Mesures du chômage, de l'inflation : les statisticiens règlent leurs comptes

Par Grégoire Normand  |   |  909  mots
(Crédits : Stephane Mahe)
Face aux critiques, l'autorité de la statistique publique a récemment publié un avis sévère. Ces membres regrettent "ces polémiques [qui] ont en commun de sortir de la critique argumentée des méthodologies ou des résultats statistiques, pour instiller, à partir de jugements à l’emporte-pièce, une suspicion générale sans fondement quant à l’objectivité, la qualité et l’indépendance des statistiques publiques".

Les statisticiens ont décidé de contre-attaquer. Dans un document publié le 19 février dernier, l'autorité de la statistique publique a rendu un avis très sévère sur les nombreuses polémiques et critiques entachant la mesure de l'inflation et du chômage. "Quoique ayant chacune ses auteurs, son contexte et ses particularités, ces polémiques ont en commun de sortir de la critique argumentée des méthodologies ou des résultats statistiques, pour instiller, à partir de jugements à l'emporte-pièce, une suspicion générale sans fondement quant à l'objectivité, la qualité et l'indépendance des statistiques publiques" soulignent les auteurs de l'avis adopté à l'unanimité. La publication de plusieurs livres ces deniers mois ont alimenté la défiance à commencer par celui de Philippe Herlin intitulé "Pouvoir d'achat : le grand mensonge". Plus récemment, la publication de l'essai d'Emmanuel Todd "Les luttes de classes en France au XXIe siècle" a relancé les doutes à l'égard de l'indépendance des organismes producteurs de statistiques.

> Lire aussi : Le pouvoir d'achat en France et en Europe

Lutte contre les fake news et pédagogie

Accusés parfois de diffuser des "mensonges", les experts de l'institut national de la statistique ont mis en ligne un blog au mois de janvier visant notamment "à lutter contre la propagation d'informations fausses ou détournées." "Les contenus du blog auront l'ambition de contribuer à alimenter le débat public. Ils se voudront pédagogiques, d'un accès facile pour toutes celles et tous ceux qui ne sont pas forcément à l'aise avec les concepts de l'économie et de la statistique" explique le directeur général de l'Insee, Jean-Luc Tavernier.

L'inflation au centre des débats

Les débats autour de la mesure de l'inflation sont particulièrement vifs. Le démographe Emmanuel Todd dénonce une baisse du niveau de vie, un thème particulièrement débattu au moment de la crise des "gilets jaunes" et du grand débat au printemps 2019

"Le problème auquel la France doit actuellement faire face n'est pas la montée des inégalités. C'est la baisse du niveau de vie. Une baisse sans équivalent depuis l'après-guerre et peut être même depuis le début de l'ère industrielle. Et ce, alors même que l'Insee nous dit le contraire"écrit l'essayiste. [L'institut] a certes une mission d'information statistique objective mais, de fait, il est aussi sous le contrôle de ce pouvoir politique".

L'Insee est accusé de sous-estimer le poids du logement dans le calcul de l'indice des prix à la consommation. Face à ces critiques, l'économiste Benoît Ourliac a récemment publié un post de blog pour apporter plusieurs précisions.

"les critiques relatives à la prise en compte du logement dans l'indice des prix à la consommation (IPC) s'appuient sur la part des dépenses de logement dans l'IPC, qui s'élèverait à 6 %. Ce niveau peut légitimement susciter de l'incompréhension. Il faut tout d'abord rappeler que le poids des dépenses de consommation en logement au sein de l'indice des prix n'est pas de 6 % mais de 14 %, en tenant compte des loyers et des charges (eau, gaz, électricité, petits travaux d'entretien, etc.). 6 %, c'est ce que représente uniquement la part moyenne des loyers dans les dépenses de consommation de l'ensemble des ménages français".

Chômage et demandeurs d'emploi : des critères différents

Les débats autour de la mesure du chômage sont un vieux serpent de mer. Dans un article publié en 2019, plusieurs économistes de l'organisme public rappelaient que la France comptait 2,6 millions de chômeurs au sens du bureau international du travail alors que 3,4 millions de personnes étaient inscrites à Pôle emploi en catégorie A. "Deux situations peuvent expliquer ce phénomène : certaines personnes inscrites en catégorie A ne sont pas au chômage au sens du BIT et certains chômeurs au sens du BIT ne sont pas inscrits en catégorie A" indiquent les auteurs. En outre, la définition retenue par le bureau international du travail pour qualifier un chômeur n'est pas la même qu'une personne inscrite à Pôle emploi.

Retraites : un indicateur qui n'existe pas

La réforme des retraites qui devrait être votée avant l'été a également provoqué des remous dans les cercles de statisticiens. Récemment, le comité de mobilisation de la direction générale de l'Insee composé de syndiqués et non syndiqués a publié un hors-série sur l'indicateur évoqué par le gouvernement pour calculer l'indexation des points de retraites. Contactés par La Tribune, plusieurs membres du collectif ont exprimé leur surprise et leurs craintes à l'égard de cet outil. "Généralement, ce type d'indicateur est issu d'une demande sociale ou d'un groupe de réflexion"expliquent-ils. "La question est de savoir quels sont les revenus à prendre en compte dans cet indicateur". Plus récemment, un collectif de statisticiens de la Drees, un service du ministère de la Santé a également fait part de ses doutes sur la prise en compte de la pénibilité et les inégalités d'espérance de vie dans la réforme du gouvernement. Dans une note, les auteurs soulignent que "le prolongement de la durée du travail sera plus difficile pour les travailleurs des catégories sociales les moins aisées".

> Lire aussi : Retraites : le gouvernement face au casse-tête des inégalités