Pourquoi l'ascenseur social marche mieux pour les femmes que pour les hommes

Par Grégoire Normand  |   |  1186  mots
Pour les hommes, la mobilité sociale a stagné entre 1977 et 2015 selon la dernière enquête de l'Insee. (Crédits : Reuters)
La dernière étude de l'Insee indique que l'ascenseur social a bien mieux fonctionné pour les femmes que pour les hommes sur les quatre dernières décennies. Mais les inégalités des chances demeurent trop importantes.

Les récents mouvements de protestation ont suscité beaucoup de débats sur les inégalités et l'efficacité du système éducatif français. Plusieurs membres des "Gilets jaunes" ont mis en avant le manque de justice sociale et d'équité fiscale à travers des territoires parfois délaissés. L'augmentation de la taxe carbone, qui a mis le feu aux poudres, a mis au grand jour des problèmes économiques et sociaux bien plus profonds.

Face à ces défis, plusieurs travaux publiés cette semaine apportent un éclairage relatif aux répercussions du système socioprofessionnel sur la mobilité sociale des Français.

La mobilité sociale des hommes stagne depuis 40 ans

Dans une étude publiée ce mercredi 27 février, l'Insee signale que ces 40 dernières années, la mobilité sociale des hommes en France est restée quasiment stable.  D'après les derniers résultats disponibles, « 65 % des hommes français âgés de 35 à 59 ans, actifs occupés ou anciens actifs occupés, relèvent d'une catégorie socioprofessionnelle différente de celle de leur père en 2015 ». Ce taux est relativement similaire à celui de 1977 (63,8%) même s'il a légèrement varié sur la période.

Dans cette enquête, les données indiquent que si la part des hommes qui ont connu une mobilité ascendante a légèrement augmenté passant de 23,5% à 27,6% entre 1977 et 2015, la proportion de ceux qui ont connu une mobilité descendante a doublé passant de 7,2% à 15% sur la même période. Pour expliquer cette évolution de la mobilité sociale chez les hommes, les économistes de l'Insee évoquent « l'évolution de la structure des emplois entre les générations d'hommes nés entre 1955 et 1980 et celles de leur père. »

« Cette mobilité dite "structurelle" reflète les profonds changements de la société française depuis la fin des Trente Glorieuses : poursuite du déclin de l'emploi agricole, baisse de l'emploi industriel, salarisation et tertiarisation croissantes de l'économie se sont traduites par une baisse du nombre de travailleurs indépendants et d'ouvriers, au profit des emplois de cadres et professions intermédiaires. »

L'ascenseur social a mieux fonctionné chez les femmes

Du côté des femmes, la mobilité sociale a progressé. Selon l'enquête de l'institut de statistiques, 71% des femmes de 35 à 59 ans actives occupées ou anciennes actives occupées font partie d'une autre catégorie socioprofessionnelle que celle de leur mère. « En 40 ans, ce taux de mobilité sociale féminine a connu une forte hausse de 12 points, concentrée entre la fin des années 1970 et le début des années 1990. »

Outre la mobilité intergénérationnelle, l'étude indique que l'expansion de la mobilité verticale a été plus forte que celle des hommes. « Depuis 1977, le taux de mobilité verticale a plus que doublé pour atteindre 52% en 2015. Il dépasse ainsi de 9 points celui des hommes, alors qu'il était inférieur de 8 points 40 ans plus tôt. » En dépit de ces améliorations, les inégalités entre les hommes et les femmes, et les manquements à la parité dans le monde du travail sont toujours bien présents.

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Des inégalités des chances toujours bien présentes

Dans un récent post de blog, la cheffe économiste de l'OCDE Laurence Boone et Antoine Goujard du département économique de la même institution ont pointé « les inégalités des chances qui se reproduisent à travers le système éducatif et les générations ». Outre les plus pauvres, les deux auteurs rappellent que ce phénomène frappe aussi les classes moyennes. Ils expliquent notamment que les disparités s'enracinent dès le plus jeune âge en fonction des territoires et des catégories socioprofessionnelles, et se poursuivent tout au long de la vie.

« Alors que le système social et les aides publiques prennent en charge la garde des jeunes enfants de façon importante, chez le tiers de la population le moins aisé, seuls 30% des enfants intègrent des modes d'accueil dits "formels", crèches, halte-garderie ou assistantes maternelles, contre près de 60% pour l'ensemble de la population. »

À l'école, les résultats des différentes enquêtes Pisa signalent que la proportion des élèves français ayant de faibles compétences en compréhension de texte et en mathématiques atteint 15%, soit un des niveaux les plus élevés des pays développés. Par ailleurs, « les mêmes études Pisa montrent que l'influence du milieu social sur les performances scolaires est l'une des plus élevées des pays de l'OCDE, et tout particulièrement en mathématiques - matière qui, comme on le sait, conditionne beaucoup l'accès aux meilleures filières éducatives en France ».

Des divergences dans l'accès à l'emploi

Ces inégalités dans l'accès aux infrastructures de garde et ces résultats décevants en matière d'éducation ont ensuite des répercussions sur l'accès à l'emploi des plus jeunes. L'obtention d'un diplôme de l'enseignement supérieur réduit considérablement les chances d'être au chômage en France. « Le taux d'emploi des diplômés du supérieur s'élève à 83% [...] alors qu'il s'élève à 51% pour les diplômés de la filière générale de l'enseignement secondaire », souligne l'OCDE.

Résultat, « les jeunes sans formation et sans emploi représentent une part plus importante en France que la moyenne de l'Union européenne ».

Un système de redistribution moins favorable aux classes moyennes

Grâce à l'État-providence, « le système de redistribution en France est important et corrige bien la pauvreté via d'importants transferts vers les ménages les moins aisés » , expliquent les deux économistes de l'institution basée à Paris.

Si le taux de pauvreté diminue fortement après impôts et transferts, la baisse des inégalités de revenus est beaucoup moins forte. Ces dernières se situent juste en deçà de la moyenne des pays de l'OCDE. « Cela suggère une moins forte redistribution des transferts nets d'impôts en faveur des classes moyennes .»

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Le poids des dépenses contraintes dans le budget des ménages français est également mis en relief dans le post des deux experts. Selon eux, la part du logement dans la consommation des ménages en France est supérieure à la moyenne européenne. Si les logements sociaux permettent en partie de corriger certains déséquilibres, une bonne partie des classes moyennes ne peut pas accéder à ce parc spécifique.

Dans un entretien accordé à La Tribune en décembre dernier, le sociologue spécialiste des inégalités Olivier Galland rappelait le fait suivant :

« La part de ces dépenses contraintes dans le budget des ménages a tendance à augmenter pour les foyers au revenu modeste. Les gens peuvent avoir le sentiment d'avoir un contrôle de plus en plus faible sur leur choix personnel. »

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