mots
La chef du gouvernement a réuni ce jeudi les ministres de l'Agriculture, de la Transition écologique et de l'Economie. (Crédits : Reuters)
Les sections d'Ile-de-France des syndicats agricoles majoritaires FNSEA et Jeunes agriculteurs ont appelé ce jeudi au « lancement d'un blocus de Paris » vendredi. Ce même jour où Gabriel Attal doit faire des annonces pour tenter d'apaiser la colère de la profession.

[Article publié jeudi 25 janvier 2024 à 7h23 et mis à jour à 16h24]C'est désormais la capitale qui est visée. Deux syndicats agricoles d'Ile-de-France, la FDSEA et les Jeunes Agriculteurs d'IDF ont, en effet, appelé au « blocus de Paris », vendredi, sans attendre les annonces du gouvernement. Dans un communiqué, ils demandent ainsi à leurs adhérents de se rassembler « sur les grands axes autour de la capitale ».

Une solution qui « doit être un des derniers recours », a néanmoins précisé le président de Jeunes Agriculteurs, Arnaud Gaillot, depuis un barrage dans l'Yonne, mais « tout est sur la table », a-t-il précisé.

« La balle est dans le camp du gouvernement », à qui il revient « de faire qu'on évite une paralysie du pays », a-t-il ajouté.

Les agriculteurs dont la colère et les protestations montent tous les jours un peu plus, devraient toutefois obtenir des réponses demain de la part du Premier ministre. Vendredi, Gabriel Attal fera, en effet, « des propositions concrètes de mesures de simplification », lors d'un déplacement avec le ministre de l'Agriculture Marc Fesneau, a-t-on appris auprès du cabinet de ce dernier.

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Marc Fesneau « a participé ce matin à une réunion de travail à Matignon avec le Premier ministre, (le ministre de l'Economie) Bruno Le Maire et (le ministre de la Transition écologique) Christophe Béchu afin d'échanger et de consolider des réponses sur les enjeux agricoles notamment sur la question du GNR (gazole non routier), de l'élevage et de la rémunération », a indiqué le ministère dans un message envoyé à la presse. « L'objectif est de porter demain lors d'un déplacement des propositions concrètes de mesures de simplification qui seront annoncées par le Premier ministre avec le ministre de l'Agriculture », est-il ajouté.

D'ores et déjà, Bruno Le Maire a estimé, ce jeudi, que « ce qui se passe aujourd'hui avec les agriculteurs (était) un signal d'alerte envoyé à la société française et à l'Union européenne toutes entières sur ce que nous voulons comme avenir commun ».

Evoquant la loi de simplification pour les entreprises, actuellement en préparation à Bercy, Bruno Le Maire a déclaré qu'il y avait « derrière ce projet de loi une raison humaine ». Faisant le lien avec la colère du monde agricole, il a indiqué « nos compatriotes aspirent à plus de liberté et à moins de contrôles », s'exprimant devant les instances de l'organisation patronale U2P.

La FNSEA chiffre les aides à « plusieurs centaines de millions »

Le déplacement du Premier ministre, organisé par Matignon, fait suite aux doléances transmises par la FNSEA, premier syndicat agricole, mercredi soir au gouvernement, réclamant des « réponses immédiates sur la rémunération », dont une aide d'urgence aux « secteurs les plus en crise », et, à plus long terme, la mise en œuvre d'un « chantier de réduction des normes ». « On parle de plusieurs centaines de millions d'euros », a reconnu Arnaud Rousseau auprès de l'AFP. Ce n'est « pas une base de négociations », a-t-il averti, appelant le gouvernement à prendre en compte « l'intégralité » de leurs propositions.

Ces doléances représentent « un paquet sur lequel nous ne transigerons pas », a-t-il de nouveau insisté ce jeudi. « Il y a 140 demandes (...). C'est un paquet de mesures sur lequel nous ne transigerons pas », a-t-il asséné sur un point de blocage de l'A6, à hauteur de Nitry (Yonne), réunissant plus de 150 tracteurs.

Dans un rapport publié mercredi, les députés Hubert Ott (MoDem) et Manon Meunier (LFI) recommandaient notamment « la mise en place de prix plancher pour les produits agricoles », pour « assurer un revenu minimum aux agriculteurs », mesure rejetée à quelques voix près fin novembre dans le cadre d'une proposition de loi LFI.

« Il va falloir qu'elles soient costaudes, les mesures »

Aux côtés de la FNSEA, la Confédération paysanne, troisième syndicat d'agriculteurs, classé à gauche, a, elle aussi, appelé à la mobilisation ainsi que la Coordination rurale à qui elle s'oppose pourtant sur de nombreux sujets.

« Attendre jusqu'à vendredi pour avoir des annonces, c'est prendre beaucoup de risques. Plus on attend, plus il va falloir qu'elles soient costaudes, les mesures », avait mis en garde Karine Duc, co-présidente de la Coordination Rurale de Lot-et-Garonne.

