Colère agricole : pourquoi la niche fiscale du gazole non routier (GNR) est au cœur du conflit

Alors qu'il doit dénicher de nouvelles économies pour contrôler un budget déjà en dérapage, et, dans le même temps, justifier ses actions pour la transition écologique, le gouvernement de Gabriel Attal est confronté au dilemme du GNR (gazole non routier). Décryptage de ce point central des revendications des agriculteurs.
L'alourdissement de la taxe sur le GNR s'inscrit dans un climat général de défiance.
L'alourdissement de la taxe sur le GNR s'inscrit dans un climat général de défiance. (Crédits : Reuters)

Il est le détonateur qui a mis le feu aux poudres dans le monde agricole, rappelant la révolte des Gilets jaunes qui avait éclaté en 2018, suite à une hausse des taxes sur les carburants. Le gazole non routier (GNR), est, aux yeux du gouvernement et des agriculteurs, le point de bascule potentiel de la crise qui agite le secteur depuis le 18 janvier. Jusqu'ici, les agriculteurs français bénéficient en effet d'une fiscalité allégée sur l'achat de ce carburant. Mais lors de sa dernière loi de finance 2023, le gouvernement a remis en cause cet allègement. Alors que l'exécutif avait déjà du reporter plusieurs fois l'alourdissement de cette taxe, le contexte est aujourd'hui bien plus délicat.

Pour rappel, le GNR est similaire au gazole livré dans les stations-services mais il est destiné aux véhicules non routiers, principalement les tracteurs agricoles et forestiers et les engins de travaux publics (bulldozers, pelleteuses, chasse-neige), explique à l'AFP Olivier Gantois, président du groupement français des distributeurs de pétrole (Ufip). Selon l'Ufip, les livraisons de GNR se sont élevées en 2023 à 5,26 millions de m3. Les agriculteurs ne peuvent pas l'utiliser autrement que pour leurs engins agricoles, y compris dans leur véhicule personnel, sans quoi ils s'exposent à des sanctions.

Pourquoi le GNR est-il un élément clé dans les négociations ?

Les échauffourées autour de ce carburant ont débuté quand le gouvernement a acté une hausse de taxe d'un peu moins de 3 centimes par an sur ce dernier jusqu'en 2030. Inacceptable pour les élus de l'opposition dont le président du RN, Jordan Bardella, qui a réclamé sur CNews et Europe1 « que cet avantage soit préservé », déplorant qu'« on augmente le carburant pour nos agriculteurs alors qu'ils ne sont plus compétitifs dans l'économie mondiale ».

En 2024, le GNR est taxé 24,81 centimes d'euro par litre, indique l'Ufip. Les agriculteurs peuvent récupérer jusqu'à 18,1 centimes de TICPE (taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques), et paient donc dans les faits 6,71 centimes de taxe par litre. Une importante réduction... mais qui a diminué de presque 3 centimes par rapport 2023 (3,86 centimes d'euro).

Selon le ministère de l'Économie, le soutien au GNR agricole représentait 1,7 milliard d'euros en 2023.

Pourquoi le contexte de cette taxe est-il central ?

Cette fronde des agriculteurs arrive au plus mal et place l'exécutif dans un dilemme. Officiellement, la fin progressive de cette niche fiscale est justifiée par l'argument écologique, « pour inciter à consommer moins d'énergies fossiles », justifie-t-on.

« Nous supprimerons la niche fiscale sur le gazole non routier (GNR) tout simplement pour faire basculer notre fiscalité d'une fiscalité brune - c'est une fiscalité qui incite à consommer des énergies fossiles, donc c'est mauvais pour le climat - à une fiscalité qui valorise les investissements verts », avait déclaré Bruno Le Maire sur Franceinfo fin 2023.

D'ailleurs, les recettes iront à l'accompagnement vert des petites entreprises du secteur. Mais cette logique du verdissement à tout crin se heurte à deux réalités. D'abord, l'inflation, débutée en France suite à la crise du Covid-19 et accentuée par le déclenchement de la guerre en Ukraine, peine à faiblir durablement. Celle-ci devrait passer de 4,8% cette année en moyenne (hors tabac) à 2,5% en 2024.

Les agriculteurs sont donc comme le reste des Français. En plus de la hausse des dépenses privées (alimentaires, énergie), ils doivent en plus rogner sur leurs marges côté professionnel. « Vous ne pouvez pas avoir un gazole agricole dont le prix a augmenté de plus de 50% et le taxer davantage, c'est du n'importe quoi », s'est ainsi indigné l'Insoumis François Ruffin sur Sud Radio.

Autre réalité, les finances publiques sont en plein dérapage. Alors que la France a évité de justesse la dégradation de sa note par les agences de notation fin 2023, il ne lui en reste pas moins une dette supérieure à 3.000 milliards d'euros. Résultat, le gouvernement cherche à faire 12 milliards d'euros d'économies en 2025 pour ramener la France sous les 3% de déficit public en 2027. Le tout sur une prévision de croissance de +1,4% de croissance du produit intérieur brut (PIB) en 2024, ce que les organisations patronales considèrent déjà comme trop optimiste. Un contexte qui pousse l'exécutif à chercher des mannes financières... et donc à vouloir taxer davantage cette niche fiscale.

Enfin, cet alourdissement de la taxe s'inscrit dans un climat général de défiance vis à vis des normes européennes et de l'hyper complexification des règles. Tandis qu'Emmanuel Macron promet de la simplification administrative à tous les étages depuis son premier mandat en 2017, les agriculteurs rejettent une nouvelle usine à gaz fiscale qui s'échelonne dans le temps.

