Le gouvernement lance la réflexion sur l'objet social des entreprises

Par Giulietta Gamberini  |   |  879  mots
La réforme doit notamment être intégrée dans le cadre du Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), projet de loi qu'Emmanuel Macron et Edouard Philippe veulent voire présenté en Conseil des ministres au printemps et adopté avant la fin 2018. (Crédits : DR)
La présidente de Vigeo-Eiris Nicole Notat et le président du groupe Michelin Jean-Dominique Sénard ont été officiellement investis vendredi de la mission intitulée "Entreprises et bien commun". D'ici au premier mars, ils doivent se pencher sur la question de comment mieux intégrer profit, responsabilité environnementale et ensemble de parties prenantes dans les entreprises.

Moins de deux mois. C'est le temps dont disposeront Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard pour mener à bien la réflexion sur l'une des plus importantes réformes promises par Emmanuel Macron pour 2018: celle visant à faciliter la prise en compte par les entreprises des enjeux sociaux et environnementaux à côté du simple profit. Officiellement confiée à la présidente de Vigeo-Eiris et au président du groupe Michelin le 5 janvier, en présence des ministres de la Justice Nicole Belloubet, de la Transition écologique et solidaire Nicolas Hulot, de l'Economie Bruno Le Maire et du Travail Muriel Pénicaud, ainsi que des huit présidents ou secrétaires généraux des organisations syndicales et patronales (CFDT, CFE-CGC, CFTC, CGT, CPME, FO, Medef, U2P), la mission, intitulée "Entreprises et bien commun", devra aboutir à la présentation d'un rapport le 1er mars.

Une réflexion "sur l'utilité sociale de l'entreprise

"Les citoyens manifestent des attentes croissantes vis-à-vis des entreprises. (...) Il est donc nécessaire de faire évoluer le droit pour permettre aux entreprises qui le souhaitent de formaliser voire amplifier leur contribution" aux enjeux sociétaux et environnementaux, a expliqué Muriel Pénicaud, pour qui l'histoire spécifique du capitalisme en France voire dans l'ensemble de l'Europe occidentale justifie cette remise en cause.

Le gouvernement ouvre ainsi une réflexion "sur l'utilité sociale de l'entreprise, mais aussi plus largement de l'économie", a pour sa part insisté Nicolas Hulot.

La réforme doit notamment être intégrée dans le cadre du Plan d'action pour la croissance et la transformation des entreprises (PACTE), projet de loi qu'Emmanuel Macron et Édouard Philippe veulent voire présenté en Conseil des ministres au printemps et adopté avant la fin 2018, et qui poursuit deux objectif complémentaires: "faire grandir les entreprises françaises" -notamment le nombre d'ETI-, et "mieux associer les salariés à leur fonctionnement et à leurs résultats", a rappelé Bruno Le Maire.

Objet social, gouvernance, intéressement

Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard devront en premier lieu dresser un premier bilan du statut des entreprises solidaires et sociales (ESS) qui existent depuis 1994, a rappelé le ministre de la Transition sociale et solidaire. Ils devront plus largement passer en revue l'ensemble des diverses formes d'entreprises prévues en France, à l'aune des modèles existants à l'étranger. Leur mission implique encore une réflexion sur la gouvernance, et notamment sur une meilleure intégration aux décisions et aux résultats de l'ensemble des autres parties prenantes -salariés, actionnaires, mais aussi territoires et consommateurs- : Bruno Le Maire a à ce propos affirmé souhaiter, "à terme, que 100% des salariés soient couverts par un dispositif d'intéressement aux résultats".

Le chantier le plus sensible est toutefois celui d'une éventuelle réforme de l'objet social. "Les profits sont nécessaires pour investir, mais en outre d'un lieu de production l'entreprise est aussi un lieu de vie", estime Bruno le Maire.

"Le but ultime de l'entreprise doit être l'épanouissement humain", a pour sa part renchéri Nicolas Hulot, pour qui les références "à la liberté, à la dignité, à la sécurité économique" ont présidé à la création de l'Organisation internationale du travail (OIT) et ont trop été "diluées au fil du temps".

"De larges options"

Il ne faut "rien s'interdire": le cahier des charges de la mission confiée à Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard "permet de larges options", a noté Muriel Pénicaud. "Tout l'arsenal juridique disponible doit être mobilisé", a précisé Nicole Belloubet, évoquant la possibilité de rédiger de nouveaux textes comme de réécrire ceux existants, y compris le Code civil. Si le gouvernement semble en effet partager avec l'ensemble des syndicats, ainsi qu'avec le Medef, la conviction qu'un modèle d'entreprise plus humain et respectueux de l'environnement représente aujourd'hui un levier plus qu'un frein en termes de compétitivité, l'ensemble des ministres, sauf Nicolas Hulot, ont toutefois insisté sur la nécessité que le choix d'intégrer d'éventuelles ampliations de l'objet social reste libre.

La ministre de la Justice a notamment affirmé soutenir une priorité: celle de garantir l'attractivité économique du droit français, en tenant compte du cadre européen dans son ensemble. "L'évolution du droit doit concilier audace et esprit de responsabilité", a-t-elle rappelé, en insistant notamment sur la principale préoccupation mise en avant par les organisations patronales: celle de préserver la sécurité juridique, à savoir la prévisibilité du droit.

"Les conséquences éventuelles de la réforme sur la responsabilité des dirigeants devront par exemple être prises en compte", a précisé Nicole Belloubet.

 Une "boîte de Pandora juridique" ?

La question reste toutefois délicate. Si pour Pierre Gattaz une modification du Code civil est une "boîte de Pandore juridique" à laquelle il conviendrait de privilégier une approche de simple incitation via des instruments de soft law, le choix de la souplesse pourrait aboutir à l'effet pervers de renforcer les disparités, et donc les distorsions de concurrence, entre entreprises, ont souligné la CFTC et l'U2P. Même si le sujet a déjà fait l'objet d'études et réflexions dont ils pourront s'inspirer, le nœud que Nicole Notat et Jean-Dominique Sénard devront démêler en deux mois s'annonce intriqué.