Le programme du Front National au crible (1/5) : peu innovant sur l'emploi

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  2029  mots
Le programme du Front National en faveur de l'emploi semble daté. Il méconnaît des mesures déjà applicables en France, notamment sur la "préférence nationale".
Au moment où le Front National vole de record en record dans le sondages pour les élections régionales, il a semblé opportun à" La Tribune" de se plonger dans son programme économique - comme elle le fait régulièrement avec les proposition du parti "Les Républicains" ou du PS - afin de décoder ce qui apparait bien souvent comme des incantations. Des propositions qui se révèlent approximatives, datées, ou simplement inapplicables. Premier volet de notre série : l'emploi

Dans sa stratégie de conquête du pouvoir et de "dédiabolisation", Marine le Pen accorde une place importante à la question de l'emploi afin de se faire le chantre des victimes de la crise. Les élections départementales et municipales ont d'ailleurs montré que le Front national progressait surtout dans les bassins d'emploi ayant connu des fermetures de sites industriel, même si, bien sûr, son implantation ne se limite pas à ces seules zones.

Et, très souvent, les dirigeants du FN ont renvoyé « Les Républicains » (ex UMP) et le PS dos à dos, les accusant de pratiquer, in fine, la même politique " anti-emploi". On s'attendait donc à une vraie rupture à la lecture des propositions anti-chômage du Front National. Or, il n'en est rien. Outre bien sûr de nombreuses références à la "préférence nationale", les propositions du FN apparaissent datées ou inabouties. C'est, en tout cas, ce qui ressort d'une lecture attentive du « projet » du Parti que l'on peut lire sur le site officiel du Front National (www.frontnational.com) qui semble ne pas avoir été actualisé depuis l'élection présidentielle de 2012.

Différents points étonnent. Comment peut-on lutter contre l'omniprésence de l'Etat et, en même temps, revendiquer que ce même Etat pilote tout le dispositif de la formation professionnelle, au détriment des entreprises ? Comment peut-on ignorer, en matière de durée du travail, qu'il est possible de travailler plus de 35 heures par semaine ? Comment peut-on ignorer également qu'un employeur coupable de recourir au travail clandestin est déjà pénalement responsable ? Revue de détail.


Durée du travail


"Afin de ne pas perturber à nouveau grandement le fonctionnement du marché du travail et des conditions d'emploi des salariés dans les entreprises françaises, les lois sur le temps de travail hebdomadaire de 35 heures ne seront pas revues, en revanche la renégociation sera autorisée à la condition qu'elle s'accompagne d'une augmentation proportionnelle du salaire ".


Décryptage.

Le mécanisme proposé par le Front National est déjà prévu par le code du Travail. A noter que les 35 heures hebdomadaires légales ne constituent qu'un seuil de déclenchement du mécanisme des heures supplémentaires. L'employeur peut librement, sans même avoir à négocier, fixer une durée hebdomadaire du travail supérieure à 35 heures dès lors qu'il respecte la législation sur la majoration des heures supplémentaires et que le contrat de travail prévoit le dépassement possible de la durée légale.

Ainsi, selon l'Insee, en 2012, la durée hebdomadaire moyenne du travail déclarée par les personnes à temps plein atteignait 41,1 heures. En cas de renégociation d'un accord existant sur les 35 heures, il est bien entendu prévu une " augmentation proportionnelle du salaire". Sauf s'il s'agit d'un accord "maintien de l'emploi", prévu depuis la loi du 14 juin 2013 (elle même issue de l'accord interprofessionnel du 11 janvier de la même année) où, là, un accord majoritaire (signé par des syndicats ayant obtenu 50% des voix aux élections professionnelles) peut prévoir une stabilité des salaires même en cas d'augmentation de la durée du travail. Mais, depuis la loi Macron de l'été 2015 cet accord n'est applicable que quatre ans ans et doit respecter certaines conditions.



Formation professionnelle


" L'Etat stratège reprendra en main la politique de formation professionnelle et instaurera un véritable service public de la formation tout au long de l'existence (chèque formation)".


