Le suramortissement ne convainc pas vraiment les chefs d'entreprises

Par Fabien Piliu  |   |  1107  mots
Reprise ou pas reprise ?
Interrogés par Opinion Way pour CCI France/La Tribune/ Europe 1 dans le cadre de « La grande consultation », les chefs d'entreprises n'ont pas réellement le moral au beau fixe, malgré quelques signaux conjoncturels encourageants.

Les statistiques déforment-elles la réalité. Interrogés dans le cadre du baromètre Opinion Way pour CCI France/La Tribune/ Europe 1, les chefs d'entreprises restent assez méfiants quant à la réalité de la reprise. Certes, les indicateurs macroéconomiques se redressent un peu. C'est notamment le cas de la consommation et de la production industrielle.

Mais la sérénité n'est pas encore de mise. Comme en février, seuls 30% du millier d'entrepreneurs interrogés dans le cadre de « La grande consultation » lancée par CCI France* se disent confiants. Mais ils ne sont que 11%, contre 16% en février, à se déclarer " audacieux ". Point positif, ils sont 41% à penser que "ce sera mieux demain", un pourcentage en hausse de quatre points par rapport à février !

Pour André Marcon, le président de CCI France, cette deuxième vague de la grande consultation des entrepreneurs indique donc "un frémissement de l'économie. Il faut s'en réjouir et s'en saisir". " Certes ce n'est pas la confiance qui remplit les carnets de commandes, mais elle est indispensable au dynamisme général et c'est un préalable à l'investissement ", ajoute-t-il.

Pas d'embauches massives à l'horizon

Si leur situation personnelle reste plutôt confortable - 59% sont très confiants sur l'avenir de leur entreprise -, celle de l'économie française les inquiète. En effet, seuls 17% sont "assez confiants " sur son potentiel de rebond.

Dans ce contexte, encore déprimé - et déprimant, il faut bien en convenir - les nouvelles embauches restent différées. Seuls 10% des dirigeants comptent recruter en 2015. Ils sont 85% à vouloir maintenir le nombre de leurs salariés. Ils sont encore 5% à penser réduire la voilure... Prévue en 2016 par le gouvernement, l'inversion de la courbe du chômage reste donc hypothétique.

Recruter des apprentis est-il plus envisageable ? Egalement questionnés sur l'apprentissage, les dirigeants interrogés dans le cadre de cette " Grande consultation " sont peu enthousiastes sur les dispositifs actuellement en vigueur. Ils sont 45% à estimer que c'est une méthode efficace de recrutement, 38% à penser qu'il permet de maintenir les savoir-faire dans l'entreprise et 22% à considérer que l'apprentissage permet d'apporter de nouvelles compétences... Peut-être que les prochaines mesures gouvernementales sauront les convaincre... Lors de l'entretien télévisé accordé à Canal+ le 19 avril, François Hollande, le chef de l'Etat a annoncé la tenue d'une conférence sur l'apprentissage le 12 mai, avec de nouvelles incitations à la clé.

En attendant de connaître le détail de ces mesures, avant d'embaucher, les chefs d'entreprises se sont fixés d'autres objectifs : trouver des leviers de croissance pour l'activité, notamment en innovant et en exportant, et des leviers de rentabilité.

Encore des baisses de cotisations !

Comment pourraient-ils retrouver le sourire ? Réformer serait la clé, selon eux. Ils sont 44% à plaider pour une réforme « en profondeur » de l'économie. Pour 38% d'entre eux, quelques réformes suffiraient à leur donner satisfaction. Saluent-ils la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite loi Macron ? L'accueil est bien mitigé.

En effet, ils sont 67% à ne pas percevoir la cohérence et la logique du texte. Ils ne sont que 21% à estimer qu'il permettra de stimuler la croissance. Espérons qu'ils se trompent ! Il semble qu'une nouvelle baisse des cotisations, qui se serait ajoutée au crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) et aux allègements de charges prévus par le Pacte de responsabilité les auraient davantage contenté. Ils sont 54% à la réclamer.

Avec la mesure portant sur le suramortissement, qui permet de réduire la facture de l'impôt sur les sociétés, l'exécutif a en partie répondu à leurs attentes.

De quoi s'agit-il exactement ? Annoncée le 8 avril par Manuel Valls, le Premier ministre en Conseil des ministres, votée au Sénat le 16 avril dans le cadre de l'examen sur le projet de loi sur la croissance et l'activité, la mesure de suramortissement est d'ores et déjà en vigueur. Elle concerne les investissements productifs privés des entreprises réalisés entre le 15 avril 2015 et le 14 avril 2016. L'instruction fiscale est d'ores et déjà parue au Bulletin officiel des finances publiques (bofip.impots.gouv.fr). Les règles de calcul et les modalités de mise en œuvre de la déduction sont les suivantes : les entreprises peuvent amortir les biens à hauteur de 140% de leur valeur, ce qui leur apporte un double avantage, en termes de trésorerie et en termes de rendement. Ainsi, pour un investissement de 100.000 euros, l'économie d'impôt, s'ajoutant à l'amortissement classique, sera, pour un taux normal d'impôt sur les sociétés, d'environ 13.000 euros. Coût pour l'Etat ? Il s'élève à 2,5 milliards d'euro sur cinq ans. Michel Sapin, le ministre des Finances est confiant quant à la capacité de cette mesure à relancer l'investissement des entreprises, le chaînon manquant de la reprise.

" Les entreprises ont maintenant toutes les informations nécessaires pour déterminer le bénéfice qu'elles pourront tirer de la mesure de suramortissement lorsqu'elles investissent dans les mois qui viennent. Avec des conditions de financement favorables et une demande qui repart, toutes les conditions sont réunies pour que les entreprises, par leurs investissements, participent pleinement à la reprise en cours ", a-t-il expliqué lors de la publication de l'instruction fiscale.

Un accueil mitigé pour le suramortissement

Là encore, les chefs d'entreprises éprouvent de sérieuses difficultés à se réjouir, même si la CGPME a immédiatement salué cette mesure, considérant qu'elle pouvait provoquer un choc salutaire de l'investissement productif. Sur le millier de dirigeants ayant participé à la " Grande consultation ", 47% estiment que cet outil peut en effet stimuler l'investissement. Mais ils sont 42% à penser le contraire ! Plus grave, ils sont 71% à ne pas avoir l'intention d'utiliser ce dispositif. Pour quelles raisons ? Ils sont 31% à déclarer à avoir déjà investi.

Pour 28% d'entre eux, leur carnet de commandes est trop peu étoffé pour investir. Faire tourner les machines en place suffirait donc. " Le manque de visibilité et de pérennité des carnets de commandes, c'est ce qui empêche notamment les entreprises d'utiliser la mesure proposée. Aujourd'hui, ils manquent de visibilité sur leurs carnets de commande : 15 jours à 3 semaines contre au minimum 6 semaines avant la crise ", précise André Marcon.

Enfin, 17% déclarent ne pas avoir les ressources financières pour investir, malgré cette mesure ! " Tout l'enjeu c'est de restaurer la compétitivité et la baisse des charges y contribuera. Là sera le cercle vertueux... ", poursuit-il.

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