Macron face à la CGT : la première confrontation

Par Jean-Christophe Chanut  |   |  1221  mots
En organisant la journée d'actions du 12 septembre, Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, veut positionner son syndicat en principal adversaire de la politique menée par Emmanuel Macron.
La CGT appelle mardi 12 septembre à manifester contre la réforme du droit du travail, voulue par Emmanuel Macron. Le président se trouve confronté à sa première véritable épreuve sociale. Pour en sortir vainqueur, il s'est employé à isoler la CGT...

Ce mardi 12 septembre, Emmanuel Macron et le gouvernement vont être confrontés à leur premier mouvement social d'ampleur depuis leur arrivée au pouvoir au printemps dernier. La CGT a en effet appelé de longue date à manifester ce jour contre les ordonnances réformant le droit du travail qui seront adoptées en conseil des ministres mercredi 20 septembre. La FSU, Solidaires et le syndicat étudiant Unef ont décidé de rejoindre la CGT dans le mouvement. Au total, selon Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, Plus de 180 lieux de manifestations ont été recensés et « on va dépasser les 4.000 appel à la grève sur tout le territoire ». Le leader syndicaliste y voit « le signe d'une effervescence et d'un très fort mécontentement », selon les termes employés dans un entretien au Parisien dimanche 10 septembre.

Et pour la CGT, il ne s'agit « que d'un début », la centrale appelant d'ores et déjà à une nouvelle journée d'actions le 21 septembre. En revanche, au nom de l'indépendance syndicale, elle n'appelle pas officiellement ses militants à rejoindre les cortèges de « La France insoumise » de Jean-Luc Mélenchon qui sera dans la rue le 23 septembre.

L'importance de la mobilisation scrutée par le gouvernement

Alors, faut-il s'attendre mardi 12 septembre à une forte mobilisation ? L'importance des cortèges va être scrutée de très près par le gouvernement. Emmanuel Macron a déjà dit que de toute façon, il ne lâcherait rien. Depuis Athènes, vendredi 8 septembre il a même lancé de façon provocante « qu'il serait d'une détermination absolue et ne cèderait rien, ni au fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes »... Des propos qui ont fait polémiques.

L'Executif va chercher à savoir s'il ne s'agit que d'une « grogne » limitée en nombre et dans le temps où si le mouvement peut, à l'inverse, potentiellement prendre de l'ampleur et agréger les nombreux mécontentements nés des annonces sur la diminution des contrats aidés, la baisse des APL, le « gel » du point dans la fonction publique, l'augmentation de la CSG pour de nombreux retraités, etc.

Le gouvernement devrait a priori pouvoir se rassurer, même s'il est toujours difficile de faire des pronostics en matière de météo sociale. Mais, de fait, plusieurs facteurs jouent en sa faveur.

D'abord, à la différence de 2016 où la loi El Khomri était une véritable surprise, François Hollande ne l'ayant jamais annoncé dans son programme présidentiel, cette année, il en va totalement autrement. Emmanuel Macron avait fait de la réforme du marché du travail l'un des points centraux de sa campagne électorale. Il avait annoncé qu'il réformerait le droit du travail rapidement. Il avait aussi était très clair sur sa volonté de transformer l'assurance chômage, de revoir le système de formation et d'unifier les régimes de retraites.

Le président peut donc se targuer d'une légitimité démocratique certaine. Ce à quoi ses détracteurs rétorqueront que la largesse de son élection au second tour face à Marine Le Pen n'avait pas valeur d'adhésion mais exprimait surtout un rejet du Front National...

Ensuite, le gouvernement constatera avec satisfaction qu'il n'est pas face à un front syndical uni. Officiellement, aucune des quatre autres centrales représentatives au niveau national et interprofessionnelles n'appelle à descendre dans la rue le 12 septembre aux côtés de la CGT. Certes, plusieurs fédérations Force Ouvrière ou CFE-CGC comptent participer.

La CGT isolée et FO "chouchoutée" par le gouvernement

Mais, le secrétaire général de Force Ouvrière, Jean-Claude Mailly n'a pas voulu, cette fois, lier le destin de sa confédération à celui de la CGT. C'est toute la différence avec la loi El Khomri. En 2017, FO reste dans le jeu du dialogue avec le gouvernement, la CFDT n'a plus le monopole de cette situation comme au temps de François Hollande. D'ailleurs, Edouard Philippe et Muriel Penicaud, la ministre du travail, ont astucieusement « bichonné » Jean-Claude Mailly en laissant une place importante aux branches dans la négociation collective et en acceptant d'augmenter les indemnités légales de licenciement qui passent de 1/5e de mois par année d'ancienneté à ¼.... « Cadeau » à Force Ouvrière.

Comment expliquer dès lors l'attitude de Jean-Claude Mailly. En 2016, il n'a pas du tout apprécié la méthode de travail de Manuel Valls alors premier ministre... et surtout l'attitude intransigeante, selon lui, de François Hollande pour qui seule la CFDT comptait. Pour le secrétaire général de FO, à l'époque, il n'y a eu aucune concertation réelle, il avait d'ailleurs dénoncé dans un livre* la « surdité » de ses interlocuteurs ». Ce qui explique en grande partie pourquoi FO est descendue dans la rue. Mais Jean-Claude Mailly n'a pas très bien vécu l'épisode contestataire avec toutes les violences qui se sont produites en marge des cortèges. A l'inverse, en 2017, Jean-Claude Mailly estime avoir pu se faire entendre, lors de la concertation estivale avec le ministère du Travail. A titre personnel, le leader de FO estime que Muriel Penicaud et « une grande professionnelle ». Mais, surtout, Jean-Claude Mailly qui passera la main à la tête de FO au printemps 2018 - Pascal Pavageau lui succèdera - souhaite que sa centrale continue d'avoir l'oreille du gouvernement alors que d'autres grands chamboulements se profilent avec la réforme de l'assurance chômage, de la formation professionnelle et, surtout, des régimes de retraite. FO compte être très présente sur ces dossiers. Il faut donc que la centrale reste « dans le coup ».

La CGT veut se refaire une santé

La « sagesse » actuelle de FO - pas forcément toujours très bien vécue dans les rangs de l'organisation - est donc un atout pour Emmanuel Macron qui ne trouve en face de lui « que » la CGT parmi les centrales interprofessionnelles. Philippe Martinez, lui, a besoin de cette journée et sans doute des suivantes pour remonter le moral de ses troupes. De fait, en 2017, la CGT a perdu sa place historique de première confédération syndicale dans le privé au profit de la CFDT. Certes, elle reste la première centrale si l'on tient compte du public. Mais en tout état de cause, la CGT perd du terrain. Elle pense donc qu'en musclant son discours et en se posant en principale force de contestation à Emmanuel Macron et sa majorité cela lui fera gagner des points.

Surtout, la CGT veut espérer que son « isolement » ne va pas durer et que des convergences vont avoir lieu avec les autres centrales sur les futurs dossiers, à savoir les réformes de l'assurance chômage et des retraites. Ce qui n'est pas impossible. En attendant, le gouvernement a astucieusement renvoyé à 2019 le projet de réforme du statut de la SNCF, un bastion cégétiste, pour éviter la fameuse convergence des luttes ce 12 septembre

Pour l'anecdote, Emmanuel Macron se rendra demain12 septembre  aux Antilles pour rencontrer les sinistrés du cyclone Irma...Façon de concurrencer sur les antennes TV les images des manifestations de la CGT. Rien n'est laissé au hasard...

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* "Les apprentis sorciers, l'invraisemblable histoire de la loi travail"; Éditions Les Liens qui Libèrent; 110 pages; 12,50 euros