Décryptage

Les dépenses liées à la formation professionnelle l'apprentissage représentent environ un budget de 31,5 milliards d'euros annuels. Sur ce montant global, l'État en prend à sa charge 4,6 milliards (15%), les régions 4,4 milliards (14%) et Pôle emploi 1,7 milliard (5%). Au total, donc, l'intervention publique représente déjà 34% des dépenses globales. L'État s'occupe essentiellement de la formation des demandeurs d'emploi et de l'apprentissage, via les régions. Il serait étonnant que les entreprises - qui financent 43% de la formation professionnelle - acceptent que la puissance publique se mêle également de la formation de leurs salariés.



Rôle de Pôle emploi


"Le fonctionnement de Pôle Emploi sera revu et fera l'objet d'un audit en collaboration avec les représentants des demandeurs d'emploi. Le non respect par un demandeur d'emploi des obligations imposées par Pôle Emploi (obligation de recherche, d'acceptation d'un emploi dans les conditions qui seront définies) sera plus sérieusement vérifié."



Décryptage

Depuis 2012, 4.000 agents supplémentaires ont été recrutés par Pôle emploi pour faire face au nombre croissant de demandeurs d'emploi. En outre, le fonctionnement de l'Agence a été revu de manière a assurer un meilleur suivi des chômeurs les plus éloignés de l'emploi, alors que, à l'inverse, davantage de liberté est accordée aux chômeurs ayant de plus grandes facilités pour retrouver un emploi.

En moyenne nationale, un conseiller Pôle emploi suit 116 demandeurs d'emploi. Par ailleurs, légalement, un demandeur d'emploi ne peut pas refuser, sous peine de radiation, plus de deux postes correspondant grosso modo à sa recherche. Il est exact que cette sanction n'est pas toujours appliquée, faute de moyens de contrôle et de polémique sur la définition de 'l'offre valable d'emploi'.



Aides de l'Etat

" L'emploi des jeunes et des séniors, catégories touchées par des niveaux de chômage particulièrement élevés, sera favorisé dans le cadre de la stratégie de réindustrialisation de la France. Ainsi, les entreprises participant à la reconstruction des filières industrielles, se verront inciter à utiliser les compétences des jeunes issus des filières professionnelles et des séniors injustement exclus prématurément du marché du travail (ingénieurs, ouvriers qualifiés notamment). Afin de montrer l'exemple, l'Etat et les collectivités locales valoriseront l'expérience des séniors et s'engageront, dans la limite qu'impose la prise en compte du critère de la compétence, à réserver une embauche sur trois dans la fonction publique aux personnes de plus de 45 ans issus du secteur privé" .

Décryptage

En matière d'aides sectorielles, il convient de faire très attention depuis le précédent " Borotra ". En 1996, Franck Borotra, ministre de l'Industrie du gouvernement Juppé avait accordé des aides publiques pour soutenir le secteur du textile-habillement. Un dispositif contesté par la Commission européenne et condamné pour concurrence déloyale par la Cour de justice de Luxembourg.

Par ailleurs, toutes les entreprises de France bénéficient déjà d'une réduction dégressive des cotisations sociales pour les salaires compris entre 1 et 1,6 Smic. Soit un coût annuel pour les finances publiques de 22 milliards d'euros. Dans le cadre du pacte de responsabilité, depuis le 1er janvier 2015, il n'y a plus aucune cotisation patronale de sécurité sociale au niveau du Smic. Les cotisations chômage et retraites complémentaires restent cependant dues.
Sinon, l'idée du recrutement " réservé "dans la fonction publique paraît difficile à mettre en œuvre. D'abord parce que les recrutements dans la fonction publique s'effectuent par concours - on ne peut donc pas réserver des postes -, ensuite parce qu' il existe, justement, une certaine limite d'âge supérieure pour passer ces concours afin d'assurer un déroulement de carrière suffisant.



Travail clandestin


"Parce qu'il constitue une concurrence déloyale au marché légal du travail, l'emploi de travailleurs clandestins sera très sévèrement sanctionné. L'employeur sera passible de sanctions pénales et de la fermeture administrative de son établissement ".