Lire aussiRevenus des agriculteurs : la FNSEA dénonce le « double discours » du gouvernement

Quels sont les leviers du gouvernement pour sortir de la crise ?

D'ores et déjà, le Premier ministre Gabriel Attal a confirmé faire une série d'annonces en fin de semaine, visant à apporter des réponses concrètes aux agriculteurs. Au vu du contexte, celles-ci risquent néanmoins d'être superfétatoires et pointilleuses aux yeux des agriculteurs.

Pour rappel, lors d'une première négociation en 2023, le premier syndicat agricole, la FNSEA, avait obtenu gain de cause. Des négociations menées en juin avec le gouvernement ont permis de conserver une partie de cet avantage, d'étaler sa baisse sur plusieurs années, jusqu'en 2030, et d'obtenir des compensations. « On garde les deux tiers de la niche fiscale », s'était félicitée la fédération agricole. Mais de souligner, un an plus tard : « A aucun moment la FNSEA n'aurait accepté qu'il y ait la disparition de cette niche fiscale ».

Les marges de manœuvre pour le gouvernement vont donc se trouver dans les modalités de la suppression de cette niche (échéance, taux).

Mais pour sortir de l'impasse, le gouvernement pourrait même faciliter l'accès au remboursement de la TICP. Lundi, après une entrevue avec le Premier ministre, Arnaud Rousseau a en effet évoqué la possibilité qu'au lieu d'avoir à demander le remboursement, les agriculteurs puissent bénéficier d'une remise « immédiatement ». « Près de 35% des agriculteurs ne demande pas ce remboursement qui leur est dû », a-t-il affirmé. Avoir la remise dès la facture, « ça, c'est simple, il n'y a pas de papiers à faire », a-t-il relevé en prenant cet exemple comme une des simplifications administratives attendues.

Autre levier pour calmer la colère, celui de céder à des revendications parallèles. La FNSEA a ainsi également demandé la suppression des frais de succession pour la transmission des exploitations « dans le cadre familial ». De même, sont aussi attendues « des mesures par rapport à la trésorerie des agriculteurs qui sont confrontés à des crises sanitaires sans précédent », a souligné la confédération paysanne, espérant voir les banques proposer des « reports automatiques d'échéances » pour les exploitants « étranglés par les charges et la paperasserie ».

Au final, pour beaucoup d'agriculteurs, « il n'y a pas de solution alternative au GNR ». Seul à défendre la hausse du GNR, le patron des sénateurs macronistes, François Patriat, a expliqué sur RTL qu'« on ne peut pas décaler cette taxe » qui doit justement « financer les investissements nécessaires à la transformation » de l'agriculture.

(Avec AFP)

Commentaires 11
à écrit le 25/01/2024 à 7:56
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Mon amie agricultrice me disait:"C'est pareil pour le carburant, ils disent qu'on a des subventions mais les gros certainement, moi je le paye le prix qu'il se vend à la pompe.".

à écrit le 25/01/2024 à 5:37
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"Les agriculteurs sont donc comme le reste des Français." Mais bien sûr les plus gros propriétaires terriens de France sont comme le reste la plèbe... moins nombreux mais avec de plus grandes parcelles!

à écrit le 25/01/2024 à 4:13
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3000 milliards auxquels il faut ajouter au moins le meme montant, celui des retraites des fonctionnaires non budgetees et qu'il faudra pour le gvt honorer dans tous les cas de figure possible. Autant dire qu'un jour ou l'autre cette situation de cais...

le 25/01/2024 à 10:28
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les retraites des fonctionnaires sont en grande partie payées par les cotisations retraite des fonctionnaires ne l'oubliez pas.

à écrit le 24/01/2024 à 19:43
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3 centimes sur 5.000 litres par an cela représente 150 euros !!! alors que dans le même temps l'interdiction du glyphosate a été repoussé de 10 ans !!

à écrit le 24/01/2024 à 18:41
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Cinq ans après la Crise des gilets jaunes, le gouvernement remet ça avec les taxes sur le GNR ! Mais bon sang, qu'a-t-il appris pendant cinq ans !?

le 24/01/2024 à 19:09
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Il n'y a pas d'autre solution que d'augmenter les taxes sur le gazole agricole, c'est un passage obligé, même si ca fait grincer des dents

le 24/01/2024 à 19:20
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"C'est comme ça épicétou"... Ca manque un peu d'argumentation votre commentaire. Si la grogne est forte, vous verrez que ça finira comme la taxe carbone : à la poubelle ! Ceci dit, le GNR est déjà taxé. Le gvt veut encore augmenter les taxes dessus p...

à écrit le 24/01/2024 à 18:26
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"le gouvernement de Gabriel Attal est confronté au dilemme du GNR (gazole non routier)" Idem en Allemagne : Après une manifestation historique le 18 décembre, à Berlin, les agriculteurs allemands poursuivent leur mobilisation pour faire entendre ...

à écrit le 24/01/2024 à 18:09
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Bonjour, bon moi aussi je prends mon véhicule pour aller travailler et mon épouse aussi... Mais nous n'avons aucun avantage particulier sur la fiscalité du carburant... Donc , un peux de justice sociale... Soit des avantages pour tous ou pour perso...

le 24/01/2024 à 18:17
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N'importe quoi votre réflexion, changer de métier devenez agriculteurs ou éleveurs

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