Macron, un programme fiscal plein d'habileté

Par Ivan Best  |   |  1289  mots
Emmanuel Macron affiche un programme fiscal tourné vers les classes populaires et moyennes et l'investissement.
Emmanuel Macron affiche un programme fiscal tourné vers les classes populaires et moyennes et l'investissement. La réalité est un peu plus nuancée

 A l'image du personnage, qui, contre toute règle établie, est en passe de devenir président de la République à force d'habileté, moins de trois ans après avoir s'être fait connaître du grand public, le programme fiscal d'Emmanuel Macron est malin. Malin, au point de pouvoir afficher comme objectif premier le « soutien du pouvoir d'achat des classes moyennes et populaires », sans être vraiment contredit, alors même que les conséquences de ce « paquet » sur la distribution des richesses seraient bien sûr plus complexes. Rien ne dit que les classes moyennes et populaires seraient réellement les grande gagnantes de ce programme.

La première habileté macronienne, c'est celle de promettre une suppression de la taxe d'habitation. Emmanuel Macron précise aussitôt que ce sera le cas pour 80% des ménages, excluant les 20% de « riches »... mais la plupart des électeurs pensent se situer dans ces 80%. Bingo ! Cette promesse est bien plus lisible que les baisses à répétition de l'impôt sur le revenu décidées par François Hollande, auxquelles les Français n'ont pas compris grand-chose. Chacun sait ce qu'il a payé en novembre au titre de la taxe d'habitation, chacun sait donc ce qu'il va économiser. Le grand spécialiste de la fiscalité qu'est François Hollande -de longue date- aurait été bien inspiré de supprimer ainsi la taxe d'habitation. Rue de Bercy, on le reconnaît du reste à mi mot : « on aurait dû faire quelque chose sur cet impôt » admet un conseiller de Michel Sapin. Et nul ne viendra défendre un impôt effectivement obsolète et inéquitable. Comme le souligne le programme d'Emmanuel Macron

L'équité n'est plus assurée, ni horizontalement (deux ménages occupant des logements similaires ne payent pas le même impôt), ni verticalement (l'imposition peut décroître avec le revenu). Ainsi, la taxe d'habitation pèse très lourd sur le revenu des ménages modestes, pèse sur le pouvoir d'achat des classes moyennes, mais représente une part très faible du revenu des ménages aisés.

 Quel est effet réel de cette mesure sur le pouvoir d'achat? En réalité, les classes populaires n'y gagneront rien. Les 20% de ménages les plus modestes sont, pour l'essentiel, déjà exonérés de taxe d'habitation. C'est donc la classe moyenne, et elle seule, qui serait gagnante.

Moins de cotisations pour tous les actifs

En revanche, tous les actifs sortiraient gagnants du basculement des cotisations d'assurance maladie et chômage (pour la part salariés) sur la CSG. Le principe est simple : disparaîtraient 3,15 points de cotisations (représentant 3,15% du salaire brut), remplacés par une hausse de la CSG à hauteur de 1,7 point. La différence irait dans la poche des actifs. Pour un salarié gagnant 2.200 euros nets par mois, le gain atteindrait 42 euros mensuels. La neutralité de l'opération pour les finances publiques ne tient pas à un miracle macronien : elle est bien sûr liée à l'assiette de la CSG, plus large que celle des cotisations sociales. Les perdants seraient les retraités, mais l'ancien ministre de l'Economie promet que les plus modestes d'entre eux seraient exonérés de cette hausse de CSG (40% des retraités).

Voilà pour la majorité des ménages, dont certains bénéficieront en outre du rétablissement de l'exonération des cotisations sociales sur les heures supplémentaires.

En faveur des plus aisés...