Décryptage

C'est déjà le cas actuellement. Un employeur est pénalement responsable en cas d'emploi de travailleurs clandestins. Et, bien entendu, son établissement peut être fermé et l'employeur interdit d'activité. De surcroît, avec la réforme de l'inspection du travail lancée par Michel Sapin lorsqu'il était ministre du Travail, une brigade spécialement dédiée à la lutte contre le travail clandestin à grande échelle (trafic dépassant le niveau régional) a été instituée au niveau national. Par ailleurs, la directive sur les travailleurs salariés détachés dans un pays étranger a été revue afin de tenter de lutter contre les abus qui, c'est exact, constituent une véritable plaie, notamment dans le secteur du BTP. La France a aussi renforcé son arsenal législatif. L'ensemble de ces nouvelles règles devraient permettre de poursuivre les entreprises installées à l'étranger qui pratiquent le détachement illégal de main d'œuvre en France.



Préférence nationale pour les recrutements

"Plus généralement, les entreprises se verront inciter à prioriser l'emploi, à compétences égales, des personnes ayant la nationalité française. Afin d'inciter les entreprises à respecter cette pratique de priorité nationale, une loi contraindra Pôle Emploi à proposer, toujours à compétences égales, les emplois disponibles aux demandeurs d'emploi français. Les administrations respecteront également ce principe, et la liste des emplois dits « de souveraineté » sera élargie, notamment dans les secteurs régaliens où les professions seront réservées aux personnes ayant la nationalité française ".



Décryptage

Ce n'est peut-être pas très connu mais la France pratique déjà une sorte de "préférence nationale". Un employeur qui souhaite embaucher un salarié extra communautaire doit formuler une demande auprès de la direction départementale des entreprises et du travail (Direccte). Plusieurs éléments sont pris en compte pour accorder ou refuser cette demande, notamment la situation de l'emploi dans la profession et le bassin concernés, au nom de la notion " d'emploi opposable".

En d'autres termes, quand un bassin d'emploi ou une profession connaît un taux de chômage important, il est impossible de recruter un salarié étranger. A l'inverse, il est possible de recruter un étranger dans un métier caractérisé par des difficultés de recrutement.

Il s'agit des "métiers sous tension", où les entreprises manquent de candidats à l'embauche. Il en existe une trentaine. Ces métiers sont répertoriés sur des listes régionales (chaque région dispose d'une liste de métiers). Dans d'autres cas, la France peut avoir conclu avec un pays un "accord sur les flux migratoires" qui prévoit une liste de métiers pour lesquels la situation de l'emploi n'est pas opposée aux travailleurs originaires de ce pays. Ainsi, 108 métiers sont ouverts aux ressortissants du Sénégal, 16 pour le Bénin, etc.

S'agissant, des ressortissants européens, la libre circulation prévaut, y compris pour les Croates depuis le 1er janvier 2015. Quant aux Bulgares et aux Roumains, ils bénéficient du régime de droit commun depuis le 1er janvier 2014. Auparavant, ils pouvaient s'installer en France pour seulement exercer des métiers spécifiquement autorisés par l'administration.



Syndicats

"Une grande réforme des syndicats sera mise en œuvre avec comme objectif principal d'assurer une meilleure représentation des salariés. Le monopole de représentativité institué après la Libération sera supprimé, et les modalités d'élections des représentants des salariés seront revues. Des syndicats plus représentatifs travailleront mieux à la réelle défense des intérêts des salariés : ils seront en effet plus à même d'entrer dans des logiques de concertation constructives et moins tentés de recourir à un rapport de forces (grève, manifestation) pour pallier leur manque de légitimité".


Décryptage

Sur ce sujet, le programme du FN est totalement dépassé. Une loi modifiant les critères de représentativité syndicale a été votée en 2008. Elle est applicable depuis 2013. Les 5 confédérations (CGT,CFDT,CFTC,CFE-CGC et FO) ne sont plus représentatives de droit, ni au niveau de l'entreprise, ni au niveau de la branche, ni au niveau national.

Seuls, au niveau de l'entreprise, les syndicats (tous les syndicats peuvent se présenter, sous certaines conditions, et pas seulement les "5 grands") ayant dépassé le cap des 10% des voix lors des élections professionnelles peuvent désigner un délégué syndical. Et seuls les syndicats ayant dépassé 8% des voix au niveau national (en agglomérant tous les résultats des élections professionnelles) sont habilités à négocier des accords interprofessionnels.