Après deux ans de pandémie, la question du financement de notre santé est plus vive que jamais. Et pour cause, le déficit de Sécurité sociale s'est élevé à 25,5 milliards d'euros en 2021 et un retour à l'équilibre n'est pas attendu avant... 2030, selon Olivier Véran. En octobre dernier, à l'occasion du 76ème anniversaire de la Sécurité sociale, le ministre des solidarités et de la santé a jeté un pavé dans la mare en évoquant la possibilité de mettre en place une « Grande Sécu », c'est-à-dire d'étendre le champ d'action de l'assurance maladie, qui couvre aujourd'hui près de 80% des dépenses de santé, au détriment de celui des « complémentaires » (mutuelles, assurances, institutions de prévoyance), qui viennent en complément des remboursements en endossant les dépassements d'honoraires et les tickets modérateurs à hauteur de 12 %. Le solde constituant le reste à charge.
Une provocation pour les organismes complémentaires menacés de disparition, mais aussi pour les syndicats de médecins, inquiets pour leurs dépassements d'honoraires. La menace s'est accentuée en janvier quand le sujet s'est retrouvé propulsé dans la campagne présidentielle avec la publication du rapport du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance-maladie (HCAAM), commandé par le ministre. Détaillant les avantages et les inconvénients d'un tel système, l'instance consultative a assuré en effet que l'impact d'une « Grande Sécu » serait plutôt bénéfique, notamment pour les retraités !
Il n'empêche, les questions d'une telle réforme sont nombreuses. A commencer par sa soutenabilité financière alors que la Sécu restera durablement dans le rouge « au-dessus de 10 milliards d'euros par an », selon Olivier Véran. Faudra-t-il couper dans les dépenses de santé, ou augmenter les impôts ou les cotisations ? Difficile à porter pour le prochain locataire de l'Elysée. Au-delà de l'équation financière se pose également la question des avantages réels d'une tel système nationalisé à 100%% pour un meilleur accès aux soins des Français. Alors faut-il une « Grande Sécu » ?
Oui, il faut mettre en place une Grande Sécu. Aujourd'hui, selon le HCAAM, les frais intermédiaires et de gestion des mutuelles et assurances complémentaires représentent 15 milliards d'euros. Une somme considérable. Or, le problème, c'est l'écart important entre ce que dépensent les assurés (en adhérant à une complémentaire et en payant chaque mois une cotisation) et ce qu'ils reçoivent en prestations lorsqu'ils se font soigner. Il est de l'ordre de 30%. S'il est si élevé, c'est notamment parce que la France est le pays où les frais de gestion dans le système de santé sont les plus importants. Cela tient au fait que chaque acte de soin bénéficie de deux remboursements. Le premier par l'assurance maladie, le second par une complémentaire.
Selon le HCAAM, basculer dans un seul et grand système, en ayant qu'un seul payeur, permettrait d'économiser 5,4 milliards d'euros sur ces frais de gestion Concernant la capacité technique de n'avoir qu'un seul opérateur, il n'y aurait aucun problème, puisque l'assurance maladie assume déjà 80 % des remboursements. Elle pourrait sans difficulté tout prendre en charge. Elle sait d'ailleurs déjà le faire.
Surtout, le principal avantage d'une bascule dans une « Grande Sécu » serait d'apporter plus de justice entre les patients. Le système actuel est, en effet, très inégalitaire : le prix d'une mutuelle ou d'une complémentaire ne dépend pas des revenus des individus, mais de leur profil. Ainsi, aujourd'hui, les actifs les plus favorisés sont ceux qui paient le moins cher leur complémentaire, non seulement parce qu'ils appartiennent en général à des profils considérés comme à faible risque, mais aussi parce que leur mutuelle dépend de leur entreprise. S'ajoute aussi le fait qu'Ils bénéficient par ailleurs d'un important avantage fiscal puisque leurs cotisations mutuelles sont exonérées d'impôts. L'argent prélevé va donc directement aux mutuelles. Et cette somme est loin d'être négligeable : 7 milliards d'euros.