Car de nouveaux syndicats ont rejoint le mouvement. « La CGT appelle ses militantes et militants, partout où c'est possible, à créer les conditions permettant de faire converger les revendications des salarié·es, des travailleuses et des travailleurs agricoles et des agricultrices et des agriculteurs », a notamment écrit, ce jeudi, la centrale de Montreuil. « Nos échanges doivent permettre d'élargir la mobilisation et de créer des convergences sur les moyens de bien vivre de son travail, de bien manger, tout en protégeant notre santé et celle de la planète », estime la CGT, qui dit avoir pris attache avec la Confédération paysanne et le Mouvement de défense des exploitants familiaux (Modef).

Un éventuel blocage de Paris écarté « à ce stade »

Plusieurs préfectures ont annoncé sur le réseau social X de nouveaux blocages et fermetures d'autoroutes ce jeudi. À Rennes, une manifestation a été organisée dans la matinée devant la préfecture de région par le syndicat Coordination rurale. Des centaines de tracteurs ont défilé dans les rues de Rennes et de Nantes, avec klaxons tonitruants, fumigènes et effigies de pendus. En Occitanie, point de départ de la protestation agricole la semaine passée, l'A64 (Toulouse-Bayonne) était toujours coupée mercredi soir à hauteur de Carbonne, à 40 km de la ville rose, pour la huitième journée consécutive. En PACA, l'A54 a été fermée dès 8h30 sur la section Saint-Martin-de-Crau/Grans. Dans le Doubs, la préfecture a averti d'une opération escargot sur l'autoroute A36.

Dans une note, datée de mercredi et consultée par l'AFP, les services de renseignement considèrent que « plus les jours passent, plus les risques de dérapage s'accentuent ». Ils relèvent ainsi que les « syndicats risquent d'être débordés si l'attente est trop longue ».

Le gouvernement a donné des consignes de « grande modération » aux préfets

Déjà mercredi, la tension est montée d'un cran en fin de journée à Agen dans le Lot-et-Garonne, quand des membres de la Coordination rurale ont brûlé de la paille et des pneus devant la préfecture, sous les yeux de forces de l'ordre impassibles. Le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin a donné mercredi soir des consignes de « grande modération » aux préfets, leur demandant de ne faire intervenir les forces de l'ordre qu'en « dernier recours ».

Il n'est « pas question » d'empêcher les blocages, a souligné mercredi la porte-parole du gouvernement Prisca Thevenot, affirmant qu'ils étaient « organisés dans un cadre légal » en dépit du délit d'entrave à la circulation.

Une mansuétude qui irrite une partie de l'opposition : « Les écologistes feraient le millième de ce qu'il se passe aujourd'hui, ils seraient en prison et condamnés », s'est ainsi indigné mercredi le sénateur EELV Yannick Jadot. Le même jour, le blocage de l'autoroute A13 dans l'Eure par une vingtaine de tracteurs a fait réagir Nicolas Hervieu, professeur de droit public. « Il y a 8 mois, le blocage de la même autoroute avait suscité une réaction très différente », a-t-il relevé sur X, en rappelant que le préfet avait «  fustigé une 'action irresponsable' des Soulèvements de la Terre, saisi le parquet et utilisé des drones ». « En janvier 2024, rien », ironise le juriste.

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Les agriculteurs, « une population qui vote »

Les militants écologistes « avaient envahi l'A13 par surprise (...) en pleine circulation et à une heure de trafic intense », mettant « en danger leurs vies et celle des automobilistes », s'est justifiée auprès de l'AFP la préfecture de l'Eure. Les agriculteurs, eux, n'ont investi l'autoroute « qu'après la mise en œuvre de mesures de sécurisation », en lien avec la gendarmerie, a-t-elle ajouté.

« Les agriculteurs sont la population professionnelle qui vote le plus », rappelle aussi le politologue Xavier Crettiez. « Une population qui vote est une population qu'on va beaucoup plus écouter, moins malmener », ajoute-t-il. « Il y a toujours eu une forme de mansuétude de la part des puissances politiques à l'égard des agriculteurs » note également le sondeur Jean-Daniel Lévy, directeur délégué d'Harris Interactive. « Ce n'est pas nouveau et ce n'est pas spécifique à ce gouvernement », ajoute-t-il en citant l'envahissement du bureau de la ministre de l'Environnement Dominique Voynet en 1999, qui n'avait pas entraîné d'importantes « répercussions »

Les manifestations des agriculteurs sont en général « organisées, préparées, encadrées », avec des interlocuteurs souvent en lien par ailleurs avec policiers ou gendarmes locaux, souligne un haut cadre du ministère de l'Intérieur. En outre, « que peuvent faire les policiers ou les gendarmes contre 50 tracteurs à part sécuriser la manifestation et mettre en place une déviation ? », souligne ce même cadre. Un choix politique bien vu dans les rangs des forces de l'ordre où les agriculteurs bénéficient, comme dans le reste du pays, d'un capital sympathie.

(Avec AFP)