Le maquis des niches sociales dans le viseur de la Cour des comptes

Par Grégoire Normand  |   |  906  mots
La Cour des comptes demande aussi une évaluation "robuste" des niches supérieures à 100 millions d'euros, en vue de "supprimer les dispositifs inefficaces".
Dans un épais rapport de plus de 450 pages, les magistrats de la Cour des comptes pointent l'explosion des coûts des niches sociales qui pourraient dépasser 90 milliards d'euros. Ils plaident pour un encadrement plus étroit et une évaluation de tous ces dispositifs.

La Cour des comptes a décidé de tirer à boulets rouges sur les niches sociales. Dans leur rapport sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale 2019 (PLFSS), publié ce mardi 8 octobre, les magistrats ont évalué le coût de ces dispositifs à environ 90 milliards d'euros. Au moment où la protection sociale accuse un budget en déficit, l'institution financière considère qu'une remise à plat de ces outils permettrait au budget de la sécurité sociale de retrouver des couleurs. Lors d'un point presse, le premier président Didier Migaud a écarté toute hausse des prélèvements obligatoires pour rétablir les comptes.

 "S'agissant des recettes, les pouvoirs publics considèrent que le niveau atteint en France par les prélèvements obligatoires rendait difficilement envisageable une nouvelle augmentation. À taux global inchangé ou en baissant les prélèvements obligatoires, la Cour estime qu'il existe des marges pour améliorer la cohérence des prélèvements sociaux, affectée par les multiples exemptions et exonérations qui leur sont appliquées, ce que l'on appelle les 'niches sociales'".

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Un coût largement sous-estimé

Les niches sociales correspondent à des exemptions ou des dérogations sur les prélèvements sociaux ou les cotisations sociales. Ces outils ont parfois été décidés pour favoriser un secteur, un territoire ou l'embauche de certains profils comme les apprentis, les contrats de professionnalisation, ou les personnes en chantiers d'insertion. Ces exemptions sont très hétérogènes et concernent un grand champ de prélèvements comme la contribution sociale générale (CSG), la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), les cotisations des régimes obligatoires de protection sociale avec des conventions (assurance-chômage et retraites complémentaires des salariés).

À l'instar des niches fiscales, les niches sociales ont fait l'objet d'une sous-estimation de leurs coûts. Les auteurs du rapport notent que selon le tableau figurant dans le PLFSS 2019, le coût des niches sociales serait évalué à 66 milliards d'euros, soit une différence de 24 milliards d'euros avec les estimations de la Cour des comptes. Sur la somme présentée par l'exécutif, 52 milliards d'euros d'allègements visent "à réduire le coût du travail et à stimuler l'emploi", a ajouté le responsable de l'institution.

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Des lacunes dans l'évaluation

En dépit de "réels progrès", l'organisation publique pointe notamment "le chiffrage de leur coût [qui] présente encore des lacunes et qui conduit à minorer ce dernier". Ils relèvent le manque d'encadrement, "qu'il s'agisse de l'évolution de leur coût, de l'appréciation de leur efficacité au regard de leurs objectifs ou de la maîtrise des risques liés au recouvrement des prélèvements sociaux". Ils expliquent que ces lacunes sont liées à l'absence de chiffrage de certains dispositifs.

En outre, les magistrats remettent en cause l'évaluation de tels dispositifs "qui apparaît partiel et inégalement robuste [...] lorsque des évaluations constatent l'inefficacité de certaines 'niches', celles-ci ne sont que rarement remises en question". Sur les 88 dispositifs dérogatoires présentés dans le PLFSS 2019, seuls 12 ont été évalués.

Une explosion des coûts depuis 2013

En s'appuyant sur les documents budgétaires présentés par les différents gouvernements successifs, les rapporteurs de la Cour des comptes expliquent que le coût des niches sociales a augmenté "de 32,8 milliards d'euros entre 2013 et 2019, passant de 34 milliards d'euros à 66 milliards", indique le document.

La mise en oeuvre du pacte de responsabilité sous François Hollande entre 2014 et 2017 (9 milliards) et la transformation du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE - 18 milliards) en baisse de cotisations décidée par le gouvernement d'Edouard Philippe, ont largement contribué à l'explosion de ces coûts.

Des pertes compensées en partie par l'État

La loi Weil de 1994, promulguée sous le gouvernement d'Edouard Balladur, impose une compensation du coût des exemptions par l'État pour assurer le financement de la protection sociale. Malgré ce principe, plusieurs décisions et textes sont venus détricoter cette obligation, affaiblissant les comptes de la sécurité sociale. Ainsi, la Cour des comptes indique que dans "le contexte d'un déficit du budget de l'État toujours élevé, des dérogations vont être mises en place pour des montants significatifs".

Cette année par exemple, 1,6 milliard de hausses de niches sociales ne sont pas compensées. Et cette logique de non-compensation devrait se poursuivre dans les années à venir. "Les lois financières pour 2019 ont prévu de réduire à hauteur de 5 milliards d'euros d'ici 2022 le montant de la compensation au titre de la transformation du CICE en des allègements généraux de cotisations".

Des outils de contrôle sous-exploités

Outre le coût et le déficit d'évaluation, l'institution de la rue Saint-Honoré explique que l'URSSAF et l'Acoss (administration centrale des organismes de sécurité sociale) n'exploitent pas encore toutes les possibilités des contrôles automatisés permettant de détecter les anomalies dans les déclarations des employeurs. À titre d'exemple, "parmi les 18 niches dont le coût dépasse 100 millions, seules 8 faisaient l'objet de tels contrôles en 2018", expliquent les rédacteurs du rapport de plus de 450 pages.