En revanche, les retraités, les chômeurs, les indépendants (qui n'ont pas de conjoints salariés), disposent de contrats tarifés de façon individuelle, donc à des prix plus élevés. Les retraités, qui, rappelons-le, sont les personnes les plus à risques face à la maladie du fait de leur âge, restent les plus défavorisés car ils paient le plus cher. Ce qui les amène parfois à renoncer aux soins. Par conséquent, la mise en place d'une Grande sécu rendrait le système plus juste et plus équitable. En matière de cotisation, tout le monde serait logé à la même enseigne, comme pour la Sécu. Il y a fort à parier qu'il y aurait moins de renoncements aux soins. Si on se réfère au HCAAM, les plus âgés seraient même les principaux gagnants.
Quant à la prévention et aux soins, rien ne laisse à penser que le patient serait perdant. Bien au contraire. A de nombreuses reprises l'Assurance maladie a démontré sa capacité à faire de la prévention, que ce soit, par exemple, pour les cancers du sein ou le soin des dents pour les enfants. Enfin, les économies réalisées - fiscales et de gestion - permettraient de rendre du pouvoir d'achat aux Français. Plusieurs milliards d'euros ! Un argument de poids dans cette période où l'inflation s'installe.
Non, il ne faut pas de « Grande Sécu ». Faire en sorte que l'Assurance maladie se substitue totalement aux mutuelles et aux complémentaires ne réglerait en rien les problèmes auxquels notre système de santé est confronté. Tout d'abord, la prise en charge des patients ne serait pas meilleure, loin de là. En effet, de nombreux soins ne seraient pas intégralement remboursés, comme les dépassements d'honoraires, les suppléments en chambre particulière ..que prennent aujourd'hui en charge les mutuelles.
Comment imaginer qu'une « Grande Sécu » puisse tout prendre en charge, alors que l'assurance maladie est en déficit structurel (hors covid) de 15 milliards d'euros par an ? Comment la sécurité sociale qui n'a déjà pas les moyens aujourd'hui de prendre en charge les dépenses de santé des Français pourrait-elle le faire ? D'autant plus quand ces dépenses de santé augmentent du fait du vieillissement de la population. Quand on voit comment l'Etat a géré la pénurie de médecins, dans quel état sont nos hôpitaux... il y a de quoi être inquiet.
On reproche beaucoup aux organismes complémentaires leurs frais de gestion, mais a-t-on connaissance que ces frais regroupent, certes, de la gestion administrative, mais aussi beaucoup d'actions de prévention ? Sait-on que ces frais de gestion représentent à peine 0,2 % des cotisations, soit 20 centimes sur 100 euros de cotisation ? C'est epsilon.
On leur reproche également d'augmenter leurs frais. Mais en 20 ans, alors que les dépenses de santé des Français ont progressé de 94%, les cotisations des mutuelles ont augmenté de 91%. Si les ménages ont la perception que la santé leur coûte de plus en plus cher, c'est vrai, mais c'est surtout parce que les dépenses de santé augmentent plus vite que leurs revenus. Et dans cette inflation, les complémentaires sont plutôt des éléments modérateurs. Rappelons qu'aujourd'hui, le reste à charge est l'un des moins élevés d'Europe. Aussi, derrière cette idée de « Grande Sécu » , se niche une fausse promesse. Un écran de fumée. Comme l'Assurance maladie ne pourra pas tout prendre en charge, il se créera un système où les plus riches développeront un dispositif pour être assurés et être pris en charge. Ce qui creusera les inégalités bien plus qu'aujourd'hui. A l'approche d'une élection présidentielle, la Grande Sécu semble donc être une façon de mettre des rustines ici et là, sans s'interroger sur l'approche globale que nous devons avoir, en matière de santé, de vieillissement de la population, de retraite, de dépendance...