Le travail « dissimulé » fait perdre au moins 6 milliards d'euros par an à la Sécu

Par latribune.fr  |   |  738  mots
La palme revient aux travailleurs des plateformes, avec un taux de « cotisations éludées » de 43%. Ce chiffre monte jusqu’à 58% chez les livreurs à domicile et 62% pour les véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC). (Crédits : Reuters)
Pure fraude ou simples « erreurs déclaratives », le « travail dissimulé » a fait perdre à la Sécurité sociale au moins 6 milliards d'euros de « cotisations éludées » en 2021. Les micro-entreprises affichent le taux de fraude le plus élevé, avec 17% à 26% de cotisations non versées. Les travailleurs des plateformes, livreurs et chauffeurs VTC particulièrement, se placent en haut du classement.

Au moins 6 milliards d'euros : c'est la coquette somme que la Sécurité sociale n'encaisse pas, alors qu'elle le devrait, d'après un rapport publié ce mercredi 14 décembre par le Haut conseil pour le financement de la protection sociale. Un manque à gagner lié au « travail dissimulé » selon cet organisme chargé depuis 2012 d'établir un état des lieux du système de financement de la protection sociale et de formuler des propositions d'évolution.

Dans le détail, dans le secteur privé, les « cotisations éludées » représentent 2,2% à 2,7% du total attendu (redressements et trop-perçus inclus). Soit 5,1 à 6,4 milliards d'euros en 2021. En élargissant à l'assurance chômage, le manque à gagner est même estimée entre 5,6 et 7,1 milliards.

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Les plateformes dans le viseur

S'ajoutent à ces sommes colossales 500 millions dans le secteur agricole et surtout 1 à 1,5 milliard chez les micro-entrepreneurs, soit 17% à 26% de cotisations non versées. Des chiffres qui « confirment le caractère très fraudogène » de ces sociétés, en particulier dans le secteur de la construction.

La palme revient aux travailleurs des plateformes, avec un taux de « cotisations éludées » de 43%. Ce chiffre monte jusqu'à 58% chez les livreurs à domicile et 62% pour les véhicules de tourisme avec chauffeur (VTC).

Pointant la responsabilité des plateformes qui « fournissent encore des informations partielles ou erronées, voire omettent de déclarer » les revenus de leurs travailleurs, le HCFiPS relève « l'intérêt qu'il y aurait à étudier la systématisation d'un précompte » par celles-ci.

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De quoi creuser le déficit de la Sécu

Le rapport du HCFiPS précise que ces « résultats d'évaluation de la fraude ne doivent pas être confondus avec les sommes qui pourraient in fine être redressées ». Il est toutefois possible de les rapprocher des projections de déficit, objet d'une autre note du même organisme.

En débat depuis octobre, le projet de loi de financement de la Sécurité sociale pour 2023 a été adopté définitivement le 2 décembre par le Parlement. Il prévoit notamment de réduire son déficit. Depuis le record abyssal de 2020 (près de 39 milliards), les pertes ont été réduites, à moins de 25 milliards en 2021. Pour cette année, elles étaient programmées à 17,8 milliards, mais Assemblée et Sénat ont voté sur proposition du gouvernement des rallonges pour l'hôpital, notamment pour faire face aux épidémies de bronchiolite et de Covid, ce qui porte le déficit prévisionnel à 18,9 milliards. Pour 2023, il doit s'établir à 7,1 milliards, si les hypothèses optimistes du gouvernement se confirment.

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Avant même ce réajustement, la Cour des comptes avait alerté début octobre d'un « risque réel » de déficit « plus élevé que prévu ». Son Premier président, Pierre Moscovici, considère que l'exécutif s'appuie sur « des perspectives trop optimistes », en matière de croissance, mais aussi sur le plan sanitaire. Il existe donc selon lui « un risque réel de croissance continue des dépenses sociales, au détriment des générations futures » qui devront rembourser les dettes accumulées.

Pour éviter un dérapage, la Cour formulait plusieurs recommandations dans un rapport, qui épargne l'hôpital car « ce n'est pas là que doit porter l'effort », indiquait Pierre Moscovici. En revanche, « il y a assurément des gisements d'efficience et de maîtrise de dépenses dans la médecine de ville ».

Un avis partagé par le Haut Conseil des finances publiques. Il estimait fin septembre que la trajectoire par laquelle le gouvernement entend ramener le déficit de 5% du PIB à 2,9% sur la durée du quinquennat est « particulièrement fragile ». Selon lui, les hypothèses de l'Exécutif « sur la croissance économique, sur la maîtrise de la dépense publique et sur la hausse des prélèvements obligatoires » sont optimistes. Pour l'organisme indépendant, le gouvernement a « surestimé » l'impact de l'ensemble des réformes qu'il projette de mettre en oeuvre, à savoir des retraites, de l'assurance-chômage, du revenu de solidarité active (RSA) et de l'apprentissage, « en particulier dans les premières années de programmation ».

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(Avec AFP)