Les autres mesures visent surtout la minorité de la population la plus fortunée. Habile, Emmanuel Macron sait ne pas présenter les choses aussi crûment. L'objectif mis en avant est le soutien de l'investissement et la simplification. Premier dispositif : une baisse importante des prélèvements obligatoires sur les revenus de l'épargne. Le programme de Macron relève que

La fiscalité de l'épargne est trop complexe. Les intérêts, les dividendes, et les plus-values obéissent à des régimes fiscaux différents. Par ailleurs, plusieurs prélèvements mal articulés entre eux se superposent (prélèvements sociaux, CSG partiellement déductible, impôt sur le revenu, CEHR, ISF). À l'inverse, l'Allemagne, la Suède, l'Italie ou l'Espagne ont instauré taux unique, facilitant la comparaison entre les produits ainsi que la lisibilité du système.

Du coup,

La fiscalité du l'épargne est inefficace. En raison du cumul des différents prélèvements, le système fiscal de l'épargne engendre pour les contribuables des impositions marginales excessives (jusqu'à 62 %), qui peuvent décourager l'investissement.

Et

Beaucoup d'épargnants décident de leurs placements en fonction des avantages fiscaux qu'ils comportent plutôt que de la qualité des investissements qui leur sont proposés.

 François Hollande avait l'intention de soumettre l'ensemble au barème de l'impôt sur le revenu, le dossier est devenu plus complexe suite à l'intervention des Pigeons, mais il reste que, par exemple, l'actionnaire voulant revendre des titres rapidement, se trouve, effectivement, fortement taxé. Avec Macron, il verrait sa facture fiscale (y compris prélèvements sociaux) ramenée à 30% des revenus ou de la plus-value, ce qui a le mérite de la simplicité et de la modestie.

 Un impôt sur la fortune immobilière

Autre faveur accordée aux plus aisés des foyers : la réforme de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF). Tous les actifs financiers, qui concourent au financement de l'économie, seraient désormais exonérés d'ISF. Avec, entre autres arguments choc, l'idée que l'ISF

favorise la recherche par les actionnaires de rendements excessifs. Ils peuvent ainsi exiger des dividendes trop importants avec pour seule fin de payer leur ISF. C'est mauvais pour les salaires, l'emploi et le développement économique.

 Pour autant, Emmanuel Macron ne veut pas supprimer l'ISF. Il veut le transformer en impôt sur la propriété immobilière, assimilant les propriétaires d'immeubles à des rentiers, avec toute la connotation négative que comporte ce terme. Voilà comment Emmanuel Macron vend se réforme, fort différente, souligne-t-il, de la suppression pure et simple de l'ISF, voulue par François Fillon.

 Sauf que... à entendre les meilleurs spécialistes de la fiscalité, la réforme Macron pourrait en fait s'apparenter à une suppression de l'ISF. Pourquoi ? Simplement en raison de la possibilité de transférer dans une société les actifs immobiliers. Dès lors, leur propriétaire serait détenteur non plus d'immeubles mais d'actions et donc exonéré. C'est ce que soulignent les meilleurs spécialistes de la fiscalité. Comme le relève Antoine Colonna d'Istria, avocat chez Norton Rose Fulbright « faire passer de l'immobilier sous le statut de société ne pose pas de problème ».

Au total, affirment les experts entourant le candidat d'En Marche, la réforme de la fiscalité du patrimoine aura lieu à coût nul pour les finances publiques. Mais cela ne dit pas qui serait gagnant ou perdant selon le niveau de revenus. Les ménages de la classe moyenne exonérés d'impôt sur l'assurance vie (cela restera le cas, grâce à l'abattement de 9200 euros par an pour un couple, maintenu) paieraient 17,2% de prélèvements sociaux, au lieu de 15,5% aujourd'hui, en raison de la hausse de la CSG. Une facture en hausse, donc, pour les non fortunés.

 Moins d'IS, au profit des actionnaires

 Enfin, la baisse de l'impôt sur les bénéfices des sociétés -ramené à 25%- est présentée comme une mesure de soutien à l'investissement. Mais in fine, assurent les économistes, il s'agit là d'une diminution de l'impôt sur la rémunération de l'actionnaire. Et donc, là aussi, d'un geste en faveur des ménages en haut de l'échelle des revenus.